Comment les pays producteurs de cacao et de café peuvent-ils aller au-delà de l’événementiel, notamment le Cocoa & Coffee Festival qui s’est déroulé du 10 au 12 avril 2025, et les travaux de la 111ème session du Conseil international du cacao qui se sont déroulés du 7 au 10 avril dernier à Yaoundé, pour inscrire durablement leur production et leur transformation dans une logique de développement économique et social ?
Je crois qu’il faut aller au-delà de l’événementiel. Le Conseil international du cacao est une réunion statutaire qui intervient dans un contexte particulier. Le Cocoa & Coffee Festival relève également du registre événementiel. Cependant, il faut savoir lire le temps. Ces deux événements, d’une grande importance, interviennent à un moment spécial, où on s’interroge sur l’avenir du commerce, notamment celui du cacao et du café. Organiser des événements est une bonne chose, mais cela ne suffit pas si l’on ne s’inscrit pas dans une perspective durable.
C’est à ce titre que je fais le lien avec l’actualité récente, qui ébranle les fondements du commerce mondial. Qu’il s’agisse du cacao, du café, du bois ou d’autres matières, y compris les services, nous devons saisir ces instants pour nous projeter vers un avenir nouveau et novateur, où ces activités deviennent des leviers de développement. Quand je parle de développement, je veux dire que ces activités doivent être bénéfiques aux producteurs, qu’ils soient individuels ou organisés, mais aussi aux pays producteurs. J’aime à rappeler que le multilatéralisme commercial reposait à l’origine sur ce principe : le commerce devait servir le développement des États. On ne faisait pas du commerce pour qu’un chocolatier s’octroie la plus grande part du marché, ni pour qu’un industriel ou un agent économique domine. Ce n’était pas non plus pour que certains États accaparent des parts de marché, mais plutôt pour promouvoir le développement. Ces remises en question et ces événements sont donc l’occasion de repenser l’intérêt et la substance de la production et de la transformation du cacao et du café. Je salue, bien sûr, Cacao & Coffee festival, qui nous encourage à transformer localement, à être capable nous-même d’être les premiers consommateurs et les premiers promoteurs de nos produits.
Mais si nous nous contentons de produire uniquement pour les autres, je crains que pour nos paysans, les choses soient davantage compliquées avec la fluctuation des marchés et les exigences toujours plus nombreuses des acheteurs. Certains invoquent la lutte contre la déforestation comme critère d’accès au marché, d’autres imposent des droits de douane exorbitants. Si on avance dans cette direction, il est évident que l’avenir peut se lire en noir. Je ne suis pas pessimiste, mais réaliste et il faut savoir tirer les leçons de ce qui nous arrive et il faut aussi savoir tirer avantages de ceux que nous représentons. Nous sommes un marché, une force. L’Afrique compte 1,3 milliard de consommateurs, ce qui constitue un marché considérable. Imaginez : entre la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cameroun, nous produisons environ 3 millions de tonnes de cacao. Nous avons la capacité d’absorber notre propre production, tout en exportant une partie. C’est ainsi que nous renforcerons notre position commerciale. Fondamentalement, il est impératif de dépasser l’émotion et la logique événementielle pour réfléchir, pour repenser les choses.
Le Cameroun aura bientôt l’honneur d’accueillir la 14ᵉ conférence ministérielle de l’OMC. De retour de Genève, j’ai évoqué cette opportunité avec la directrice générale de l’Organisation mondiale du Commerce. Nous devons susciter un New Deal à Yaoundé, un nouveau départ du commerce mondial. Nous devons rendre au peuple ce qui lui appartient. Les premiers acteurs du commerce sont les producteurs, et non ceux qui achètent nos produits. Nous devons repenser notre modèle et revenir aux sources.

Pendant votre disposition de l’ouverture de ces assises, vous avez insisté sur la transparence. Pourquoi est-ce simple dans ces produits-là ?
La transparence est essentielle, c’est le maître mot. Elle commence d’abord entre les pays producteurs. Comme on dit, « comptezvous d’abord » avant de vous confronter aux autres. Il est impératif de savoir qui nous sommes et ce que nous représentons en tant que pays producteurs. Imaginez qu’on annonce prochainement un excédent de production. Vous savez ce que cela signifie : rien que cette annonce peut bouleverser les marchés boursiers. Un marché est à la fois mécanique, basé sur les volumes, et psychologique, influencé par les informations et les annonces. Ainsi, une fausse annonce a un impact dévastateur. Elle peut signifier que l’on cherche à empêcher une amélioration de la situation des producteurs, notamment en termes de rémunération. Cette transparence doit donc être une obligation entre nous, producteurs. Mais elle doit également s’étendre au marché et à l’industrie.
Les informations concernant la production sont souvent publiques, bien qu’elles puissent parfois être biaisées. Malgré cela, on dispose d’une certaine idée des prévisions de production. En revanche, concernant l’industrie, nous sommes dans l’obscurité totale. Nous ignorons l’état des stocks, la capacité de broyage ou encore les nouvelles capacités de broyage dans les pays consommateurs. Cette absence de données déséquilibre et fausse le jeu dès le départ. Si on nous dit qu’il existe des stocks trop importants, cela entraîne automatiquement une baisse des prix. À l’inverse, disposer d’informations fiables nous permettrait d’adapter nos politiques de production et de mise en marché. C’est précisément ce défi que le directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao cherche à relever. Actuellement, le marché manque de transparence et, par conséquent, de justice. Il est clair que cela doit changer.