Alors que la parenthèse de l’élection présidentielle se referme avec son lot d’émotions et d’incertitudes non encore totalement contenues, la réflexion sur les enjeux du développement économique devrait reprendre ses droits afin de sortir le Cameroun de l’abîme dans lequel il s’enlise doucement et peut être même inexorablement si rien n’est fait pour changer de trajectoire. Dans un tel contexte, la relation avec les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) prend toute sa place et particulièrement avec le Fonds Monétaire International (FMI) dont la seule évocation suscite de la controverse voire de l’appréhension. Une controverse qui confine à certains égards, à l’irrationnel et parfois teintée de dogmatisme et d’idéologie.
L’appréhension quant à elle pourrait se résumer à l’effroi d’un grand malade qui face à son médecin traitant, redoute à la fois le diagnostic et la thérapie de choc qui s’y prête. Et pourtant le Cameroun a mal à son économie et la présence entre autres, du FMI à son chevet, n’est certes pas une panacée, mais un accompagnement rendu indispensable du fait de la conjonction de plusieurs facteurs que sont, (i) l’état de l’économie et les contreperformances des politiques publiques, (ii) la pusillanimité des institutions publiques peu enclines à mettre en œuvre de manière courageuse et cohérente les réformes parfois audacieuses qu’impose la quête de performance et le respect de la trajectoire fixée, et (iii) la valeur ajoutée réelle qu’apporte le FMI.
UNE CROISSANCE POSITIVE MAIS MOLLE, QUI, RAPPORTÉE AUX PARAMÈTRES SOCIAUX, EST APPAUVRISSANTE

S’agissant de l’état de l’économie camerounaise, c’est devenu une rengaine que de rappeler que les performances des politiques publiques sont sous-optimales à plusieurs égards et les principaux indicateurs macroéconomiques sont suffisamment édifiants. D’après les comptes nationaux publiés par l’Institut National de la Statistique (INS), le taux de croissance du PIB est resté atone voire fragile au regard d’une part des potentialités du pays et d’autre part des objectifs fixés par les autorités.
Le pic de 5,3% réalisé en 2014 n’a plus jamais été atteint et en 2020 il a même été presque négatif (0.7%), certes du fait de la crise planétaire induite par la pandémie du Covid-19. Depuis lors, le taux de croissance oscille autour de 3% (il a été de 3,5% en 2024) et la projection relativement optimiste pour 2025 est d’environ 4%, c’est-à-dire loin, très loin de la moyenne annuelle de 8,1% prévue dans la Stratégie Nationale de Développement SND30. C’est donc une croissance molle qui, rapportée à l’évolution démographique et à d’autres paramètres économiques et sociaux, pourrait s’apparenter à une croissance appauvrissante.
D’après le dernier baromètre de la CEMAC publié par la Banque mondiale en juin 2025, sur une population camerounaise estimée à 29,6 millions d’habitants, 12,6 millions soit environ 42,5% seraient pauvres et vivraient avec moins de 3,65 dollars (2200 F CFA) par jour. Cet appauvrissement est amplifié par l’inflation qui, d’après toujours l’INS, a atteint un pic de 7,4% en 2023 avant de redescendre à 4,5% en 2024, au-dessus de la norme communautaire de 3%. Cette hausse généralisée des prix considérée comme l’impôt des pauvres, érode le pouvoir d’achat particulièrement celui des couches les plus vulnérables.
UNE CRISE DE TRÉSORERIE QUI INDUIT LE RECOURS QUASI HEBDOMADAIRE AUX BONS DE TRÉSOR ASSIMILABLES
Pour ce qui est des comptes publics, la situation du Cameroun est essentiellement caractérisée par un déficit budgétaire couplé à un déficit du compte courant, les fameux déficits jumeaux fortement préjudiciables à l’ensemble de l’économie. En 2024, le solde du compte courant était de – 3,4% du PIB et le solde budgétaire de -1,5%. Ces chiffres traduisent un déséquilibre des comptes extérieurs et un déficit public financé soit par de l’endettement, soit par l’accumulation des arriérés, soit par les deux à la fois. Au-delà du solde budgétaire global, la situation des finances publiques est marquée entre autres, par une persistante tension de trésorerie de l’état dont l’une des manifestations est le recours quasi hebdomadaire au marché régional des titres publics par l’émission des Bons de Trésor Assimilables à 13 semaines (3 mois), 26 semaines (6 mois) ou 52 semaines (un an) pour lever 10 à 15 milliards de F CFA au taux d’intérêt allant jusqu’à 7%.

