«Nous parlerons de tout, mais nous ne parlerons pas de la forme de l’Etat ». La déclaration de Paul Atanga Nji, ministre de l’administration territoriale et non moins secrétaire permanent du conseil national de sécurité est venue frontalement contredire le premier ministre, Joseph Dion Ngute. Semant ainsi la confusion au sein de l’opinion et remettant fondamentalement en question la volonté du gouvernement et du président Paul Biya de réellement dialoguer avec le plus grand nombre de belligérants. Cet épisode de contradiction, est loin d’être un cas isolé de dérapage dans la communication gouvernementale, qui semble désormais être une véritable cacophonie. Situation très déplorable, surtout en cette période de crise, et qu’il convient de normaliser le plus tôt possible.
Ecarts de langage et dissonances en récurrence
Mais avant ce couac majeur, qui aura jeté un profond malaise dans la suite de la tournée du chef du gouvernement dans la zone anglophone, il y a eu d’autres cas. Qui ne se souvient pas de cette sortie magistrale d’Issa Tchiroma Bakary à propos de l’assassinat des femmes et des enfants dans la région de l’Extrême-nord. Il s’était alors fendu d’une déclaration lors d’une conférence de presse retransmise en mondovision, et au cours de laquelle, pince sans rire, il avait attribué cette scène à un pays ouest-africain. Il avait été suivi dans cette rengaine par certains de ses collaborateurs, qui parcourraient plateaux de télés et de radios pour donner la « bonne information ». Quelle n’a pas alors été la stupéfaction, lorsque, quelques jours plus tard, suite aux preuves irréfutables fournies par Amnesty International, le ministre de la défense, Joseph Beti Assomo, publiait un communiqué dans lequel il faisait savoir qu’il s’agissait bel et bien de soldats camerounais, dont certains étaient même déjà aux arrêts. Volonté manifeste de dissimuler un crime ? Précipitation dans la communication ? Incompétence de certains « technocrates » ? Quelle qu’en soit la réponse, le moins que l’on puisse dire est que la crédibilité du gouvernement a été fortement entamée lors de ce malheureux évènement. Alors que l’on s’attendait à ce que des leçons soient tirées quant à la démarche gouvernementale en matière de communication, l’on va continuer à enregistrer de nombreux dérapages chez bon nombre de hauts dignitaires, et dont l’un des cas les plus notables ces derniers mois est celui de Jean de Dieu Momo, Ministre délégué de la Justice. Dans une allégorie dont lui seul a le secret, comparant les Bamilékés aux juifs, il avait dans une émission d’Actualités Hebdo sur la Crtv, ni plus ni moins justifié leur génocide par Adolphe Hitler par l’orgueil et l’arrogance dont ce peuple aurait fait montre. Face à l’incident diplomatique ainsi causé et entériné par la sortie de l’ambassadeur d’Israël au Cameroun, le ministre de la communication, René Emmanuel Sadi n’avait d’autres choix que de désolidariser le gouvernement de Jean de Dieu Momo, qui est passé en un temps record de ministre délégué, à « responsable politique concerné (qui) s’exprimait à titre personnel ». Ce désaveu ne va pas du tout refroidir la « nouvelle recrue » du gouvernement, qui continue de proférer des déclarations les unes plus incendiaires que les autres, comme lorsqu’il déclare dans les réseaux sociaux que « le fait que les anglophones s’entretuent dans le Nord-Ouest et le SudOuest ne m’empêche pas de boire mon vin de palme ». Au-delà du cynisme, c’est surtout l’amateurisme qui choque le plus. Mais le président du Paddec est loin d’être un cas isolé. Engelbert Essomba Bengono, député suppléant de la Mefou et Akono, représentant le Rdpc lors d’une émission sur les antennes d’Equinoxe Télévision a fait savoir que le fait d’avoir 1850 morts en 20 mois de crise dans la zone anglophone n’était point grave, rappelant que Dieu avait dû raser la terre plusieurs fois pour se doter d’un peuple. Conclusion : quitte à tuer tous les anglophones, tant que l’indivisibilité du Cameroun est sauve, soit. Ses excuses publiées dans les réseaux sociaux quelques jours plus tard sonneront quelque peu faux, et son camarade de parti, Charlemagne Messanga Nyamding, sur les antennes de la même chaine de télévision