Comment l’usager qui a déposé son argent dans une banque pourra-t-il rentrer en possession de ses fonds une fois que ceux-ci sont transférés pour divers motifs à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC) ? Depuis que la CDEC et les banques bataillent pour le contrôle des fonds en déshérence, soit environ 1500 milliards de Francs CFA laissés par les déposants dans les comptes bancaires inactifs, aucune des parties n’aborde cette question pourtant essentielle : comment s’assurer que le titulaire du compte bancaire ou ses ayants droit puissent accéder à leurs ressources en temps voulu, comme l’exige le décret du Premier ministre ? Ainsi, qu’il s’agisse de la Caisse des Dépôts et Consignations ou des banques, chacune des parties lorgne la juteuse cagnotte oisive qui permettrait aux banques de disposer des ressources à fructifier via des crédits ou à la CDEC de constituer des fonds à placer pour générer des plus-values. Même le communiqué du gouverneur de la BEAC du 7 août dernier, en plus d’ajouter à la confusion par son refus de trancher, s’est curieusement abstenu d’aborder la question centrale du sort de l’usager de banque. Selon des sources proches de la COBAC, ce communiqué du gouverneur intervient quelques jours après une réunion infructueuse à Libreville entre la COBAC et les caisses de dépôt de la zone CEMAC, y compris celle du Cameroun. La tension est montée d’un cran, et la réunion aurait tourné court lorsque le patron de la CDEC du Cameroun a conditionné sa participation au retrait des termes de la lettre de la COBAC suspendant les transferts à la CDEC.
Un encadrement Juridique en vue
Alors que quelques banques camerounaises avaient déjà obtempéré aux injonctions de la CDEC et transféré les fonds réclamés, et que certaines hésitaient encore, se plaçant sous la menace d’un recouvrement forcé, la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC, le régulateur du secteur bancaire) est intervenue le 11 juillet 2024 pour demander aux banques « de surseoir au processus de transfert des avoirs en déshérence au profit de la CDEC du Cameroun en attendant la clarification de la nature de ces avoirs, ainsi que la définition des modalités de conservation, de gestion, voire de restitution de ces valeurs ». L’objectif de la COBAC, à en croire Marcel Ondele, son secrétaire général, est de mettre préalablement sur pied un encadrement juridique pour « maîtriser les risques opérationnels liés à la conservation et la gestion de ces valeurs, ainsi que les risques de contentieux entre les institutions nationales, les institutions financières et les titulaires de ces avoirs ou leurs ayants droit ».
Il n’en fallait pas davantage pour faire bondir le secrétaire général de la présidence camerounaise pour qui la gestion de la CDEC est une affaire camerouno-camerounaise qui ne saurait, selon lui, souffrir l’ingérence de la COBAC. C’est ainsi qu’il a enjoint le MINFI d’« inviter la COBAC à rapporter sa correspondance du 11 juillet 2024 relative à la suspension du processus de transfert des avoirs en déshérence ». À ce jour, le MINFI, destinataire de ces injonctions du SGPR, n’a donné aucune suite connue à la missive comminatoire du SGPR, et les derniers développements, avec notamment la mise sur pied d’un groupe de travail chapeauté par la BEAC pour aplanir les divergences, ne laissent pas présager d’une entrée du MINFI dans le conflit avec la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale. Surtout que, pour le ministre des Finances Louis-Paul Motaze, il est plutôt impérieux de créer et entretenir un climat de confiance relativement aux rôles et missions de la Caisse des Dépôts et Consignations. « Il est important de travailler à dissiper toute forme de suspicion, méfiance et même des réticences à l’égard de l’opérationnalisation de cette nouvelle structure », indiquait-il déjà le 29 janvier dernier à l’occasion de la conférence annuelle des services du MINFI.
Veiller à la résilience du système bancaire
Que vient donc faire la COBAC dans une affaire camerouno-camerounaise ? Pour un expert contacté par Défis Actuels, la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale, qui a été mise sur pied suite à la triste expérience des faillites bancaires des années 90, a pour mission de garantir dans tous les pays de la zone CEMAC l’intégrité des dépôts de la clientèle en veillant à la résilience du système bancaire. « Le simple fait que les fonds à transférer par les banques soient des dépôts de la clientèle suffit pour asseoir la compétence de la COBAC sur le sujet. Elle peut légitimement s’intéresser à l’usage que peut en faire la CDEC et chercher à encadrer les risques que peut prendre la CDEC avec cet argent qui, malgré le transfert, reste la propriété du titulaire initial du compte bancaire, celui-ci devant pouvoir obtenir restitution “à la première demande” comme le stipule le décret du Premier ministre. » Reste que le réveil brutal de la Commission Bancaire a de quoi intriguer. Il existe au Gabon une Caisse des Dépôts qui pose les mêmes exigences que celle du Cameroun, et depuis des années, elle a mené ses activités en roue libre. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de levée de boucliers comme c’est le cas avec celle du Cameroun, s’interrogent légitimement les observateurs ? « C’est une lenteur caractéristique de la COBAC, défend un cadre d’institutions sous-régionales. Elle a davantage tendance à réagir qu’à anticiper. Cette institution a malheureusement toujours fonctionné de cette manière, probablement en raison de ses effectifs limités.
