Face à l’essor fulgurant du numérique, il devient de plus en plus crucial pour les gouvernements de maîtriser et contrôler les données générées au sein de leur économie. Au Cameroun, ce constat prend une dimension stratégique. C’est dans cette optique que le ministère des Postes et Télécommunications a lancé, le 8 octobre à Yaoundé, les assises sectorielles des statistiques des postes, télécommunications et TIC.
Cet événement, qui a réuni jusqu’au 09 octobre, experts, responsables d’entreprises et décideurs publics, avait pour but de définir des bases solides pour la gestion des statistiques relatives à l’économie numérique au Cameroun. L’enjeu est clair : doter le pays d’un système statistique performant pour accompagner la transformation numérique.
UN BESOIN URGENT DE DONNÉES FIABLES
Le Cameroun, à l’instar de nombreux pays africains, fait face à un défi de taille : la fiabilité et la disponibilité des données. «Moins de 30 % des données produites en Afrique sont réellement conservées sur le continent», a rappelé Joseph Tedou, Directeur général de l’Institut national de la statistique. Le reste de ces informations sensibles est souvent entre les mains de multinationales, notamment des opérateurs téléphoniques ou des banques.
Cette situation pose un problème majeur de souveraineté numérique. Pourtant, la donnée est devenue la pierre angulaire de l’économie numérique, un secteur en pleine expansion au Cameroun. Elle constitue un levier essentiel pour la prise de décision, la formulation des politiques publiques et le suivi de l’évolution socio-économique. Il est donc impératif, pour le pays, de maîtriser ce flux d’informations pour guider ses stratégies de développement et sa transformation digitale.
DES ASSISES POUR POSER LES BASES D’UN SYSTÈME STATISTIQUE NATIONAL
Au cours de ces assises, plusieurs acteurs ont insisté sur l’importance des statistiques comme levier de développement. Le Pr Bell Bitjoka, expert en TIC, a souligné que «la ressource indispensable de l’économie numérique, c’est la donnée». Une affirmation partagée par Minette Libom Li Likeng, ministre des Postes et Télécommunications, qui a ajouté que «des données fiables sont essentielles pour stimuler l’innovation et mettre en place des politiques publiques adaptées aux défis actuels». L’objectif de cet atelier est donc de créer une base de données nationale, sécurisée et contrôlée par les autorités camerounaises.
Ces assises visent également à sensibiliser les différents acteurs à l’importance des statistiques dans le processus de transformation numérique. En effet, les entreprises privées, notamment les opérateurs télécoms, jouent un rôle clé dans la collecte et le traitement des données. Leur participation active à ces travaux est primordiale pour la mise en place d’un système statistique cohérent et intégré à l’échelle nationale.
DÉFIS ET PERSPECTIVES
Cependant, la mise en place d’un tel système n’est pas sans obstacles. Parmi les défis soulevés durant ces assises figurent la transparence dans la gestion des données, la protection de la vie privée des utilisateurs, ainsi que la sécurité des infrastructures. Le Cameroun doit donc se doter de moyens techniques et humains pour relever ces défis.
Joseph Tedou a proposé plusieurs pistes d’action pour y parvenir. Il a notamment recommandé de renforcer les capacités des professionnels de l’économie numérique, d’améliorer les infrastructures statistiques et de promouvoir une véritable culture statistique au sein des institutions publiques et privées.
Ces mesures, si elles sont mises en œuvre, pourraient permettre au Cameroun de disposer d’une base de données fiables et de garantir une gestion souveraine de ses informations numériques. Une autre piste suggérée lors de ces assises est la création d’un compte satellite pour l’économie numérique. Cet outil permettrait de suivre de manière précise et régulière l’évolution du secteur numérique au Cameroun, tout en facilitant l’élaboration de politiques adaptées.
MINETTE LIBOM LI LIKENG, ministre des Postes et Télécommunications
« Protégeons nos données pour que les autres ne profitent pas des dividendes dévolus à notre pays »
Les méthodes statistiques anciennes ne permettent pas toujours de collecter avec efficacité les données du secteur. Ces assises, ont permis, puisqu’elles étaient organisées avec le concours de l’Institut national de la statistique, et des acteurs du secteur des postes et télécommunications, de faire un état des lieux, d’identifier des limites et de proposer des méthodes pour améliorer la collecte des statistiques de ce secteur. Comme vous le savez, aujourd’hui avec le numérique, les données sont très importantes.
Pour les avoir, il faut les collecter. Les statistiques sont une voie importante. Nous savons tous que celui qui dispose de bonnes données, de statistiques fiables prend de bonnes décisions. Comme le numérique est transversal, plusieurs secteurs et acteurs possèdent ces informations qui échappent au gouvernement et aux structures qui sont chargées d’élaborer les statistiques dans notre pays.
Nous voulons donc appeler tous les acteurs qui produisent des données numériques, de les harmoniser et de les envoyer auprès d’une source unique qui pourra analyser et disposer de statistiques fiables pour notre pays. C’est un enjeu de taille. Si nous ne protégeons pas nos données, si nous ne les analysons pas, ce sont les autres qui vont profiter des dividendes dévolus à notre pays, et prendre des décisions qui nous seront préjudiciables.
JOSEPH TEDOU, directeur général de l’Institut national de la statistique
«La loi protège les fournisseurs de données»
La loi protège les fournisseurs de données. Donc nous sommes astreints en tant que responsables des statistiques officielles au respect du secret statistique. Cependant, pour ce qui est de la protection de la vie privée, dès lors que les données sont détenues par les opérateurs privés, la question est de savoir quel est l’arrangement que les Etats et les gouvernants peuvent nouer avec ces structures pour que le fait qu’elles détiennent des données relevant parfois de la sphère privée, ne soient pas un élément d’accès à la vie privée des citoyens. Sur le plan statistique, l’obligation que nous avons c’est d’accéder à ces informations uniquement à des fins statistiques et pas pour autre chose