Pendant longtemps, le gouvernement camerounais a conjuré les maux du pays à travers les mots. Au point où, rarement un pays africain aura fait montre d’une telle productivité discursive dans la gestion des affaires publiques. Mais au-delà de cette créativité linguistique, force est de constater que la réalité se fait de plus en plus dure, et que la fonction cathartique du verbe opère de moins en moins. Voici quelques-unes de ces formules qui sont désormais totalement inopérantes et qui traduisent toute l’incapacité et l’impotence des gouvernants camerounais ces derniers temps.
« Le Cameroun émergent à l’horizon 2035 »
Au début des années 2000, et à la faveur du changement de paradigme chez les partenaires au développement, les pays africains sont désormais à la mode de l’émergence. Le Cameroun ne fait pas exception et fixe la sienne en 2035. Pour cela, le gouvernement va élaborer comme cadres logiques les documents stratégiques de réduction de la pauvreté (Dsrp 1 et 2) et plus tard les documents stratégiques pour la croissance et l’emploi (Dsce 1 et 2). Tous ceux-ci fixent un ensemble de mesures à prendre dans tous les domaines, notamment les infrastructures, l’énergie, l’administration, la justice, la fiscalité, les mines, l’éducation, la formation, etc. L’objectif étant de réaliser un taux de croissance à deux chiffres pendant au moins 20 ans, pour faire du Cameroun un pays semblable au Brésil ou à l’Afrique du Sud. A pratiquement 15 ans de l’échéance, force est de constater que dans tous les secteurs, l’on est très loin du compte. Résultat des courses, le pays de Paul Biya peine à faire 5 % de taux de croissance annuelle, quand il ne frise pas tout simplement la récession. Il apparait alors clairement pour tout le monde que cet objectif, longtemps ressassé dans tous les discours officiels, telle une psalmodie, est désormais davantage du domaine du fantasme que de l’ordre des possibles.
« Le Cameroun est un pays de paix »
Pendant longtemps, la paix a été présentée comme étant l’un des principaux bilans du Renouveau. Au point où l’on se demandait si à son accession à la magistrature suprême en 1982, Paul Biya avait trouvé un pays en guerre. Mais depuis 2014, les choses ont bien changé. Après avoir nié la réalité, au point de menacer ceux qui en parlaient, à l’instar du journaliste Guibaï Gatama, les autorités camerounaises se sont résolues à avouer que le pays est en guerre. Aux incursions de Boko Haram se sont ajoutées, les activités des rebelles centrafricains à l’Est et surtout la crise dans les régions anglophones. Tandis que l’insécurité est plus qu’omniprésent dans les villes et villages, avec des cas dramatiques comme ceux de l’Adamaoua. Et plus que jamais la paix est un lointain souvenir.
« Le Cameroun est une république une et indivisible »
Dans sa démarche habituelle, à son début, les autorités camerounaises, l’élite anglophone en tête, ont tenu à nier la réalité d’une spécificité du sous-système anglo-saxon et par ricochet d’un problème anglophone au Cameroun. Et comme une incantation salvatrice et repoussoir de mauvais sort, les gouvernants et leurs partisans se plaisaient à répéter à tue-tête que le Cameroun est une nation une et indivisible, et qu’il était hors de question d’envisager la moindre discussion portant sur la forme de l’Etat. Le retour au fédéralisme étant une incongruité impensable. Les propos du premier ministre, Dion Ngute, lors de sa première visite en zone anglophone et surtout la riposte suite à la contradiction d’Atanga Nji, ont permis de comprendre que face à la réalité du terrain, les positions ont plus qu’évolué, et que l’arrogance du pouvoir de Yaoundé est désormais révolue. Plus que jamais, l’unité nationale semble être une fiction et l’indivisibilité du territoire remise en question.
