La rémunération des directeurs généraux (DG) d’entreprises et d’établissements publics au Cameroun a toujours été un sujet qui déchaîne les passions et parfois l’indignation. Ces sentiments se sont certainement exacerbés après la publication, il y a quelques jours, d’un rapport du professeur Viviane Ondoua Biwole, enseignante-chercheure à l’Université de Yaoundé II et experte en politiques publiques. Intitulé, «Combien l’État mobilise-t-il pour la rémunération des dirigeants des entités publiques», cette publication qui s’appuie sur des données de la Chambre des Comptes de Cour Suprême et de l’ex-Commission technique de réhabilitation des entreprises publiques et parapubliques (CTR), dresse un tableau clair des rémunérations des dirigeants d’entreprises et établissements publics, entre 2020 et 2024.
Selon ce document, 10 dirigeants ont perçu des salaires totalisant plus deux milliards de FCFA, soit environ 14 millions par mois, excluant les primes et autres avantages. Concrètement, chacun de ces dirigeants, excepté quelques-uns, a reçu un salaire de base mensuel de 6 millions de francs CFA. En plus de ce salaire, diverses allocations viennent s’ajouter, notamment pour le carburant, l’électricité, les communications et les domestiques, plafonnées à 750 000 francs CFA par poste. Ils perçoivent également trois indemnités principales : une indemnité de logement de 1,5 million, une indemnité de responsabilité de 1,2 million, et une indemnité de représentation de 857 000 francs CFA. À cela s’ajoutent des frais d’hôtel particulier d’un million de francs CFA par mois, portant la rémunération mensuelle à environ 13,557 millions de francs CFA. D’autres avantages tels que des primes de fin de mandat, des primes d’ameublement, ou encore la prise en charge pour évacuation sanitaire complètent ce généreux package.
Top 10 des directeurs généraux avec les plus gros salaires
La Cameroon Telecommunications (Camtel) entreprise publique stratégique dans le domaine des télécommunications, a le dirigeant qui a perçu les salaires les plus élevés entre 2020 et 2024. Au cours de la période allant de 2020 à 2022, c’est 518 057 148 FCFA qui lui ont été versés, contre 337 371 432 FCFA, entre 2023 et 2024. Viennent ensuite les directeurs généraux de la Société de Développement du Coton (Sodecoton), de la Société nationale des Hydrocarbures (SNH) et la Société nationale de raffinage qui ont perçu les mêmes montants que leur homologue susmentionné. A la cinquième place on retrouve le directeur général de la Compagnie camerounaise d’Aluminium (Alucam), qui a perçu 518 057 148 entre 2020 et 2022, et 224 914 280 FCFA en 2023- 2024.
Le directeur général de la Cameroon Development Corporation trône à la 6e avec des salaires consolidés de 345 371 420 FCFA entre 2020 et 2022 et 224 914 280 entre 2023 et 2024. Le directeur général de Aéroports du Cameroun (ADC) a perçu un montant consolidé de 259 028 556 FCFA représentant l’enveloppe globale des salaires qu’il a encaissés entre 2020 et 2022. Entre 2023 et 2024, c’est 168 685 704 FCFA qui lui ont été versés par le trésor public. Le directeur général de la Cameroon Airlines (Camair-Co) fait aussi partie de la liste de ces dirigeants d’entreprises publiques ayant de fortes rémunérations. Il a touché 259 028 556 de FCFA entre 2020 et 2022 et 116 457 136 de FCFA entre 2023 et 2024.
Les DG de Camwater ont perçu 259 028 556 FCFA en 2020-2022, et 168 685 704 FCFA entre 2023-2024. Le directeur général de la Cicam referme ce top 10 avec des salaires de 259 028 556 de FCFA entre 2020 et 2022 et 140 571 440 FCFA entre 2023 et 2024.
Des rémunérations déconnectées des performances économiques
Ce qui frappe dans cette étude, c’est le décalage entre la rémunération perçue par les dirigeants et la performance réelle des entreprises qu’ils dirigent. Camair-Co, la compagnie nationale aérienne en est le parfait exemple. Malgré une masse salariale élevée pour son DG, l’entreprise a accumulé des pertes énormes, atteignant 13 milliards de francs CFA en 2022. Bien qu’une amélioration de 6 % ait été notée en 2023, les capitaux propres de l’entreprise restent dans le rouge, passant de -118 milliards à -44 milliards en seulement deux ans. Cette situation reflète une gestion inefficace qui persiste malgré les nombreux appels à la restructuration.
Entre 2020 et 2024, plusieurs entreprises publiques ont vu leurs performances s’effondrer. Ces contreperformances s’accompagnent néanmoins de rémunérations qui restent élevées, alors même que la productivité de ces entités est en chute libre. La Cicam colle parfaitement à cette description. L’entreprise continue de s’enfoncer dans les abysses de la contreperformance. Entre 2020 et 2023 elle est passée de la catégorie 3 réservée aux entreprises dont le chiffre d’affaires oscille entre 50 et 10 milliards, à la 4ème catégorie ou sont rangées les sociétés qui produisent un chiffres d’affaires de 10 et 5 milliards. Dans le classement sus-réalisé, seules Camtel, Sodecoton, la SNH et la Sonara se sont maintenus dans la même catégorie entre 2020 et 2023.
Elles font partie de la catégorie 1, celle réservée aux entreprises qui produisent plus de 100 milliards de chiffre d’affaires. Alucam, dont le directeur général jouit des privilèges financiers quasi similaires à ceux octroyés aux dirigeants des entreprises évoquées supra, est passée de la catégorie 1 à 2 (réservée aux entreprises avec un chiffre d’affaires compris entre 50 et 100 milliards), avec une dégradation d’au moins 40 milliards de son chiffre d’affaires. La CDC a stagné à la catégorie 2, tout comme ADC et Camwater qui se sont maintenus dans la troisième catégorie avec un chiffre d’affaires qui varie entre 10 et 50 milliards de FCFA. «Il ressort de ce qui précède que les dirigeants d’entreprises en stagnation et régression coûtent plus cher à l’État, sans véritablement produire la valeur attendue de manière importante, soit un montant global de 16,1 milliards de FCFA, contre 2,2 milliards de FCFA pour les dirigeants dont l’action permet de créer de la valeur », commente l’universitaire dans cette analyse rendue publique le 29 août dernier.
De plus, un rapport publié par la Commission technique de réhabilitation (CTR) des entreprises publiques du Cameroun au 31 décembre 2022 révèle une situation critique pour plusieurs grandes entreprises. Ces entités, parmi lesquelles Alucam, Sonara, Camtel, Camwater, Camair-Co et la CRTV, cumulent des dettes à court terme atteignant 2 179,3 milliards de FCFA, compromettant ainsi leur solvabilité, leur liquidité, et leur rentabilité. Le rapport souligne que près de 72,4 % de cette dette est concentrée dans les secteurs des hydrocarbures, de l’eau et de l’électricité, dominés par Sonara et l’Électricité Development Corporation (EDC). Les secteurs des postes et télécommunications, avec Camtel et la CRTV en tête, représentent 11,7 % des dettes. De plus, les entreprises peinent à s’acquitter de leurs obligations fiscales et sociales, avec une dette fiscale atteignant 574,9 milliards de FCFA (24,9 % de la dette totale) et une dette sociale de 114,372 milliards de FCFA (5,24 %).