On constate que la COBAC a souvent accusé des retards dans la mise en place d’une régulation adéquate pour certains segments ou opérations. Par exemple, la régulation des microcrédits (pico et nano crédits) ou celle des paiements en ligne, qu’ils soient effectués par des plateformes ou des télécommunications, ont pris du retard. Cependant, il est clair que certains domaines, comme celui des CDEC, nécessitent une régulation régionale », explique notre interlocuteur. Pour nombre d’analystes, il est contreproductif de laisser mariner la CDEC dans une ambiance conflictuelle, et surtout pas contre une instance supranationale qui a toute compétence pour surveiller tout ce qui peut mettre en péril l’épargne des déposants. Ces déposants dont justement aucune des parties en conflit ne parle. Pourtant, les fameux fonds en déshérence qui sont l’objet de la convoitise entre les banques et la Caisse des Dépôts et Consignations sont bel et bien les ressources des déposants. Et ces fonds ne cessent pas d’appartenir à leurs légitimes propriétaires ou ayants droit sous prétexte qu’ils auraient été transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations. Or, jusqu’ici, ni les banques, ni la CDEC n’en font un sujet central dans leurs démarches.
Absence de communication
La campagne de communication plutôt chétive qui a annoncé les transferts de fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations ne dit pas comment les Banques et CDEC s’affrontent pour le contrôle de la cagnotte des fonds oisif estimée à 1500 milliards de Francs CFA, sans un mot pour rassurer les propriétaires de ces fonds que sont les déposants.légitimes propriétaires ou ayants droit pourraient rentrer en possession de leurs avoirs s’ils le désiraient. Alors même que le décret du Premier ministre du 1er décembre 2023 fixant les modalités de transfert des fonds dévolus à la CDEC précise que « les fonds et/ou valeurs transférés à la CDEC sont conservés dans le délai légal et font l’objet d’une restitution à première demande du bénéficiaire ». Comment se passe la restitution ? L’usager qui possédait un compte dans une banque à Kousseri devra-t-il se déplacer à Yaoundé pour faire sa demande de restitution ? Comment se passe cette demande ? En ligne comme dans d’autres pays ? Via un formulaire physique ? Comment le citoyen lambda est-il informé de l’existence et de la disponibilité de ses avoirs à la CDEC ?
Aucune de ces informations essentielles n’est communiquée et tout porte à croire que le dispositif de restitution n’existe pas encore. Pourtant, la mise en place d’un tel procédé de rétrocession, suivie d’une abondante et longue campagne d’information, aurait dû être des préalables absolus au lancement de la campagne de transfert des fonds.
Plutôt défenseur des intérêts des banques dans ce conflit, cet autre analyste préfère souligner le risque de fragilisation des banques si elles sont privées de ces ressources : « Le Cameroun est actuellement engagé dans une réforme liée à l’instauration du compte unique du Trésor, visant à regrouper dans le compte du Trésor à la Banque centrale tous les avoirs de l’État et de ses démembrements dans les banques. Cette réforme a des implications importantes sur la trésorerie des banques. Il a été décidé d’adopter une approche graduelle pour la fermeture des comptes dans les banques et leur transfert vers le compte du Trésor à la Banque centrale. Ce processus n’est pas simple. Déposséder les banques de ces fonds oisifs en plein contexte de compte unique du Trésor pourrait assécher la trésorerie des banques. Par ailleurs, il convient de considérer les difficultés potentielles de la CDEC, comme le risque qu’elle devienne trop coûteuse en fonctionnement, et soit contrainte de piocher dans des avoirs dont elle n’est que gardienne».
Un argumentaire qui ressemble à du dilatoire. Il est clair que les banques feraient tout ce qui est possible pour conserver la haute main sur ces ressources qui génèrent des intérêts précieux pour les actionnaires. D’autre part, l’argument sur la trésorerie ne tient pas non plus. Car le transfert des fonds à la CDEC ne consiste pas à sortir l’argent de la banque pour aller le placer dans un coffre-fort de la CDEC. Selon le décret du Premier ministre, il s’agit simplement d’un jeu d’écriture consistant à virer ces sommes dans un compte ouvert au nom de la CDEC dans la même banque.