Le 20 aout dernier, les leaders sécessionnistes Sisiku Ayuk Tabe et compagnie se sont vus condamnés à la prison à vie. Ceci à la veille de la rentrée scolaire et pour laquelle une intense campagne de communication, « back to school », avait été engagée pour le retour à la normalité de l’école dans la zone anglophone. Résultat des courses, une rentrée scolaire marquée par de vifs affrontements armés et un exode massif des populations de la zone anglophone.
Face à cet état de choses, les questions font florès, et dont la principale est : pourquoi maintenant ? Plus généralement, c’est la question de l’opportunité des décisions publiques, notamment présidentielles, au Cameroun qui se pose.
Etre et demeurer le maitre du temps
De tout temps, une constance demeure, le président Paul Biya tient comme à la prunelle de ses yeux, à être et demeurer le démiurge, une sorte de « dieu », architecte de l’univers, de créateur, animateur du monde. Aussi, il tient à démontrer à tout moment que c’est lui le seul et unique maitre de ses de décisions, et c’est la société, toute entière qui dépend de lui, et non le contraire. Tout n’ayant de sens et de puissance que de par le président.
Et le moins que l’on puisse dire est que ses collaborateurs et son entourage ont compris et intériorisé cette règle du jeu. Aussi, la meilleure façon de retarder une décision, de décaler un remaniement, voire de maintenir un haut responsable en place, alors que tout militait pour son départ, ou encore de bloquer l’ascension d’un bel promis, est d’organiser des « fuite ». C’est ainsi qu’il faut analyser et comprendre, les différents « articles » et autres « unes » paraissant çà et là et qui se sont donné pour principale activité, les listes des futurs « gouvernements » ou des probables « prisonniers ».
Paul Biya veut ainsi à tout prix démontrer qu’il est le seul maitre à bord de l’avion Cameroun, qu’il dirige au gré de son entendement, de ses ambitions et même de ses humeurs. Pas question pour lui de céder aux pressions des populations, de ses partenaires et même de ses collaborateurs. Pour lui, les urgences sont à l’hôpital et seule la préservation de sa toute-puissance est et demeure sa principale préoccupation.
Surtout qu’en outre, il veut aussi apparaitre comme un thaumaturge, un faiseur de miracle, qui prend toujours l’assistance au dépourvu, dans une forme de contre-pied permanent. Il aime bien à apparaitre là où on ne l’attend pas et à disparaitre là où on l’attend. L’imprévisibilité est ainsi devenue le mode de gouvernement du Cameroun. Une dynamique recherchée et pleinement assumée, et dont le pouvoir central et principal s’en fait sa principale caractéristique.
Mais il faut dire que cette volonté de gouverner seul, cette solitude du pouvoir est loin d’être l’apanage de Paul Biya seul. On la retrouve chez bien de chefs d’Etat à l’instar de De Gaulle, que Roger-Gérard Schwartzenberg décrit en ces termes dans « Le principe de solitude » : « Défiant envers les assemblées, distant envers les partis, l’Elysée se condamne lui-même à la solitude. Car, faute de dialogue, avec les élus ou avec ses propres partisans, que lui reste-t-il pour communiquer avec le pays ? (…) Ainsi va le pouvoir suprême, coupé d’autres relais, mono-informé, donc sous-informé ».
Cependant, ce caractère solitaire du pouvoir est renforcé chez Paul Biya par sa trajectoire monastique au séminaire. Le prêtre, bien qu’étant le « père » de tous, est et se doit d’être, avant tout, un homme seul.
Récompenser les fidèles, punir les dissidents et ignorer les tièdes
Le moins que l’on puisse dire est que les nominations sont le lieu d’expression, ultima ratio, de cette volonté de toute-puissance du président.
A cet effet, la logique de désignations des personnalités aux hautes fonctions, et ce souvent dans des périodes critiques, tourne essentiellement autour des rapports que celles-ci semblent entretenir avec lui, et surtout des comportements qu’elles affichent envers lui.
Ainsi, ce qui prime avant toute chose dans le choix des hommes c’est la « loyauté » envers le chef. L’efficacité, la probité et même la légitimité étant souvent sacrifiés sur cet autel de la démonstration de son obséquiosité vis-à-vis du président. C’est ainsi qu’il faut comprendre les nominations des ministres Paul Atanga Nji et Nalova Lyongha, alors que tout militait pour leur mise à l’écart, notamment à cause de leur activisme dans le cadre de la crise anglophone, et dans un contexte où il fallait calmer le jeu, en sacrifiant les radicaux et autres extrémistes.
Paul Biya met ainsi un point d’honneur à récompenser les fidèles. Le pendant inverse étant qu’il ne lésine également sur aucun moyen pour punir les dissidents. En effet, au-delà de son apparence affable voire avenante, le président de la république met un point d’honneur à punir, et ce le plus durement possible, tous ceux qui, ayant été avec lui, ont pris le large. La trahison étant impardonnable pour lui, il est plus facile pour Paul Biya de nommer un opposant de longue date, qu’un ancien de la maison qui s’est retourné contre lui. Surtout que par cette « éloge de la trahison » au sein de l’opposition, fait de retournements de veste des opposants radicaux, à la Jean De Dieu Momo, le président renforce son pouvoir. Pour ceux qui ont osé l’affronter, après avoir partagé sa proximité, la misère est souvent le meilleur des mondes, tandis que la prison est souvent la destinée.
Dans ce contexte, pas question de jouer les grands esprits et de vouloir faire dans la nuance. Les « tièdes » ne sont ainsi nullement admis à la table du « seigneur ». C’est ainsi que certains « fervents militants » qui veulent souvent se désolidariser par « logique » et veulent faire montre d’une certaine « rationalité » sont très souvent surpris de ne jamais voir leurs noms figurer dans les listes de nommés. Ils sont tout simplement ignorés du fait de leur absence de « solidarité » et de « soutien » systématique et automatique aux actions du gouvernement et du président, quitte à expliquer l’inexplicable. Le ridicule devant être le cadet des soucis.
Préserver des intérêts particuliers
Les décisions publiques au Cameroun semblent être ainsi nimbées par des considérations liées aux particuliers. Que l’on soit dans le domaine des investissements publics, des réformes administratives et structurelles ou encore des nominations, le principal déterminant semble obéir à la volonté de préserver des intérêts particuliers.
C’est ainsi qu’une route est refaite ici, tandis qu’une artère plus importante pour les populations est délaissée, juste pour faire plaisir à un proche ou un « ami » du président. Un haut responsable notoirement incompétent et malhonnête est maintenu en poste du fait de sa grande proximité avec le « pouvoir suprême ». Un texte de loi, telle que celle régissant les entreprises publiques, est ostensiblement violé parce qu’il est hors de questions de congédier certains directeurs, et porter atteinte ainsi aux intérêts de certains affidés. Il e, est ainsi de certaines procédures et affaires judiciaires qui sont bloquées pour ne pas toucher à certaines personnes concernés par le dossier.
L’intérêt général est ainsi sacrifié au profit des intérêts particuliers. Il s’en suit une patrimonialisation de l’Etat qui va en s’accentuant au jour le jour, et qui fonde tous les travers et manquements dans le management de la chose publique.