Le Fonds monétaire international (FMI) a, comme à son habitude, accompagné la clôture de sa mission au Cameroun par une série de recommandations destinées à améliorer la gouvernance économique et budgétaire du pays. Parmi elles, une préconisation retient particulièrement l’attention. Il s’agit de « la révision de la loi de 2013 sur les incitations à l’investissement ». Dans le communiqué de fin de mission, Cemile Sancak, qui conduisait la délégation du FMI, a relevé des retards dans la mise en œuvre des réformes structurelles.
Or, pour atteindre les objectifs ambitieux de la Stratégie nationale de développement (SND30), il est impératif d’accélérer certaines mesures clés, notamment « celles portant sur la gouvernance du secteur extractif, le climat des affaires, la réforme des entreprises publiques et la gestion des finances publiques », lit-on dans le communiqué du FMI. C’est dans ce cadre que s’inscrit la nécessaire révision des incitations fiscales accordées aux investisseurs.
UNE REMISE EN QUESTION DES EXONÉRATIONS FISCALES
Selon un expert contacté par Défis Actuels, la recommandation du FMI peut se décliner sous plusieurs aspects. D’abord, il s’agirait d’une invitation à réduire les exonérations fiscales excessives. « En effet, certaines mesures, notamment les allègements d’impôts et les exonérations de droits de douane, pourraient être jugées trop coûteuses pour l’État ou inefficaces en termes d’attraction d’investissements. Dès lors, le FMI suggère de conditionner ces avantages à des engagements clairs de la part des entreprises bénéficiaires », pense-t-il.
Ensuite, la révision de la loi de 2013 viserait à mieux cibler les incitations en privilégiant des secteurs stratégiques pour l’économie camerounaise, comme l’agro-industrie, la transformation locale des matières premières ou encore le numérique. « L’objectif est de ne plus accorder d’exonérations généralisées, mais de les orienter vers des projets à forte valeur ajoutée », analyse l’expert. Enfin, la rationalisation du cadre actuel « permettrait de corriger certaines distorsions et d’améliorer la transparence. Aujourd’hui, des inégalités subsistent entre entreprises locales et étrangères, mais aussi entre grands groupes et PME. Une meilleure gouvernance des incitations permettrait d’éviter ces déséquilibres et de rendre le dispositif plus équitable. » a-t-il conclu.
Un patronat en quête de réforme
La suggestion du FMI fait écho aux revendications du patronat camerounais, qui réclame depuis plusieurs années une refonte en profondeur du cadre incitatif à l’investissement. Lors de la « rentrée économique du patronat » organisée le 18 septembre 2024 à Douala, Célestin Tawamba, président du Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam), a plaidé pour une modernisation de la loi en vigueur. Selon lui, cette législation, en place depuis 2014 et révisée en 2017, est aujourd’hui dépassée par les nouvelles orientations gouvernementales et les réalités économiques. « Les incitations aux investissements en République du Cameroun doivent être entièrement repensées », a-t-il affirmé, pointant notamment la confusion entourant les critères d’éligibilité.
Ce flou, selon lui, ouvre la porte à l’arbitraire et empêche un traitement équitable des dossiers d’investissement. Le Gecam déplore également l’absence de mesures spécifiques pour encourager les investissements dans les zones enclavées, ce qui nuit à un développement équilibré du territoire. De plus, certaines dispositions sont jugées contre-productives, car elles engendrent des pertes de recettes importantes pour l’État, aggravant ainsi la pression fiscale sur les entreprises déjà en activité.
DES INCITATIONS AUX RÉSULTATS CONTRASTÉS
Le patronat camerounais remet aussi en cause la durée des exonérations fiscalo-douanières prévues par la loi actuelle. En effet, les avantages fiscaux s’étendent sur des périodes jugées trop longues, soit entre 5 et 7 ans pour la phase d’installation et jusqu’à 10 ans pour l’exploitation. Selon Célestin Tawamba, ces délais excessifs permettent à certaines entreprises de détourner les incitations à d’autres fins que l’investissement réel annoncé, voire d’en bénéficier indûment après la mise en exploitation de leur projet.
Les chiffres disponibles viennent appuyer ces critiques. Alors que le gouvernement a accordé pour 198 milliards de FCFA d’exonérations fiscales et douanières, la richesse créée en retour ne représenterait que 41 milliards de FCFA, soit seulement 0,0018 % du PIB. Une rentabilité jugée insuffisante au regard des sacrifices consentis par l’État. Pourtant, les prévisions initiales étaient prometteuses.
Selon les données de l’Agence de promotion des investissements (API), 302 conventions ont été signées avec des entreprises du secteur privé pour un volume d’investissements prévisionnels de 5 474 milliards de FCFA et 110 000 emplois directs projetés. Cependant, une évaluation menée sur un échantillon de 100 entreprises agréées entre 2014 et 2019 montre que seuls 987 milliards de FCFA ont réellement été investis, et que 12 050 emplois ont été créés.