Les poursuites judiciaires contre les opposants en Afrique: Une dangereuse judiciarisation de la politique

Par Moussa Njoya, politologue

Il ne se passe un seul mois en Afrique sans que l’on entende parler d’inculpation d’un opposant politique. C’est que les gouvernants des pays africains, dans leurs dérives totalitaires et autoritaires, ont l’art d’utiliser tous les moyens afin d’éliminer les différents concurrents, y compris la justice. Ce qui constitue un énorme risque pour la stabilité des Etats.

Epuration politique par voie judiciaire

Contrairement à ce que bon nombre de leurs partisans prétendent, c’est à leurs corps défendant que les dirigeants africains sont allés vers le multipartisme et la libéralisation politique. Par conséquent, bien qu’ils se drapent des oripeaux de la Démocratie, qui supposent la persuasion et la délibération,  ceux-ci ne tolèrent aucunement toute voix discordante.

C’est ainsi qu’il n’est pas rare de les voir user d’une violence bestiale à l’encontre de leurs opposants. Et parmi les moyens d’élimination politique désormais privilégiés, le temps des assassinats politiques systématiques étant révolus depuis la chute du mur de Berlin, il y a la justice.

Les opposants sont ainsi souvent embastillés pour des raisons des plus fallacieuses. Atteinte à la sureté de l’Etat, incitation à la révolte, rébellion simple, manifestations non autorisées, outrage au chef de l’Etat, troubles à l’ordre public etc., sont autant de motifs dont la vacuité n’a d’égale que l’absurdité de leur application.

En République Démocratique du Congo, la presse a donné un nom à cette stratégie d’épuration politique : « nettoyage préventif ». Cette méthode a été appliquée avec grand soin au cas de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi.

En effet, depuis qu’il a rejoint les rangs de l’opposition en 2015, il va de procès en procès. C’est ainsi qu’il a déjà été poursuivi pour « fraude douanière », « détention illégale d’armes », « recrutement des mercenaires ». Récemment, c’est sous le prétexte d’une certaine « affaire immobilière » qu’il a été condamné à trois ans de prison afin qu’il soit inéligible et contraint à l’exil, suite à sa déclaration de candidature à la prochaine élection présidentielle.

Avant lui, c’est l’opposant Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise (UNC)qui a été trainé devant la cours suprême, par Wivine Moleka, au mois de février, pour une ancienne affaire de « dénonciation calomnieuse et imputation dommageable » à l’égard de cette députée de la majorité présidentielle, lors des élections législatives de novembre 2011 à Kinshasa. Alors qu’une entente à l’amiable, assortie de paiement par Vital Kamerhe de dommages-intérêts au profit de la plaignante, avait été trouvée et réglée entre les parties, celle-ci exige désormais des « excuses officielles » près de quatre ans plus tard.

Par ailleurs, les membres de la société civile, assimilés aux opposants font aussi l’objet du même traitement. C’est ainsi que les activistes des droits de l’Homme, Fred Bauma, de Lutte pour le changement (Lucha), et d’’Yves Makwambala, webmaître et graphiste du groupe Filimbi, ont été accusés des faits de « d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » en mars 2015, à la suite d’une conférence de presse qu’organisait le mouvement citoyen pacifiste Filimbi dans les locaux de la maison de production Eloko Makasi dans la commune de Masin, en compagnie des membres de la Lucha ainsi que des mouvement sénégalais, Y en a marre, et burkinabé, Le balai citoyen, et qui traitait de l’alternance et de la bonne gouvernance en Afrique et en RDC.

Ce nettoyage préventif vise justement à décourager d’éventuels concurrents sérieux.

Décourager les concurrents sérieux

L’Histoire récente du Sénégal ou encore du Burkina Faso démontre que de plus en plus, les opposants les plus radicaux, et qui parviennent souvent à renverser le régime en place sont issus des rangs du parti au pouvoir.

C’est pour se prémunir contre ce genre de mauvaise surprise que les présidents africains n’hésitent pas à user du pouvoir judiciaire pour neutraliser leurs opposants. Ainsi, ils visent à enlever toute velléité chez leurs collaborateurs. C’est la stratégie du bâton et de la carotte. Vous êtes fidèles, et vous bénéficiez de tous les avantages, et même de l’impunité. Vous êtes épris de changement, alors vous êtes bannis et voués aux gémonies du milieu carcéral.

Et sachant que les chefs d’Etats ont souvent la haute mainmise sur le pouvoir judiciaire en Afrique, une peine de prison équivaut souvent à une condamnation à mort, eu égard à l’âge souvent avancé des concernés, mais surtout le peu de possibilité de se voir gracier. Du moins tant qu’on n’a pas ravalé sa « vomissure » et fait « amende honorable », comme ils aiment bien à le dire.

Soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif

En juillet 2015, la juge congolaise Ramazani Wazari qui a condamné Moïse Katumbi à une peine de 36 mois de prison ferme pour « faux et usage de faux », dans l’affaire de spoliation immobilière qui l’oppose à Alexandros Stoupis, a déclaré avoir subit des pressions. « J’ai été menacée de révocation et d’emprisonnement  (…) sur instruction de la hiérarchie, le fond de la cause n’a jamais été examiné juridiquement » a-t-elle déclaré depuis son exil en France après avoir quitté la RDC.

Si ce genre de prise de conscience est rarissime en Afrique, il n’est pas pour autant rare de voir des juges et magistrats être soumis benoitement aux désidératas du pouvoir exécutif, et notamment du président de la république.

Cette mainmise sur le pouvoir judiciaire s’explique tout d’abord par le fait que les juges et magistrats doivent leurs carrières et leurs promotions à la seule volonté du président de la république, qui est souvent président du conseil supérieur de la magistrature. D’ailleurs, le plus souvent, ces conseils n’existent que de nom puisque tous ceux qui y siègent sont ses obligés, nommés et promus par lui seul. Ainsi, les magistrats « récalcitrants » qui tiennent à dire le Droit en leurs âmes et conscience sont rétrogradés, nommés à des postes « ingrats » ou tout simplement révoqués.

Mais au-delà, de la carrière, il pèse sur ces eux parfois purement et simplement des menaces physiques. Leurs propres personnes et les membres de leurs familles sont pris pour cible.

C’est pour se mettre à l’abri de tous ces risques que les membres du pouvoir judiciaire choisissent de se soumettre face au pouvoir exécutif.

Risque de déstabilisation sociale

A usant et en abusant ainsi des institutions nationales à des fins personnelles, les présidents africains leur ôte toute crédibilité. Il s’en suit que les opposants pour faire entendre leurs voix, et espérer renverser la tendance, sont obligés d’opter pour la voix insurrectionnelle.

C’est ce qui explique en très grande partie les conflits et les crises en Afrique, qui sont le plus souvent la résultante des conflits de pouvoir. Aussi, les chefs d’Etats d’Afrique devraient éviter d’utiliser la justice pour se pérenniser au pouvoir car cela constitue un grave risque de déstabilisation.

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