Les mécanismes institutionnels de la vacance du pouvoir présidentiel au Cameroun

Par Moussa Njoya, Politologue

Les mécanismes institutionnels de la vacance du pouvoir présidentiel au Cameroun

Si dans les sept jours, Monsieur Paul Biya n’assume pas les fonctions présidentielles qu’il s’est octroyé par la fraude électorale, alors je vous donnerai, par divers canaux, la conduite à tenir afin que nous nous prenions en charge nous-mêmes. ». C’est en ces termes menaçants que Maurice Kamto concluait sa déclaration sur le Covid-19 rendue publique le 27 mars dernier. Une déclaration qui n’a pas été du goût des pontes du régime et même de certains leaders de l’opposition, en commençant par son ancien directeur de campagne Paul Éric Kingue. Cela n’empêche que pendant les 7 jours suivants, l’opinion publique nationale, déjà tétanisée par les décomptes macabres quotidiens du ministre de la santé sur les affres du Coronavirus au Cameroun, vivait au rythme du compte à rebours. Chacun se demandant ce que le « professeur » allait bien sortir de son chapeau à l’échéance. Sans glissement de date, Maurice Kamto était bel et bien au rendez-vous. Et dans une déclaration écrite de 8 pages, et publiée le 3 avril dans la soirée, le président du MRC revient de long en large sur ce qu’il considère comme étant les défaillances du gouvernement, et annonce pêle-mêle un ensemble de mesures qu’il recommande à la population et entend mettre en œuvre lui-même. C’est ainsi qu’il achève une fois de plus son propos par un autre ultimatum : « Mais si, dans les 7 jours suivant la publication de la présente déclaration le Président de facto du Cameroun n’avait pas donné une preuve physique de ce que c’est bien lui qui est aux commandes de l’Etat, nous nous trouverions dans l’obligation d’engager les procédures juridiques adéquates pour obtenir le constat, par les instances compétentes, de la vacance présidentielle et ses suites constitutionnelles ». Cette posture, loin d’être hasardeuse, va en droite ligne avec les annonces répétitives de certains de ses partisans ces derniers jours, et qui font état du décès du président de la république, Paul Biya. Ce qui emmène à se pencher sur les mécanismes institutionnels de la vacance du pouvoir présidentiel au Cameroun.

Le cadre général de la vacance du pouvoir au Cameroun

 Il faut dire que depuis fort longtemps, bon nombre de Camerounais ont cessé de croire aux élections. Ainsi, ils ne perçoivent le départ de Paul Biya, au-delà des scenarios catastrophes, qu’à travers une des formes engendrant la vacance du pouvoir à savoir : la mort ou la démission. Le cadre général de gestion de la vacance présidentielle est établi par l’article 6(4) de la constitution, et par les articles 142 à 146 du code électoral. Et ce pour les deux cas de figures. Il prévoit globalement qu’« en cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel, l’intérim du Président de la République est exercé de plein droit jusqu’à l’élection du nouveau Président par le Président du Sénat, et si ce dernier est, à son tour, empêché, par son suppléant, suivant l’ordre de préséance du Sénat. ». En d’autres termes, si Paul Biya démissionne ou meurt, actuellement au pouvoir, il sera remplacé par Marcel Niat Njifenji. Et si celui-ci est lui-même empêché, il est sera remplacé par son 1er Vice-président, Aboubakary Abdoulaye, le très puissant lamido de Rey-Bouba. Et en cas d’empêchement de celui-ci, l’intérim sera assuré par l’un des quatre autres vice-présidents et dans l’ordre suivant : Tjoues Généviève, Nkeze Emilia Kalebong, Naah Ondoua Sylvestre et Chief Tabe Tando Ndieb-Nso. Par ailleurs, il est précisé que : « Le Président de la République par intérim – le Président du Sénat ou son suppléant – ne peut modifier ni la Constitution, ni la composition du Gouvernement. Il ne peut recourir au référendum ni être candidat à l’élection organisée pour la Présidence de la République. » Cependant, l’alinéa 2 de l’article 144 du code électoral dispose que : « Toutefois, en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle, le Président de la République par intérim peut, après consultation du Conseil Constitutionnel, modifier la composition du Gouvernement. ». Ce qui est très vicieux ou pour le moins embarrassant, dans la mesure où on ne précise pas la nature de ces « nécessités », la portée de cette modification et surtout les attributions de ministres ainsi nommés ; de même que les activités du président de transition lui-même durant l’intérim. Ceci est d’autant plus préoccupant qu’on connait le rôle central de certains ministères tels que la défense, la sûreté nationale, l’administration territoriale, la justice et les finances, en période électorale. Aussi, la perte de ces postes par certains peut-elle engendrer de profondes frustrations, sources de tensions, voire de rébellion.

