« Presque partout, la grande question qui se pose est de savoir si nous devons capituler devant le pessimisme de l’inévitabilité de la guerre ou si nous pouvons encore bâtir un avenir plein d’espoir où la guerre appartiendra définitivement à l’histoire.» Paul Biya l’a demandé à l’auditoire qui assistait à la commémoration du Débarquement de la Provence hier 15 août 2024. Le président camerounais est formel « que les organisations internationales et le système mis sur pied au lendemain des deux guerres mondiales et notamment de la Deuxième guerre mondiale, restent et demeurent perfectibles». Faisant le constat selon lequel « la guerre que l’on pensait à jamais éloignée, frappe aux portes de l’Europe. Elle est désormais plus proche de nous. Des hommes se battent à nouveau à quelques heures d’ici », parlant certainement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui est en train d’embarquer de nombreux pays occidentaux, avec des conséquences au-delà de l’Europe. « Oui les fantômes de l’esprit de revanche, la violation flagrante de la souveraineté des Etats, l’intolérable mépris des peuples resurgissent du passé pour s’imposer dans notre quotidien. Le droit international diversement interprété, l’instrumentalisation des droits de l’homme, l’oubli ou le défi des autres guerres, la volonté permanente de dominer, d’exploiter, de construire un monde à son unique avantage », dénonce Paul Biya. Autant d’«ombres qui nous guettent et dont notre présence devrait révéler les lueurs », lance-t-il.
Le cas Bakassi
« Le plus vieux président en fonction dans le monde », comme aiment à le relever la presse occidentale (Paul Biya a 92 ans dont 42 passés à la tête du pays), regrette que « malheureusement la géopolitique et la géostratégie mondiales restent dominées par la course aux armements. La construction des blocs fait son retour. La guerre froide dont la chute du Mur de Berlin a sonné le glas, est à nouveau d’actualité. De nouveaux acteurs à l‘instar de sociétés paramilitaires agissent çà et là et la guerre se fait par procuration ». Du coup, « si rien n’est fait, le monde se dirige de nouveau vers une ou plusieurs guerres aux conséquences incalculables», met-il en garde la communauté internationale. Celui que les laudateurs voient plutôt comme un sage, enseigne sa méthode aux partisans de la guerre : « le Cameroun pour ce qui le concerne, a de tout temps fait recours au dialogue, aux solutions concertées. Il a fait de la résolution pacifique des différends la clé de sa démarche pour faire échec à la guerre et résoudre les conflits», a-t-il rappelé. Lui qui, malgré l’obstination du Nigéria voisin à faire la guerre pour le contrôle de la presqu’ile de Bakassi, a persisté et fait valoir la raison du dialogue. Aboutissant à une résolution pacifique de ce conflit frontalier, sous l’égide des Nations unies. Avec une issue favorable à son pays en 2002.
Pour ce qui est de l’événement qui réunissait le monde en France, le défenseur de la cause africaine soutient qu’« il n’y aurait pas eu de victoire alliée sans la contribution des autres peuples, sans les étrangers et autres tirailleurs». Du haut du pupitre de la nécropole de Boulouris, à Saint Raphaël, cet endroit mythique qui a vu tomber 464 combattants de l’armée française, le président camerounais a appelé le monde à revenir à la raison et à plus d’humanité. « Aujourd’hui encore, nous sommes là pour nous souvenir de leur vaillance, pour convoquer le souvenir d’une guerre du passé, pour la liberté et rendre à ces héros un hommage appuyé », a-t-il rappelé. « Les milliers d’hommes qui ont combattu avec bravoure étaient pour un grand nombre originaires de l’empire colonial français ; ils venaient entre autres de l’Afrique subsaharienne. C’est dire si la contribution de l’Afrique été significative pour rompre les chaînes de l’occupation allemande», a-t-il souligné. « Cette lutte a été menée ensemble, pour défendre les valeurs et idéaux universels de paix et de justice. Elle exprimait une vision de l’homme et du monde qui nous est commune. Nous les avons combattu cote-à-côte. Cette vision était respectueuse de nos différences, respectueuse de l’infinie diversité des hommes, des cultures, des religions, des civilisations. Cette vision-là reconnaît à chacun de nous un droit égal à la dignité. La solidarité exemplaire qui a ainsi prévalu, reste et demeure une leçon précieuse que nous devons perpétuer et transmettre aux générations futures, afin d’éviter les erreurs commises par le passé », a-t-il sensibilisé la France.
Reconnaissance
S’adressant à une France qui rechigne à accorder la même considération à tous les combattants qui l’ont aidée à retrouver sa souveraineté. Quatre-vingt ans après. Le Débarquement de Provence a souvent été minorée à côté du Débarquement en Normandie qui avait sur la scène entre autres les forces américaines, canadiennes, britanniques,… Mais la France, rattrapée par l’histoire, est obligée de reconnaître cet autre exploit des forces multinationales à sa juste valeur. Cette opération militaire baptisée « Anvil Dragoon » qui a mobilisé 350 000 combattants dont 230 000 Français, et plus de 120 000 combattants venus d’Afrique, pour se battre entre Toulon et Cannes, et parvenir à libérer la Provence. C’était dès la nuit du 14 au 15 août 1944.
Emmanuel Macron le président français, qui quelques jours avant, a reconnu six « tirailleurs sénégalais », rien que six, parmi les victimes, n’avait pas d’autre choix que de saluer l’exploit de soldats africains « qui grimpaient la falaise à main pour affronter l’armée allemande ». Egrenant quelques noms, François, Boudjéma, Nyakara,…le président français soulignera que les libérateurs de la France « venaient de Corse et du Poitou, du Pacifique et d’Algérie, du Sénégal, du Maroc et des Ardennes. Officiers de l’Empire ou du Sahara, natifs de la Casamance ou de Madagascar, anciens poilus de Verdun, ou jeunes hommes précipités dans les tranches des fêtes, ils n’étaient pas de même génération, ils n’étaient pas de la même confession, ils n’étaient de la même condition, ils étaient pourtant l’armée de la nation, armée la plus bigarrée et la plus fervente…les portes de la liberté s’ouvrirent sur leurs pas», a-t-il reconnu.