jeudi, septembre 11, 2025
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 Laurentine Assiga : « Le RJ2C veut autonomiser les professionnels de l’information culturelle »

Pour sa 6ᵉ édition, le Grand Prix Francophilie des Médias braque les projecteurs sur l’architecture, un art souvent oublié dans les rédactions. La présidente fondatrice du Réseau des journaliste culturels du Cameroun (RJ2C) revient sur les enjeux culturels, économiques et professionnels d’un événement qui entend repositionner la presse culturelle au cœur de l’innovation médiatique.

Quel bilan faites-vous de la 5e édition ?

La 5e édition a mis en lumière l’aire culturelle Fang-Beti. Plus d’une vingtaine de chefs traditionnels ont fait le déplacement, accompagnés de plus de 200 membres de cette communauté. Ils ont même occupé un stand au Village de la Presse Culturelle afin de transmettre leurs savoirs aux visiteurs. Côté participation journalistique, nous avons enregistré plus de 200 candidatures. Pour la première fois, le nombre de finalistes a été porté à 50. Ce choix découle de la volonté de former davantage de journalistes internationaux à des problématiques culturelles. L’Afrique manque cruellement de critiques d’art. Malgré sa richesse culturelle, elle reste marginalisée sur le plan international. Sa culture est souvent racontée par d’autres.

Nous avons donc voulu mobiliser les professionnels de l’information culturelle pour qu’ils racontent l’Afrique avec les mots justes et dans leur essence. L’année dernière, nous avons abordé le thème de la mode africaine. Ce domaine reste souvent traité superficiellement. Lorsque l’on parle de tissus africains, d’autres préfèrent les désigner comme « tissus ethniques », ce qui contribue à les confiner à une image communautaire, peu universelle. C’est une distorsion que nous avons voulu rectifier par une approche approfondie.

Des ateliers ont été organisés, comme celui sur le costume du danseur. Certains portent des points blancs ou noirs, des gorilles, des peaux de panthère. Que signifient ces éléments ? Quelle est leur symbolique ? Le journaliste culturel doit être capable de les décrypter pour le grand public, qui ne voit souvent que de simples accessoires. L’anthropologue Pr François Bingono Bingono est intervenu pour expliquer que les points blancs représentent les yeux, et que la peau de panthère est un symbole de protection spirituelle. Tout talent étant spirituel, il est exposé aux forces obscures qui cherchent à l’étouffer. Il est donc nécessaire de se couvrir pour exercer ce don que Dieu nous a confié et le fructifier comme le demande la foi chrétienne.

Cette thématique est d’autant plus importante que les journalistes européens ou américains, bien qu’intéressés, abordent parfois la culture africaine avec un regard biaisé, influencé par leur propre référentiel culturel. Nous voulons que chacun vienne ici, au Cameroun – véritable Afrique en miniature – pour s’immerger et comprendre en profondeur. Plusieurs ateliers ont été tenus, avec les 50 finalistes, rejoints par des confrères étrangers non finalistes. En tout, environ 150 participants, sans oublier les bénévoles qui nous soutiennent. En les incluant, nous atteignons près de 200 personnes pleinement investies. Nous avons également accueilli la reine Clarisse Belle, qui est venue partager l’histoire du Kaba et du Sandja. C’est essentiel, car bien souvent, nous portons ces vêtements sans en connaître la signification. Cette édition a été riche, retentissante, et véritablement belle.

La 5e édition du Grand Prix Francophilie des Médias s’est imposée comme un rendez-vous majeur dans les sphères culturelles et événementielles du Cameroun. La 6e édition, quant à elle, est placée sous le thème « Architecture ». Pourquoi ce choix, et quel bilan tirez-vous de la précédente édition ?

Pourquoi ce thème ? Parce que l’architecture est considérée comme le premier art. Or, en analysant nos contenus, bien que nous appartenions à des organes de presse généralistes, nous constatons que la question architecturale est quasi absente, à peine 0,001 % de nos productions l’abordent. Elle n’est généralement traitée que lors de la Journée mondiale de l’architecture ou à l’occasion d’événements particuliers comme les 50 ans de l’Ordre national des architectes.

Pourtant, l’architecture est un élément fondamental de l’identité d’un peuple. Quand on se rend chez les Bakas, leur architecture est bien connue. Les Mousgoum ont leur propre style de construction, tout comme les Mandaras. Chaque peuple a ses éléments distinctifs visibles et palpables, et l’architecture en fait partie. C’est ainsi que l’on peut dire : « ici, on est chez les Mousgoum », « ici, chez les Baka », « ici, à Bafou », « chez les Fang-Beti », etc. Nous avons donc estimé que cet héritage ne peut être ignoré. En tant que journalistes culturels, nous avons la responsabilité de le transmettre de génération en génération, notamment à travers des articles de fond.

