Crise Anglophone/Conseil de sécurité de l’ONU: Une incontestable défaite pour le Gouvernement !

Après moult supputations, négations, dénégations et autres affirmations, il s’est finalement ténu, le 13 mai dernier, une concertation au conseil de sécurité des Nations Unies sous la forme Arria et visant à faire état de la situation sécuritaire qui prévaut au Cameroun.

Si au sortir de cette réunion, le principe de l’unité et de l’indivisibilité du pays semble acquis pour l’ensemble des acteurs qui sont intervenus, il n’en demeure pas moins que la tenue de celle-ci sonne comme une véritable déconvenue pour le régime de Yaoundé.

Qu’est-ce qu’une réunion Arria ?

Selon le Manuel des méthodes de travail des Nations Unies, les réunions en « formule Arria » (du nom d’un ancien Représentant permanent du Venezuela auprès de l’ONU, Diego Arria, qui a inauguré cette pratique en 1992) sont des rencontres confidentielles et très informelles qui permettent aux membres du Conseil d’avoir, à huis clos et selon une procédure offrant toute la souplesse voulue, de francs échanges avec des représentants de gouvernements et d’organisations internationales (souvent à la demande de ces derniers) ainsi qu’avec des parties non étatiques, sur des questions qui les préoccupent et qui relèvent de la responsabilité du Conseil de sécurité.

Les réunions en « formule Arria » ne sont pas annoncées dans le Journal des Nations Unies. Ainsi, les réunions Arria ne donnent lieu à aucune résolution, communiqué ou déclaration officielle. Dans le cas d’espèce concernant le Cameroun, l’initiative de cette réunion a été prise par les Etats-Unis avec l’appui du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la République dominicaine et plusieurs organisations opérant sur le terrain.

Une défaite diplomatique majeure pour le Gouvernement

Malgré le fait qu’aucune résolution n’a été prise à l’issue de cette réunion et que tous les intervenants se sont prononcés en faveur de la préservation de l’unité et de l’indivisibilité du Cameroun, et d’une aide accrue au pays afin qu’il puisse faire face à la situation humanitaire, il est clair que la tenue de cette réunion est en soi une grande défaite pour la diplomatie camerounaise.

Tout d’abord parce-que celle-ci s’est tenue contre le gré des autorités de Yaoundé, comme le démontrent les propos de Tommo Monthe, Ambassadeur, représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies, qui d’entrée de son propos lors de cette assise a déclaré sans ambages : « D’entrée de jeu, je voudrais vous dire que la présente réunion sous formule Arria ne rencontre pas l’adhésion du Cameroun ». Cette réprobation entrant en droite ligne de celle formulée en matinée dans un communiqué par le ministre camerounais des Relations Extérieures, Le Jeune Mbella Mbella, dans lequel il faisait savoir ni plus ni moins qu’il n’y aurait pas de réunion du conseil de sécurité concernant le Cameroun. De fait, la très grande majorité de l’opinion publique a perçu la tenue effective de la réunion Arria dans l’après-midi comme un camouflet pour le Gouvernement Camerounais, surtout que la plupart des interventions étaient à charge.

Si cette réunion Arria a eu lieu contre la volonté du Cameroun, force est de constater qu’elle est la résultante du lobbying des partisans de la cause anglophone voire des tendances sécessionnistes, qui ont réussi avec brio la « problématisation » et « l’inscription sur l’agenda » des Etats-Unis et des Nations-Unies de la question anglophone. Cette victoire est d’autant plus signifiante si l’on la met en rapport avec l’échec du Gouvernement du Cameroun depuis 2015 à faire discuter des moyens matériels et structurels de la lutte contre Boko Haram au niveau du conseil de sécurité, et ce même de manière informelle. Ce qui trahit une meilleure connaissance des procédures onusiennes par ces lobbyistes anglophones au détriment du Gouvernement du Cameroun. Une situation d’autant plus incompréhensible si l’on considère que l’actuel secrétaire général de la présidence de la république, Ferdinand Ngoh Ngoh, et l’ambassadeur Tommo Monthé sont censés être des vieux routiers des Nations Unies, car ayant servi pendant longtemps à la représentation du Cameroun dans cette institution.

Enfin, la réunion du 13 mai a permis de mettre le Cameroun et ses autorités sous le feu des projecteurs. Car comme l’a dit Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, « Cette réunion est une occasion de rappeler aux auteurs d’abus que le monde les observe. ».

Désormais sous « haute surveillance » de la communauté internationale, le régime de Yaoundé qui avait réussi la prouesse depuis l’indépendance d’imposer un black-out sur ses affaires intérieure peut désormais déchanter et… s’inquiéter.

Des risques majeurs dans les semaines à venir

Ce nouvel intéressement pour la situation du Cameroun fait courir d’importants risques au pays et surtout à ses autorités. Car la situation peut évoluer vers une saisine formelle du conseil de sécurité, et déboucher sur des sanctions contre le pays et le gouvernement. Elles vont des sanctions économiques et commerciales de vaste portée à des mesures plus ciblées, telles que des embargos sur les armes, des interdictions de voyager et des restrictions financières ou frappant les produits de base.

Il convient de rappeler que le Conseil de sécurité est compétent au premier chef pour constater l’existence d’une menace contre la paix ou d’un acte d’agression. Il invite les parties à régler leur différend par des moyens pacifiques et recommande les méthodes d’ajustement et les termes de règlement qu’il juge appropriés. Dans certains cas, il peut imposer des sanctions, voire autoriser l’emploi de la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.

Cette menace s’est davantage précisée lors de l’audience au comité des affaires étrangères du congrès sur la démocratie, le développement et la défense: rééquilibrer la politique américano-africaine, qui s’est ténue le 16 mai dernier. Au cours de celle-ci, Tibor Nagy, le sous-secrétaire d’Etat en charge des affaires africaines s’est voulu plus que clair. « Malheureusement, je crois que les extrémistes autour de lui disent au président camerounais qu’il peut remporter cette victoire sur le plan militaire.
Mais il n’ya aucun moyen qu’ils y parviennent militairement. (…) Nos sanctions sont sur la table, tout est sur la table pour aller de l’avant. Car nous devons mettre fin à la situation. »
a-t-il déclaré lors de cette audience.

L’urgence de rompre avec les vieilles méthodes

Face à ces risques majeurs, dont le gouvernement lui-même est plus que conscient, il convient de prendre en toute urgence certaines mesures. Il s’agit par exemple, et sans aucune prétention à l’exhaustivité, sur le plan politique, d’engager un véritable dialogue inclusif en écartant toutes les personnalités qui ont contribué à envenimer la situation. Dans le domaine judiciaire, le Gouvernement se doit de trouver un moyen idoine de mettre un terme aux poursuites contre les leaders anglophones ainsi que les autres opposants. En matière militaire, il est impérieux de revoir la doctrine de guerre en vigueur dans la zone concernée, en cherchant à tout prix à gagner les cœurs et les esprits des populations. En ce qui concerne la diplomatie, les autorités camerounaises doivent engager une vaste campagne d’information de leurs partenaires internationaux stratégiques sur les réalités du terrain, afin de s’assurer une coopération optimale de ceux-ci.

L’ensemble de ces actions doivent être assurément accompagnées d’une communication plus offensive, plus transparente, tranchant avec les techniques surannées usitées jusqu’à présent, et délaissant la vieille rengaine complotiste.

Par Moussa Njoya, Politologue (In Défis Actuels N° 388 du 23 mai 2019)

 

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