Par Moussa Noya, politologue
A la faveur des revendications socioprofessionnelles des avocats et des enseignants, la récupération et la manipulation aidant, l’on a vu une floraison des thèses fédéralistes et sécessionnistes. Aussi, face à la proposition du Gouvernement camerounais de renforcement du processus de décentralisation en cours, un certain nombre d’acteurs politiques, anglophones et même francophones, présentent-ils la fédération ou la sécession comme les seules solutions viables à la situation qui prévaut depuis quelques temps dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest.
Mais à y observer de près, ces théories affichent de nombreuses failles et dangers pour la sureté nationale et la sécurité des citoyens.
La forme de l’Etat est un moyen et non une fin
Nombreux sont les fédéralistes, entrepreneurs politiques faisant preuve d’une bonne dose de mauvaise foi, qui font comme si une fois le fédéralisme adopté comme forme de l’Etat, tous les problèmes que rencontrent les populations se trouveront résolus comme par un coup de baguette magique.
Le fédéralisme est alors présenté, à des populations qui au demeurant ont souvent une connaissance institutionnelle et une culture politique lacunaires, comme un sésame qui ouvrira comme par enchantement la porte à une société digne des contes des mille et une nuits.
Cependant, ce paradis promis avec emphase par des acteurs politiques aux allures de manipulateurs, fait allègrement l’impasse sur la réalité qui veut que la forme de l’Etat soit plus un moyen qu’une fin en soi.
Ainsi, ils oublient de faire savoir que le Nigeria qui est un Etat fédéral, et qui est le plus proche et plus grand voisin du Cameroun est loin d’être un modèle de bonne gouvernance ou de cohésion nationale au sein des Etats fédérés.
En effet, le fait d’être un Etat fédéral ne fait qu’on soit automatiquement mieux gouverné, ou que l’on vive un bien-être généralisé. Indifféremment, qu’un Etat soit fédéral ou unitaire, il peut être corrompu, éprouver des difficultés à répondre aux besoins des populations, dictatorial et vénal.
Par ailleurs, la cohésion sociale n’est pas du tout garantie du fait qu’on soit fédéral, car au sein des Etats fédérés, il existe toujours des micro-identités, sous formes de tribus ou de clans, qui peuvent être mobilisés par des acteurs véreux, et adopter des positions et des postures conflictuelles.
Il apparait alors que quel que soit la configuration de l’Etat, la construction de la Nation, la légitimation du pouvoir, la cohésion sociale, la promotion du bien-être, la lutte contre la corruption, etc., participent plus de la volonté politique.
En outre, si la trajectoire historique et la configuration géographique d’un pays peuvent faire qu’on ait l’impression qu’il serait mieux qu’il soit fédéral, le cas de la République Démocratique du Congo démontre à suffisance que du temps où il était un Etat unitaire, il était plus soudé, plus stable et plus développé qu’actuellement où il a la forme d’une fédération. Alors gare aux prescriptions toutes faites.
Une surcharge institutionnelle
Mieux encore, le Cameroun a eu à faire pendant près d’une décennie l’expérience du fédéralisme. Qu’il est alors curieux de voir comment certains acteurs politiques qui ont bel et bien connu cette période, tendent à présenter de manière fort malhonnête cette époque comme étant un âge d’or.
En effet, durant les onze ans du fédéralisme, les Cameroun connaissait d’importantes difficultés structurelles du fait de la surcharge institutionnelle. Car l’on avait trois assemblées nationales, trois gouvernements, deux inspecteurs gouvernementaux, trois cours suprêmes, un vice-président et un président de la République.
A cela, il fallait ajouter de dizaines d’autres d’administrations qu’il fallait dupliquer de part et d’autre des Etats fédérés, sans compter des spécificités territoriales dont il fallait tenir compte comme la « House of Chiefs Assembly ».
Si l’on retournait au fédéralisme, et surtout dans la configuration que demandent ces opposants et activistes, l’on aurait alors pas moins de onze assemblées nationales, onze gouvernements, onze sénats, onze cours suprêmes, plusieurs vice-présidents, un président de la République, etc.
Auxquels il faudrait additionner d’innombrables autres institutions tels que le Conseil constitutionnel, la cour de sureté de l’Etat, la Haute cour de justice, les conseils régionaux et départementaux, les communes, etc.
Il est alors pour le moins embarrassant de voir ces opposants et activistes qui d’habitude se plaignent de la taille du gouvernement ou encore du cout de certaines institutions comme le sénat de la République, dont ils peignent souvent la vacuité de l’utilité, être aujourd’hui les partisans d’une telle inflation institutionnelle.
Surtout qu’une telle configuration hypertrophique des institutions demande d’importants moyens et ressources pour leur mise en place et implantation territoriale, la rémunération du personnel administratif et politique, etc.