Revenons à l’actualité, avec cette cinquième édition dont vous êtes en plein dans les préparatifs. Comme la précédente, vous avez mis l’accent sur l’économie des médias culturels. Nous sommes dans un contexte où la presse privée, en général, souffre dans son développement. Quel levier peut-on proposer pour accompagner les journalistes culturels en matière de formation, afin d’optimiser leurs résultats et leur permettre de vivre de ce métier ?

Oui, merci pour la question. C’est justement pour cela que nous avons intégré, au sein de l’événement, une plateforme appelée Le Grand Forum sur l’autonomisation des professionnels de l’information culturelle. En tant que journaliste moi-même, je sais qu’à l’école, on ne nous forme pas à devenir des patrons de presse. On nous forme à être de très bons employés : collecter, traiter, diffuser l’information. On nous enseigne l’appareillage juridique, comportemental et déontologique lié à l’exercice du métier, mais jamais on ne nous dit : « Demain, tu peux être patron de presse. Voici comment chercher des financements, te positionner sur le plan marketing, cibler ton secteur. »

Quand on observe le paysage médiatique camerounais, on constate que plus de 99 % des médias sont généralistes. Pourquoi ? Parce que cela découle directement de cette formation. Si, dès l’école, on nous avait encouragés à nous spécialiser, à choisir une niche précise, on saurait mieux ce qu’on vend. Aujourd’hui, avec une dizaine de chaînes de télévision qui font toutes la même chose, le public se lasse et se tourne vers l’étranger, où il existe des spécialisations.

Pour capitaliser les talents et il y en a au Cameroun, il faut réfléchir. En analysant les profils qui soumissionnent dans le cadre de la Coupe du monde après-culturelle, on constate que près de 60 % sont des freelances. Pourquoi ? Parce que beaucoup ne trouvent pas leur place dans les structures existantes. Et quand on parle de « freelance », on pense souvent à des journalistes en situation de chômage, qui attendent des événements ponctuels pour exercer. Pourtant, leurs productions sont souvent de véritables pépites. Que fait-on de ces talents ? On ne va pas pleurer sur notre sort. Il faut trouver des solutions.

Avec les compétences que nous avons, nous avons décidé de réfléchir sérieusement à l’économie des médias. À l’école, c’était mon cœur de métier, mais je n’ai jamais eu la suite : le management des entreprises de presse. Je me suis dit qu’il fallait révéler cette dimension, chez moi comme chez les autres. Monter une entreprise de presse ne repose pas uniquement sur le talent d’écriture. Il faut aussi des financements, un marché. Et pour cela, il faut comprendre les mécanismes.

Par exemple, pour obtenir un crédit bancaire, on vous demandera des garanties comme un titre foncier, que la plupart des jeunes journalistes n’ont pas. Pourtant, dans d’autres secteurs comme l’agriculture, il existe des prêts à taux zéro, sans garantie. Pourquoi ne pas transposer ces modèles à l’information culturelle ? Nous vendons un produit intellectuel, certes intangible, mais essentiel à la société. Pourquoi ne pas financer la presse à juste titre ?

Nous avons donc réuni autour de la table des partenaires qui, jusque-là, étaient peu sensibles à notre plaidoyer. Ensemble, nous réfléchissons à comment démarrer, ne serait-ce qu’avec deux ou trois start-ups exclusivement dédiées à la culture. À partir de leur expérience, nous pourrons élaborer un modèle économique à proposer aux autres. Cette année, nous poursuivons cette dynamique. Orange Cameroun a décidé de financer un projet à hauteur de 1 million de FCFA. L’Union européenne apporte également 500 000 FCFA pour un autre projet. Ce n’est qu’une étape. L’année prochaine, la cagnotte pourrait grandir, car nous sommes en phase de test. Nous allons mettre en place un système de mentorat sur un an, avec trois volets : un mentorat professionnel, assuré par un aîné expérimenté ; un mentorat juridique, avec un cabinet d’avocats pour accompagner la structuration légale ; et un mentorat financier, avec un mécène ou une institution qui s’engage à soutenir la jeune entreprise.

Ensemble, nous évaluerons la faisabilité, les obstacles et les résultats. Au bout d’un an, nous pourrons dire : « Nous avons investi un million, voici ce que nous avons gagné. » Cela permettra, en 2026, de revenir avec une assiette plus large et des perspectives renforcées.