Pour faire simple, cette pratique est assimilable à un chef de famille qui chaque semaine, va à la tontine emprunter de l’argent pour faire face à ses engagements courants. Après chaque remboursement, il réemprunte immédiatement et ainsi de suite. Une cavalerie financière couteuse. Pour ce qui est de la torpeur à mettre en œuvre les réformes hardies y compris l’application de certaines législations, le cas le plus patent est la gestion des entreprises publiques dont certaines dans des secteurs stratégiques, sont devenues de véritables boulets, obérant la productivité et partant, la compétitivité de l’ensemble de l’économie. Le retard pris dans le secteur du numérique, la qualité et le coût des prestations dans ce secteur en est une parfaite illustration. Que dire de la mise entre parenthèses de l’application de la loi de 2017/011 du 12 juillet 2027 portant statut général des entreprises publiques et particulièrement les dispositions relatives à la limitation des mandats des dirigeants sociaux de ces entreprises ? Une situation de fait, fortement décriée avec persistance par l’universitaire Viviane Ondoua Biwole. Des cris dans le désert. Des exemples des réformes contenues ou différées sont légion et relèvent soit d’un manque de volonté politique, soit de la protection des privilèges, ou tout simplement de l’incompétence. Quelles qu’en soient les raisons, la procrastination et la lenteur dans le processus de prise de décision sont des maux aux conséquences incommensurables.
La réhabilitation de la SONARA ou la construction d’une nouvelle raffinerie devenue un véritable serpent de mer est à mettre dans ce registre. Il en est de même de la SNI dont la décision de réorganisation par décret du 10 juillet 2024 a charrié d’énormes attentes au regard des missions stratégiques de cette entreprise. Plus d’un an après, il y a à craindre que la montagne n’ait accouché d’une sourie car depuis lors, en dehors de la nomination du Président du Conseil d’Administration (PCA), aucune transformation majeure annoncée dans le décret ne semble s’être matérialisée. Dans le secteur de l’énergie électrique ô combien névralgique, la réalisation du barrage de Nachtigal avec ses 420 MW constitue incontestablement une avancée majeure.
Cependant, les difficultés à mettre en œuvre certaines clauses contractuelles liées à l’exploitation de ce barrage, la persistance du déséquilibre financier de l’ensemble du secteur, pourraient retarder voire compromettre les perspectives de développement de ce secteur, situation fortement préjudiciable à l’ensemble de l’économie. Quid des atermoiements dans la réalisation des infrastructures de transport (routes, autoroutes) ou encore des contrats mal négociés et qui conduisent à des contentieux aux conséquences financières désastreuses (péages routiers, contrats miniers etc). La parfaite illustration est l’affaire Sundance relative à l’exploitation du gisement de fer de Mbalam, affaire encore pendante depuis 2022 devant la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) alors que la compagnie australienne réclame au Cameroun 5,5 milliards de dollars de dommages, soit environ 3300 milliards de F CFA (près de 45% du budget annuel de l’Etat).
UN NOUVEAU PROGRAMME AVEC LE FMI PERMETTRAIT D’ACTIONNER AU MOINS TROIS LEVIERS AUX RETOMBÉES POSITIVES
Dans un tel contexte, quelle serait la valeur ajoutée d’un programme avec le FMI ? Il convient de rappeler que c’est le pays qui, en fonction de l’état de son économie et de ses besoins, sollicite l’assistance du FMI dans le cadre d’un programme. Le faire n’est pas (de manière absolue) une perte de souveraineté encore moins une mise sous tutelle même si elle s’accompagne de contraintes et de conditionnalités.
Il s’agit avant tout de l’exercice d’un droit que confère le statut de membre de cette institution qui s’apparente à une caisse de crédit mutuel pour les pays. Chaque membre peut y faire des placements ou solliciter des prêts. Cela dit, en ce qui concerne le Cameroun, un nouveau programme avec le FMI permettrait d’actionner au moins trois leviers aux retombées positives notamment, (i) des ressources financières, (ii) la mise en œuvre des réformes qui vont avec les conditionnalités et le rétablissement de la confiance des partenaires, et (iii) l’assistance technique et le renforcement des capacités dans des secteurs spécifiques. S’agissant des financements, les prêts du FMI sont essentiellement à taux d’intérêt raisonnable voire concessionnel.