« Le Cameroun sera prêt Le jour dit ! »
« D’autres aventures sportives se profilent à l’horizon, d’autres conquêtes sportives vous attendent ; la CAN 2019, c’est déjà demain ; vous avez rendezvous avec l’Afrique sportive ici-même au Cameroun. Et le Cameroun sera prêt le jour dit. J’en prends l’engagement ! ». C’est en ces termes que le président Paul Biya, devant un parterre d’athlètes, avait tenu à rassurer l’opinion publique nationale et internationale. Il faut dire que quelques jours avant, le président de la CAF, Ahmad Ahmad, avait présenté de sérieuses réserves quant aux capacités du Cameroun à pouvoir accueillir la compétition africaine de football qui lui avait été confiée depuis 2014, en déclarant : « je ne suis pas sûr que le Cameroun soit prêt à organiser la CAN (…) Beaucoup de choses manquent encore, et il reste très peu de temps (…)Le Cameroun est toujours confronté à de gros problèmes concernant les infrastructures comme les terrains et mêmes les hôtels ». D’ailleurs, tout porte à croire que la cérémonie du 11 aout 2017 au cours de laquelle Paul Biya recevait les médaillés des compétitions internationales -une grande première- n’avait d’autre objectif que d’apporter une riposte cinglante à Ahmad. En pleine campagne électorale, le président de la Caf, affublé de Samuel Eto’o, était venu à la rencontre du président Camerounais. Sur le perron du palais de l’unité, il avait donné toutes les assurances de la tenue de la Can 2019 au Cameroun, faisant savoir que l’instance faitière footballistique continentale n’avait pas de plan B. Mais il avait fallu moins d’un mois pour que la dureté de la réalité ne se fasse sentir. Le pays de Roger Milla se voyait retirer l’organisation de la Can au profit de l’Egypte. Pour couvrir cet échec, une fois de plus on fit recours à l’immensité de notre vocabulaire : le glissement fût ! Depuis lors, au lieu d’un glissement l’on a comme l’impression d’un embourbement. Alors que la promesse avait été faite que tous les chantiers seront livrés à la date de mars 2019, comme initialement prévu, rien n’avance et rien ne bouge. Pire, alors qu’aucun hôtel n’a encore été construit, et que les plateaux techniques des hôpitaux sont en piteux état, les chantiers des stades et des routes engagés sont complètement à l’arrêt. Plus de 2.000 milliards plus tard, la Can n’a jamais été aussi éloignée du Cameroun et ce ne sont pas les propos du ministre algérien des sports, Raouf Salim Bernaoui, et dans lesquels il fait savoir que le Caf aurait demandé à l’Algérie de se tenir prête à remplacer le Cameroun au cas où ce dernier n’arriverait pas à assumer l’organisation du tournoi, qui sont faites pour arranger les choses. Ce d’autant plus qu’après le démenti des autorités camerounaises, il a persisté en affirmant, « Il n’y a pas de polémique sur ce que j’ai dit. Oui, je le redis, il a été demandé à l’Algérie si elle pouvait organiser la CAN 2021. On a eu le feu vert des autorités et on a transmis cela à la FAF, qui a de son côté informé la CAF. On souhaite vraiment que le Cameroun organise cette CAN mais dans le cas contraire, l’Algérie sera prête. Notre pays est la grande maison des Africains. Tout le monde est le bienvenu ».
« Les ennemis tapis dans l’ombre veulent déstabiliser le pays »
Pendant des décennies, la rengaine du gouvernement et de ses soutiens c’était de voir en chaque contestation de leurs actions ou de leur gouvernance, une volonté de déstabilisation. Un rapport de Transparency international ou d’Amnesty international : déstabilisation ! Un article dans la presse internationale ou national ne caressant pas le régime dans le sens du poil : déstabilisation ! Une grève d’étudiants ou de travailleurs : déstabilisation ! Ainsi, tout dissident, tout opposant est une « force endogène en concubinage incestueux avec des forces exogènes pour déstabiliser le pays ». Tout se passe comme si le Cameroun avait des ennemis partout, et qui ne chercheraient que sa chute au quotidien. Pour peu, Cuba, la Corée du Nord ou l’Iran nous envieraient. Mais face aux contradictions inhérentes au système et surtout ses difficultés à adresser de manière convenable les moindres attentes des populations, la théorie complotiste s’évapore et notre responsabilité s’étale plus que jamais au grand jour.
Parler moins, travailler plus !
Si d’aucuns ont coutume de dire qu’au commencement était la parole, il faut que les gouvernants camerounais comprennent que celle-ci ne vaut rien si elle n’est pas préambulaire à l’action. Si le magistère de Paul Biya a été pendant de longues décennies celui verbe, fait de petites formules longuement commentées, plus que jamais les autorités doivent travailler plus qu’elles ne parlent, et surtout comprendre que les mots ne soignent pas tous les maux.
Par Moussa Njoya, Politologue (Défis Actuels 411)