Au regard de vos explications, peut-on espérer que le Grand Forum soit considéré comme un dispositif concret de mise en place ?

C’est un programme qui va s’étendre sur toute une journée. Nous avons prévu des enseignements, des masterclasses, des ateliers, avec la participation d’aînés comme le Directeur Général de la CRTV. Nous avons articulé tout cela autour d’une thématique : du reporter au boss. Comment faire la transition ? Quel type d’employé faut-il avoir ? Quelle attitude adopter en tant que patron ? Quels sont les fondamentaux, les manœuvres à maîtriser ? Nous aurons également des intervenants issus du marketing, comme Blaise Etoua, qui viendront parler de la structuration d’un plan stratégique pour une entreprise de presse culturelle. Que faut-il vendre ? Quels éléments intégrer ? Est-ce qu’on monte le même dossier qu’une entreprise de vente de beignets, par exemple ?

Nous aurons aussi le partage d’expérience du Directeur Général du Quotidien de Dakar, au Sénégal, qui interviendra sur les plus-values, sur la diversification des sources de revenus. Émile Fidjeck sera également présent. Ce sera une journée intense, axée sur l’apprentissage pratique, sans théorie. Il y aura des études de cas, des échanges directs, et en fin d’après-midi, une battle de pitch : les candidats présenteront leurs projets devant un jury composé de mécènes, de professionnels des médias et de représentants du secteur bancaire.

L’un des points saillants du Grand Prix de la Francophilie est également le village culturel. Peut-on considérer ce village, qui regroupe presque tous les domaines, comme un incubateur pour les industries créatives ?

C’est exactement cela. C’est un espace d’autonomisation, qui montre ce que les journalistes savent faire en plus. Certains sont créateurs de mode, d’autres sont chanteurs, d’autres encore sont artistes dans divers domaines. Le village de la presse culturelle met en lumière cette autre facette de leur talent. C’est aussi un lieu de contact et de communion avec nos sources, qui sont souvent des artistes.

Des échanges auront lieu à travers des talks, des showcases conçus comme des présentations de projets à la presse. Un artiste qui a un projet exclusif encore en gestation viendra le présenter. S’il s’agit de musique, nous organiserons des séances d’écoute ; s’il s’agit de cinéma, des séances de visionnage. Cela permet aux journalistes de repartir avec du contenu exclusif que les autres n’ont pas. On ne vient pas seulement se balader, on vient aussi chercher de l’inédit pour nos lecteurs, nos téléspectateurs, nos auditeurs.

C’est l’un des combats que vous menez depuis la création du Réseau des Journalistes Culturels du Cameroun, dont vous êtes la présidente fondatrice. Vous défendez la presse culturelle et souhaitez la faire grandir. Si un journaliste vous lit ou vous écoute, quel message-clé lui adresseriez-vous pour renforcer son potentiel et asseoir sa légitimité ?

Il doit d’abord se considérer comme un produit de très haute valeur. Selon mon expérience, beaucoup s’affaiblissent à la première critique. Pourtant, je dis que c’est la meilleure spécialisation du monde. Il faut se considérer comme une valeur, car on touche à quelque chose que les autres ne touchent pas. Être sur une scène de live, c’est presque divin. Le journaliste culturel est le transmetteur des héritages des autres. Il est important. Sans lui, tout cela peut disparaître.

Il faut défendre cette valeur, ne pas permettre à n’importe qui de la dénigrer. Avant de se lancer, il faut se poser la question : comment considère-t-on les journalistes culturels ? Aujourd’hui, beaucoup veulent entrer dans ce domaine parce qu’ils ont vu notre travail. On leur a montré que notre sac n’est pas un sac vide, même s’il est modeste, il est rempli de sens.

C’est une question d’état d’esprit. Nous sommes investis d’une mission. Dieu est le premier créateur, et ce que nous voyons dans chaque communauté, ce sont les semences qu’il a déposées. Celui qui les voit est un esprit élevé. Il faut se dire : « J’ai de la valeur. Et si on ne m’en donne pas, j’en crée. » Il ne faut pas attendre que quelqu’un d’autre construise ton secteur. Il faut bousculer les lignes, prendre la machette et débroussailler le terrain.