Paul Biya démissionne

Les Camerounais y pensent souvent, bien que Paul Biya et son entourage semblent énormément apprécier les délices du pouvoir, ainsi que les saveurs des palais. Mais on ne sait jamais ! Qui aurait cru, qu’Ahidjo, fraichement réélu en 1980, allait démissionner 2 ans plus tard, et à l’âge de 60 ans, voire 58 environ, selon les sources. Mais, « le père de la nation » est bel et bien parti ! Et ce en dépit des supplications et jérémiades de son entourage. Alors, que se passerait-il si Paul Biya démissionne un bon (beau ?) matin ? Si Paul Biya démissionne, il devra informer la Nation par voie de message et remettre ensuite sa démission au président du conseil constitutionnel, qui adressera à son tour une copie au président du sénat. Le message de démission sera « publié suivant la procédure d’urgence, puis inséré au Journal Officiel en français et en anglais. ». Une fois cela fait, l’intérim sera ouvert d’office. Une élection présidentielle sera organisée dans un délai de 20 jours au moins et 120 jours au plus, après cette ouverture d’intérim. Le président intérimaire restera en poste jusqu’à la prestation de serment du nouveau président élu. Pour se trouver un candidat, le RDPC, conformément à l’article 22 de ses statuts, devra réunir son congrès pour élire son président national qui est « candidat aux élections présidentielles ». Pour cela, le bureau politique, conduit par le doyen d’âge, procédera à la convocation d’un congrès extraordinaire. La cheville ouvrière de la convocation et de l’organisation d’un tel congrès étant le secrétaire général du comité central, détenteur du sommier politique et de la liste des délégués du parti, l’on s’imagine bien « l’incontournabilité » de Jean Nkueté !

Paul Biya meurt au pouvoir !

 L’on ne saurait souhaiter la mort de qui que ce soit, même pas celle de son pire ennemi. Mais, il y va de la fatalité. Et la mort est la finalité de toute vie humaine. Surtout lorsqu’on a atteint un âge certainement avancé ! S’il arrivait qu’un jour l’on annonce la mort du Président Paul Biya, « L’empêchement définitif du Président de la République est constaté par le Conseil Constitutionnel statuant à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres. ». « Il est saisi à cet effet par le Président de l’Assemblée Nationale, dans les conditions fixées par voie réglementaire. », « La déclaration de vacance de la Présidence de la République (…) est publiée par le Conseil Constitutionnel suivant la procédure d’urgence, puis insérée au Journal Officiel en français et en anglais. ». En termes plus clairs, si Paul Biya meurt au pouvoir ou est définitivement empêché, c’est Cavaye Yéguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale, qui est la seule personnalité compétente pour saisir Clément Atangana, le président du conseil constitutionnel, afin de constater la vacance du pouvoir présidentiel. Ce dernier se chargera alors de réunir au moins les 2/3 des membres de l’auguste institution pour constater la vacance du pouvoir présidentiel. Ensuite, Clément Atangana va publier cette déclaration en procédure d’urgence et l’insérer au journal officiel en français et en anglais. Une fois cela fait, c’est Niat Njifendji Marcel, ou en cas d’empêchement, l’un de ses suppléants tel que sus-évoqué, qui deviendra président par intérim et organisera une autre élection présidentielle dans les conditions et les délais sus-mentionnés. Et il restera président intérimaire dans les conditions que nous avons exposées plus haut, jusqu’à la prestation du nouveau président élu. Cette procédure exclut alors fondamentalement toute possibilité pour un quelconque citoyen de pourvoir saisir une quelconque institution, ou d’engager une certaine procédure juridique, afin de constater la vacance du pouvoir présidentiel. Et ce n’est pas Maurice Kamto, constitutionnaliste et auteur la thèse de doctorat soutenue en 1983 à l’université de Nice sous le thème, Pouvoir et Droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique Noire francophone, qui l’ignorerait.

Par Moussa Njoya, Politologue ( Défis Actuels 470)

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