Une erreur nous a fait écrire dans l’avant-dernier numéro de Défis Actuels que Camrail n’avait indemnisé aucune victime du déraillement de 2016. La question est plus complexe.
Les équipes de Camrail consolident très régulièrement l’état d’avancement du chantier des indemnisations des victimes de l’accident d’Eseka, à en croire des sources internes à l’entreprise qui ont requis l’anonymat. Les chiffres qu’a pu consulter le reporter rendent compte d’une évolution significative du nombre de personnes indemnisées. À la demande des interlocuteurs de votre journal, le détail de l’opération reste confidentiel. Reste que près de 94 % des indemnisations de blessés ont d’ores et déjà été conclues au 30 avril 2020. Le même rapport est observable en ce qui concerne les personnes décédées tandis que le dossier sur les disparus, sans doute le plus complexe, avance lui aussi.
Le fait est que près de cinq ans après l’accident le plus meurtrier de l’histoire du train au Cameroun, la page du désintéressement des victimes n’a pas encore été tournée. La compagnie continue à chercher un terrain d’entente avec toutes les personnes concernées et poursuit les discussions pour parvenir à un accord acceptable par chacune des parties. Même si les tractations se poursuivent encore sur les derniers cas, Camrail se félicite d’avoir réussi à calmer la fureur d’une opinion publique extrêmement attentive sur la question des indemnisations. C’est que la compagnie a très vite compris l’importance d’être proactif. L’opération de désintéressement a débuté courant 2017, c’est-à-dire quelques mois seulement après le sinistre et bien avant les indemnisations au titre de la solidarité nationale commandée par le président de la République Paul Biya.
Dans une lettre au journal français Le Monde en octobre 2017, la filiale de Bolloré, le géant français de la logistique, expliquait que 72 dossiers de personnes décédées avaient été constitués et que 36 accords avaient déjà été finalisés. À noter que le transporteur avait au préalable pris en charge les frais nécessaires pour organiser les obsèques. Le nombre total de personnes blessées ayant finalisé leur dossier médical était quant à lui de 332. À cette date-là, 257 personnes avaient déjà été indemnisées. Ce chiffre a presque triplé en quatre ans.
En plus de ces cas, le document avançait que 580 individus ont reçu une assistance financière pour préjudices sociaux et prise en charge de frais médicaux tandis 711 personnes ont reçu une indemnisation pour pertes de biens matériels. S’il est établi que ces chiffres ont évolué après quatre années supplémentaires de procédure, il est important de souligner que rien n’est évident dans ce dossier. Le fait est que les indemnisations au lendemain de l’accident d’Eseka ont suscité de nombreuses demandes de la part des victimes. Camrail n’a pas pu régler toutes les questions en tête-à-tête avec tout le monde et les procédures judiciaires sont inextricables.
Le volet judiciaire
Dans son courrier au quotidien français mentionné ci-dessus, la société Camrail assurait que « les indemnisations consenties sont très largement supérieures au référentiel institué par la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (CimaLes indemnisations allouées pour préjudices sociaux à près de 580 personnes incluent par exemple des frais de prise en charge d’assistance à domicile, de garde d’enfants, de frais de transport et de frais médicaux. L’indemnisation du préjudice physique a été établie sur la base d’un diagnostic du médecin de la victime, avec l’assistance du médecin de l’assureur de Camrail». Mais à combien s’élève chacune des enveloppes au final ? L’information est confidentielle, «à la demande des familles des victimes», s’est toujours défendu la compagnie.
Le secret ambiant et les procédures judiciaires parallèles ne facilitent pas la compréhension du dossier des indemnisations par le public. Le verdict du procès tenu à Eseka et qui a été rendu en septembre 2018 a condamné Camrail à payer 50 millions de francs CFA de réparations aux 60 victimes défendues par Me Guy-Olivier Moteng. L’avocat demandait à l’époque 2 milliards de dommages et intérêts pour ses clients.
Le montant des indemnités de plus de 220 autres victimes défendues par un second collectif d’avocats n’a pas été déterminé par le tribunal à l’époque. Leurs avocats avaient fait recours. Sur la base des rapports médicaux, ils chiffraient à 152 milliards de francs CFA la taille de l’enveloppe nécessaire pour amortir les dommages et intérêts pour les plus de 220 plaignants défendus par le collectif. Le calme relatif sur ce dossier ces derniers mois a été rompu le 29 avril, après le voyage-test en vue de la relance de l’Intercity, le train responsable du drame il y a cinq ans. Un collectif d’avocat des victimes a commis une tribune où il s’émouvait globalement de la non-prise en compte de l’intérêt des citoyens. Parmi les points de détail soulevés : l’identification de l’assureur de Camrail et l’état de la législation en matière d’indemnisation du fait d’un accident ferroviaire.
Par William Bayiha