En février 1975, l’intellectuel français publiait aux éditions Gallimard Surveiller et punir, avec pour sous-titre, Naissance de la prison. Si cet ouvrage qui est depuis lors rentré dans les grands classiques est intéressant dans la mesure où il étudie l’émergence historique de la prison son intérêt est plus accru en ce qu’il met en corrélation, le milieu carcéral et la reste de la société.
En effet, loin de l’illusion d’enfermement et de mise à l’écart du reste du corps social, la prison est un milieu très ouvert sur la société, et qui permet de mieux comprendre ses travers.
L’incurie de la bureaucratie
De l’avis de tous, l’une des principales causes de ce qui s’est passé le 22 juillet dernier est la surpopulation carcérale. Prévue pour moins de 1000 détenus, la prison centrale de Yaoundé regorge d’environ 6.000. Mais ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que l’ultra-majorité de ceux-ci est en détention préventive. Certaines sources allant jusqu’à parler des 4/5ème des détenus qui sont en attente de jugement.
Cette situation littéralement inhumaine est la conséquence de l’incurie de ceux qui sont chargés du prononcé des sentences, notamment des magistrats. En effet, il n’est pas rare de voir des personnes attendre des années pour être jugés. La faute aux multiples renvois de complaisance.
Par ailleurs, il est tout aussi récurrent que des personnes soient condamnées et emprisonnées pour des infractions mineures. D’où vient-il qu’en 2019, des gens soient encore envoyés en prison pour « défaut de carte nationale d’identité » ? Cette politique du « tout carcéral » renseigne à suffisance sur le caractère essentiellement répressif de la société camerounaise.
Le pire étant le maintien en détention des personnes ayant déjà purgé l’intégralité de leurs peines, à cause de la fameuse « contrainte par corps », une forme d’amende qu’on doit payer à l’administration pénitentiaire avant de recouvrer la liberté. De nombreux prisonniers démunis et sans assistance aucune passent ainsi des mois voire des années en prison, alors qu’ils ont déjà terminé leurs peines.
La cacophonie gouvernementale
Les dernières mutineries ont été une autre occasion d’étaler au grand jour tout le manque de solidarité et de cohésion gouvernementale. En effet, à la suite de celle-ci, les différents membres du gouvernement concernés ont chacun essayé de faire porter la responsabilité à l’autre.
C’est ainsi que des « fuites » de correspondances entre le ministre de la justice, son homologue de la défense et le secrétaire général de la présidence de la république ont été savamment orchestrées. Dans cette danse macabre, la presse, rangée en clans et en factions au gré des intérêts des directeurs de publication et de leurs affinités avec tel ou tel autre ponte du régime, a été largement mise à contribution.
Le tout au grand dam des populations qui auraient plutôt souhaité que cette mutinerie soit l’occasion d’une véritable introspection des différentes administrations et d’une recherche fondamentale des solutions
Malheureusement, comme à l’accoutumée, on cherche des boucs-émissaires on en profite pour régler des comptes et affaiblir les autres. Tout en se taillant un costume de saint.
Une société d’iniquité et d’inégalité
Dans la relation des évènements de la prison de Kondengui, un évènement semble n’avoir pas retenu pas retenu à sa hauteur toute l’attention qu’il méritait : l’attaque des quartiers des « prisonniers VIP » par les autres prisonniers, notamment ceux du « Kosovo ».
En effet, l’observation de la vie au sein de cette prison jette à la figure toute le caractère inéquitable et inégalitaire de la société camerounaise, dans laquelle cohabitent en réalité deux sociétés. D’une part, une minorité de nantis, et d’autre part un océan de misère.
Alors que la prison devrait avoir pour fonction de dépouiller les uns et les autres de leurs privilèges, d’où l’instauration des uniformes sous d’autres cieux, il n’en est aucunement au Cameroun.
Les autres codétenus estiment qu’après avoir tout eu lorsqu’ils étaient aux affaires, les prisonniers de luxe continuent de tout avoir en prison. Les meilleurs locaux, les égards des autorités, les facilités diverses résonnant comme une prime à la haute criminalité. Car comment comprendre que des personnes soupçonnées ou convaincues de détournement de centaines de millions voire des milliards soient les plus choyées, alors que des délinquants primaires, embastillés pour des délits véritablement mineurs soient réduits à des conditions de détention bestiales.
Risque majeur de revanche sociale
L’attaque des quartiers vip sonne alors comme une revanche de la société sur ces « possédants ». En fait, ce qui s’est passé à Kondengui renseigne sur ce qui risque se dérouler au Cameroun un de ces quatre, du fait des injustices criardes qui en rajoutent chaque jour à la rage populaire. A l’instar des listes des parrains aux concours administratifs qui circulent désormais au vu et au su de tout le monde.
Contrairement à la fausse rengaine tribaliste à la mode dans certains milieux, la « révolte » de Kondengui fait savoir qu’au moment fatidique la confrontation aura lieu, non entre les tribus, mais entre deux camps, celui des « possédants » qui se sont tout arrogés, qui ont tout pris dans leurs assiettes, et celui des « perdants » qui n’ont rien, et à qui tout aura été pris.
Dans la horde déchainée des reclus du Kosovo, l’on avait toutes les tribus. Tout comme parmi les « victimes » des quartiers huppés l’on dénombrait, toutes les ethnies. Le plus déterminant n’était pas l’appartenance ethnique, car seul était pris en compte la classe sociale.
Terrés et apeurés, les prisonniers Vip ont eu tout le « loisir » de constater ce que pensaient d’eux leur entourage. Des gens avec qui ils sont censés partager la même condition déplorable leur ont fait comprendre tout leur ressentissent.
C’est notamment ce qui se passe dans les régions anglophones où l’on constate toute l’incapacité de l’élite à solutionner et adresser la situation qui y prévaut depuis des années. Pire encore, ceux-ci sont pris à partie et considérés littéralement comme les « ennemis » de leurs co-tribaux, qui les considèrent davantage comme les « complices » de leurs « amis de Yaoundé » dans la souffrance quotidienne qui est la leur.