Par ailleurs, la multiplication des institutions engendre forcement des conflits d’attributions comme on le vivait régulièrement sous le Cameroun fédéral. Situation qui serait décuplée dans une configuration de quatre, cinq ou encore dix Etats fédérés.
Exacerbations des replis identitaires
L’on est bien perplexe de voir comment certains entrepreneurs politiques et activistes ont une inclinaison oblique à présenter la zone anglophone comme étant une unicité culturelle. Or, les « anglophones » comme on les appelle sont répartis au sein des groupements tribaux et identitaires aussi variés que dans le Cameroun tout entier. Ainsi, l’on a des anglophones Grassfields apparentés aux bamilékés, certains qui sont des peulhs comme la communauté du milliardaire Baba Danpoulo, des peuplades côtières tels que les Bakweres de Chief Endeley ou encore des populations anglophones forestières notamment les Bafwas de Chief Mukete.
Et durant la période fédéraliste du Cameroun, l’on a eu aisément à constater et à observer comment ces entités tribales étaient manipulées à des fins électoralistes par les leaders anglophones. Donnant lieu à des confrontations épiques et iniques entre Emanuel Endeley, John Ngu Foncha, Ngom Jua ou encore Victor E. Mukete.
Il est alors clair que dans un pays où la manipulation tribale est le passe-temps favori de certains politiciens faisant preuve d’une inconsistance idéologique et d’une incohérence programmatique déconcertantes, le retour au fédéralisme serait une occasion idoine d’exacerbation des replis identitaires.
L’on n’ose pas alors imaginer les conflits qui en résulteront, surtout dans le cadre d’un Etat fédéral à dix Etats fédérés
Gare à la Sud-soudanisation de la politique camerounaise
Le Soudan a connu la plus longue guerre civile d’Afrique qui aura duré pendant plus de 27 ans. Les différents « experts » et « analystes » du Continent Africain y voyaient alors, sur la base du discours officiel des leaders politiques du Sud-Soudan, une confrontation sur la base identitaire entre d’une part les arabes et musulmans du Nord, et d’autre part, les bantous animistes et chrétiens du Sud. Et comme solution, la communauté internationale n’avait trouvé d’autre solution magique que la partition de l’Etat Soudanais, qui a été matérialisée en 2011.
Mais très vite, le monde va déchanter. Jamais le Sud-Soudan n’aura connu un tel niveau d’horreurs comme ce que l’on vit depuis quelques années. La lutte armée qui a succédé à la guerre civile est si violente qu’on est souvent dans des situations de génocides.
En fait, la communauté internationale est bien obligée de reconnaitre que le problème n’était ni religieux ni linguistique encore moins anthropologique. Il s’agissait tout simplement de conflit de pouvoir en vue de la maitrise des ressources pétrolières du Sud-Soudan.
Ainsi, quand l’on observe la vacuité de la plupart des positions et propositions de certains politiciens et activistes anglophones, et surtout leurs circonvolutions constantes dans leurs revendications, en vue d’instaurer à chaque fois une impasse dans les négociations, il est clair que le problème se trouve ailleurs que dans les griefs socioprofessionnels.
Il faut dire que depuis des lustres, l’exploitation pétrolière qui a cours dans la zone du sud-ouest du Cameroun constitue une véritable fixation pour certains entrepreneurs politiques anglophones. Ceux-ci sont alors prêts à faire feu de tout bois pour avoir la mainmise sur cette ressource, n’hésitant pas à distiller de dangereux fantasmes au sein des populations locales.
Le vrai problème de ces activistes n’est alors véritablement pas la marginalisation linguistique des anglophones, mais le pétrole. Ainsi, certains entrepreneurs politiques anglophones, qui savent qu’ils n’ont nullement l’étoffe et savent pertinemment qu’ils ne peuvent pas être élus au plan national, espèrent qu’au travers du fédéralisme et surtout de la sécession, ils pourraient enfin avoir voix au chapitre et pourront ainsi gérer à leur seul profit, les ressources pétrolières de la zone anglophone. C’est justement ce qu’a avouer un « leader » anglophone comme Ayah Paul Abine, pourtant Avocat Général à la Cour suprême du Cameroun, qui pour expliquer l’incohérence de sa démarche politique, « vous les camerounais avez gérer notre pétrole pendant plus de quarante ans ! ». Se faisant ainsi le héraut de la cause sécessionniste, alors qu’il a été candidat à l’élection présidentielle au Cameroun, sous la bannière de People’s Action Party (PAP).
Il est alors urgent, pour les Camerounais qui sont encore lucides dans leur très grande majorité, d’éviter de tomber dans le piège de la Sud-soudanisation de la vie politique camerounaise.