Beaucoup n’aiment pas l’effort. Ils disent : « On ne m’a pas donné de perdiem. » Mais pourquoi ne pas créer de la plus-value pour qu’on ne vous donne plus 2 000, mais 100 000 FCFA ? Il faut que votre plume vaille ce prix. Il faut se positionner comme un produit, rechercher les codes du marketing pour vous aider. Si on ne vous invite pas, ne venez pas. Ou alors, si vous êtes au courant, venez avec assurance. Ne vous ridiculisez pas à l’entrée. Si vous êtes freelance et qu’on ne vous recrute pas, utilisez votre mur Facebook. Faites vos chroniques, racontez vos voyages, vos immersions culturelles. Très souvent, les jeunes pensent que nous sommes dans des entreprises déjà établies. Non. Il faut être soi-même un créateur de richesses. C’est ça. Pour conclure, je dirais simplement : il est temps de croire en la presse culturelle, de l’investir, de la structurer, et surtout de la considérer comme un levier de développement. Nous avons les talents, les idées, les outils. Il ne reste plus qu’à les mettre en mouvement.

Pour conclure, la France est à l’honneur dans cette émission, notamment pour son modèle de conservation patrimoniale, reconnu mondialement et considéré comme un pilier dans la marche des peuples. Quelles opportunités ce modèle peut-il offrir à l’Afrique, et particulièrement au Cameroun, en matière de tourisme culturel et de valorisation du patrimoine ?

Justement, c’est le modèle économique qu’il faut observer. La France n’a pas de bois, ni de grandes matières premières, si l’on prend le terme dans son sens le plus strict. Ce qu’elle a, c’est sa culture. Ce qu’elle a, c’est son tourisme. Pourquoi la France a-t-elle défini Paris comme capitale mondiale de la mode ? Parce qu’elle a su ancrer cette idée dans l’imaginaire collectif. Et à force d’y croire, le monde entier y croit aussi. Les médias culturels ont été un levier pour changer le regard du monde sur la France. Et vous voyez comment elle investit dans la culture.

Les pays africains, et le Cameroun en particulier, doivent s’inspirer de cela. Il faut regarder comment certains pays génèrent des revenus culturels supérieurs à ceux de l’industrie automobile. Rien que les entrées à la Tour Eiffel rapportent des sommes colossales. Nous, cela fait dix ans que nous organisons la Coupe du Monde de la Presse Culturelle. Il faut donc travailler sur le subconscient collectif.

Les médias français sont présents partout dans le monde, y compris en Afrique : RFI, France 24… Tandis que nos médias publics restent cantonnés au territoire national. Certains ne sont même pas captés dans certaines régions. Il faut réfléchir à cela. On ne peut pas toujours compter sur les recettes des matières premières. Nous avons un soft power puissant, qui ne demande pas d’investissements faramineux. Il faut le reconnaître et l’exploiter.

En matière de conservation, c’est pareil. Ici, on détruit nos cases patrimoniales, nos bâtiments historiques. Un édifice construit en 1800 est rasé pour faire place au béton. Là-bas, ils restaurent. Regardez la cathédrale Notre-Dame de Paris : elle a brûlé, mais ils l’ont reconstruite à l’identique, en allant chercher la même pierre utilisée à l’origine. Nous, on efface tout. Pourtant, ce que les gens viennent voir, ce n’est pas juste le bâtiment, c’est l’histoire qu’il incarne. Le château de Versailles attire des millions de visiteurs parce qu’il raconte une histoire. Qu’est-ce qui nous empêche, nous aussi, de créer des récits ? Certains sont même inventés, mais ils captivent parce qu’ils sont portés par un storytelling fort. C’est une narration, un discours. Et vous entendez souvent le président dire : « Changeons de narratif. » Il faut se valoriser. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place.

Aujourd’hui, au Cameroun, quand quelqu’un mange de l’okok, il dit que c’est « villageois ». Quand il mange du ndolé, il le dévalorise. Mais s’il mange une pizza, il se sent valorisé. Si l’État italien n’avait pas investi dans la presse culturelle pour promouvoir sa gastronomie, nous ne mangerions pas de pizzas ou de spaghettis comme nous le faisons aujourd’hui. Il faut que nos États comprennent les enjeux du pouvoir culturel, du donner et du recevoir.

Aujourd’hui, on parle de « continent », ce n’est pas l’État qui l’a décrété, c’est le peuple qui s’est affirmé. Il faut que l’État saisisse cette opportunité. Il faut investir pour que le monde entier sache que nous sommes un continent. Et cela commence par les mentalités, dans tous les corps de métier concernés : la police, les services de visa, tout doit être facilité pour que les gens puissent venir découvrir notre culture. Il faut des restaurants qui reflètent cette identité, des infrastructures qui incarnent ce statut continental. C’est là que les acteurs culturels doivent être pris au sérieux, et non négligés.

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