Ceci est indéniablement un précieux avantage dans un environnement mondiale caractérisé par, d’une part la raréfaction des ressources et d’autre part le renchérissement des conditions des prêts sur le marché des capitaux. Ces prêts ne sont pas destinés au financement de projets spécifiques comme le font les banques de développement, mais constituent en quelque sorte des appuis budgétaires permettant au pays de faire face à des problèmes de liquidité ou au paiement des engagements internationaux (financement des importations, remboursement de dette etc.).
Au regard du solde courant et du déficit budgétaire persistants mentionnés plus haut, un financement du FMI serait une bouée de sauvetage pour le Cameroun qui par ailleurs pourrait pâtir des contreperformances des autres pays de la CEMAC. Rappelons que le dernier programme qui s’est achevé en juin 2025 et appuyé par trois accords de financement a permis au Cameroun de bénéficier d’une assistance financière globale de 956,1 millions de dollars soit environ 590 milliards de F CFA.
COMME SI ELLES AVAIENT ABDIQUÉ DE LEURS RESPONSABILITÉS, CES AUTORITÉS SE DÉFAUSSENT SUR FMI QUI LES ENJOINT À METTRE DE L’ORDRE DANS LEURS PROPRES AFFAIRES
Pour ce qui est de la mise en œuvre des réformes, cette composante du programme constitue ce qui pourrait s’assimiler à une assistance vertueuse qui traduit à certains égards les difficultés (pour ne pas en dire plus) des autorités à s’approprier lesdites réformes et de les mettre en œuvre de manière autonome, volontariste et courageuse. Comme si elles avaient abdiqué de leurs responsabilités, ces autorités se défaussent sur FMI qui les enjoint à mettre de l’ordre dans leurs propres affaires par le biais des conditionnalités (repères structurels ou quantitatifs).
A titre d’illustration, alors que l’on se serait attendu à une action volontariste de l’Etat, c’est le FMI qui, en 2022, enjoint le Gouvernement à procéder à : (i) un audit par la Chambre des Comptes de la Cour Suprême et sa soumission aux services du FMI, au Premier Ministre, au Sénat et à l’Assemblée Nationale ; (ii) la publication des informations sur les marchés en rapport avec la COVID-19 et, (iii) la publication du rapport d’exécution du Compte d’Affectation Spécial COVID-19 ».
C’est encore le FMI qui dans le cadre des conditionnalités du programme triennal appuyé par la Facilité Elargie de Crédit (FEC) et le Mécanisme Elargi de Crédit (MEDC), exige de l’Etat du Cameroun « La finalisation et la publication des textes d’application de la loi 2016/017 du 14 décembre 2016 portant code minier ». Fallait-il attendre que ce soit le FMI qui exige « la finalisation de l’étude diagnostique de CAMTEL, du PAD (Port Autonome de Douala) et de CAMWATER » ? Si ce n’est pas de la pusillanimité, ça y ressemble. Dans un éditorial mémorable de Cameroon Tribune du 22 septembre 1987 (déjà), Henri Bandolo, de regrettée mémoire, s’alarmait : « Evacués les facteurs exogènes dont l’origine, le contrôle et la maîtrise nous échappent, on n’a pas dit grand-chose sur nos propres responsabilités dans cette crise et, notamment, sur la médiocrité de nos élites intellectuelles, cadres supérieurs de la Nation, en charge des affaires de la République ». C’était il y a 38 ans…
Enfin, pour ce qui est de l’assistance technique et des conseils, c’est l’une des missions statutaires du FMI et le Cameroun en a déjà tiré avantage notamment en ce qui concerne la réforme du système de l’administration fiscal ou encore plus récemment le renforcement des capacités de la chambre des comptes de la cour suprême en vue d’un meilleur accomplissement de ses missions de contrôle des comptes publics et juge des comptables et gestionnaires publics.
En somme, si le FMI s’apparente à une caisse de crédit mutuelle pour ses états membres, solliciter opportunément son assistance constitue une bouée de sauvetage macroéconomique pour les pays en développement et émergents qui savent tirer avantage de cette institution qui souffre encore, hélas, d’une réputation écornée du fait, entre autres, des ajustements structurels des années 90 dont la brutalité, à certains égards, a laissé des cicatrices.
Emmanuel NOUBISSIE NGANKAM, Analyste Economique Ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale enoubissie7897@gmail.com