ne manquera pas de relever sa « méchanceté » et de désolidariser le Rdpc d’une telle déclaration. Chose importante, le même Messanga Nyamding a lui-même été maintes fois renié par des pontes de son parti suite à certains de ses dires dans les médias. S’agissant justement du parti des flammes, il est assez loisible de constater chaque week-end les différences et les divergences de positions de ses représentants sur les différents plateaux de débats. L’opinion, la perception et surtout l’ambition personnelles l’emportant sur l’orientation de l’institution, et ce même lorsque ces missi dominici sont officiellement envoyés par le secrétariat à la communication du parti. Le même constat de « personnalisation » voire de « privatisation » de la communication gouvernementale a été par exemple fait suite à la résolution du parlement européen où l’on a vu en l’espace de quelques heures d’intervalle René Emmanuel Sadi, Issa Tchiroma Bakary, Jean de Dieu Momo et autres Grégoire Owona prendre la parole pour « défendre le pays », la confusion entre membre du gouvernement et responsable de parti politique étant savamment entretenue par certains d’entre eux.
Absence d’instances de concertation
Cet état de choses assimilable à un capharnaüm est largement dû à l’absence d’une véritable instance de coordination de la communication gouvernementale. Selon les confidences d’un ancien membre du gouvernement, lors des années de braises et de la guerre de Bakassi au début des années 1990, il y avait un cadre quasi-quotidien d’harmonisation de la parole gouvernementale et qui réunissait autour du ministre de la communication, des membres du gouvernement, les médias publics (Sopecam et Crtv), le secrétariat général du Rdpc et les responsables des partis alliés (Upc, Mdr, Andp, etc.). Ce type d’instance est d’autant plus crucial et nécessaire que c’est en son sein qu’est arrêtée la position officielle du gouvernement, après diverses « enquêtes », « investigations », et simulations des conséquences éventuelles. C’est toujours dans le cadre de celle-ci que les éléments de langage sont élaborés, ainsi que les personnes devant porter les messages choisies. Enfin, c’est aussi le lieu où est élaboré le plan média ainsi que le modus operandi d’implémentation de la communication gouvernementale. L’ensemble de ce processus visant in fine à ce que toutes les parties prenantes à la communication gouvernementale, à divers titres, parlent d’une seule et même voix et surtout agissent dans le même sens.
L’urgence de rompre avec les techniques et les stratégies d’antan
S’il est clair qu’il y a urgence quant à la restauration d’une véritable instance de coordination en matière de communication gouvernementale, il est tout aussi impérieux de rompre avec les vieilles méthodes encore en vigueur en la matière. Exit donc les conférences de presse faites aux heures indues de la nuit et qui ressemblent davantage à des monologues, où l’on veut à tout prix justifier l’injustifiable. Loin d’être un signe de faiblesse, le mea-culpa peut parfois être salutaire. Fini également les « communiqués » de presse aux envolées lyriques ampoulées et dans lesquels l’arrogance de la bureaucratie se dispute allègrement avec certains reflexes de l’autocratie. Par ailleurs, il serait plus que temps que les autorités camerounaises prennent conscience du fait que le monde a changé et que l’on vit désormais dans « la société de l’information ». Par conséquent, la communication gouvernementale participe davantage des relations publiques, avec les exigences d’humilité, de disponibilité et surtout de célérité, qui en découlent. Aussi, est-il tout à fait incompréhensible que plus de la moitié des départements ministériels et d’établissements publics administratifs n’aient pas de sites web, y compris le ministère de… la communication ! Et c’est toujours avec un pincement au cœur que la jeune génération lit les « communiqués » des ministres affirmant ne pas avoir de compte Facebook ou Twitter. Quid alors des instructions du Chef de l’Etat pour une meilleure présence de ses collaborateurs sur les réseaux sociaux ? Lui-même donnant désormais l’exemple avec ses tweets quasi-quotidien.
Par Moussa Njoya, Politologue