Quels étaient les objectifs de cette 15ieme session de la plateforme de partenariat du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa).
Comme vous le savez déjà, cette rencontre est un évènement annuel dont le but principal est de servir de plateforme agricole continentale pour le dialogue politique, le partage des leçons et de reddition des comptes entre les parties prenantes du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa) afin de faire avancer l’agenda du Pddaa. En cette année 2019, la 15ème réunion de la PP du Pddaa avait trois objectifs spécifiques. Il s’agissait d’évaluer l’état d’avancement de la mise en oeuvre des engagements pris à Malabo de tripler le commerce intra-africain sur la base des conclusions du rapport d’examen biennal et de diverses analyses fondées sur des données factuelles, et consolider les mesures politiques prises pour accélérer la mise en oeuvre de ces engagements. Le second objectif était d’exploiter les liens entre le commerce agricole et la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi que les mécanismes visant à améliorer la sécurité alimentaire. Enfin, ces travaux devaient permettre aux parties prenantes de catalyser les efforts autour des organisations multipartites et des investissements du secteur privé à travers des chaînes de valeur prioritaires pour augmenter les revenus des petits exploitants, les emplois pour les hommes et les femmes.
Quelle appréciation faites-vous de la mise en oeuvre des objectifs de Malabo par les différents Etats qui s’étaient engagés?
La Déclaration de Malabo (Juin 2014) est un grand virage pour le continent africain. De mémoire d’expert des questions de développement sur le continent, jamais en Afrique, avonsnous été témoins, par le passé d’engagements aussi ambitieux que ceux contenus dans la décision des Chefs d’Etats et de gouvernement pour agir aussi bien collectivement qu’individuellement pour transformer l’agriculture africaine. Le rapport inaugural de la revue biennale de 2018 indique que les États de l’Union Africaine ne sont pas en voie d’atteindre les objectifs du Pddaa d’ici 2025, car le continent présente une moyenne générale de performance de 3.6/10, en décrochage par rapport au benchmark de 3.94/10 qu’il faut avoir pour être considéré comme étant sur la bonne voie. En effet, parmi les 47 pays ayant pris part à l’exercice d’évaluation, 20 sont classés comme en bonne voie, tandis que les 27 autres affichent des performances pas des plus rassurantes. Pour la première fois, les dirigeants africains et les principales parties prenantes de l’agriculture travaillant à la transformation du secteur avaient sous la main des résultats clés pour évaluer leurs progrès dans la réalisation des objectifs du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa) et des objectifs fixés dans la Déclaration de Malabo. Bien que la publication en janvier 2018 de ce rapport fondamental puisse être considérée comme une étape importante en presque deux décennies de mise en oeuvre du Pddaa, d’une part, et d’autre part, qu’elle ait donné une nouvelle impulsion au processus grâce à des examens par les pairs, elle a également mis en évidence les problèmes et les défis qui freinent le secteur dans son ensemble. Dans l’ensemble, les pays africains ont enregistré une performance supérieure à la moyenne (63 %) en matière de réengagement dans le processus du Pddaa, comme en témoigne le nombre important de personnes impliquées dans l’appropriation du Pddaa dans leurs opérations nationales, alors que la plupart sont à la traîne dans des domaines de performance tels que le commerce et l’investissement du secteur privé. Sur les 29 États membres qui ont communiqué des informations sur la question du commerce, seuls 3 pays ont atteint l’augmentation minimale du taux de croissance de 20 %, ce qui constitue un jalon important pour le cinquième engagement visant à stimuler le commerce intra régional de produits et services agricoles en Afrique. Cette contre-performance en matière d’échanges entre les pays africains et leurs homologues du continent est alarmante et mérite d’être examinée davantage, en particulier dans le contexte de l’Accord de libre-échange continental pour l’Afrique (Azleca) adopté à Kigali en mars 2018 par l’Assemblée de l’Union Africaine.
En quoi l’entrée en vigueur de la zone de libre échange est-elle une opportunité pour l’agriculture africaine ?
La signature de l’Accord de libre-échange continental africain (Azleca) par 49 pays africains a été saluée par la communauté du développement car il s’agit d’un pas de géant vers la stimulation du commerce intra-africain, de l’emploi et de la croissance économique. Théoriquement, l’Azleca devrait éliminer progressivement les barrières tarifaires et non tarifaires, améliorer la facilitation des procédures douanières et commerciales, développer les chaînes de valeur régionales et continentales et encourager l’investissement et l’industrialisation en Afrique. Ces efforts renforceront le commerce intraafricain qui reste faible par rapport à d’autres régions du monde. L’Azleca offre ainsi à l’Afrique, l’occasion de diversifier sa base d’exportation de produits extractifs vers d’autres produits manufacturés et agricoles et de réduire ainsi la vulnérabilité économique du continent, tout en créant des emplois pour une population jeune et dynamique, notamment dans le secteur agricole. De plus, l’accord de l’Azleca complétera les efforts visant à tripler le commerce intra-africain des produits et services agricoles dans le cadre du programme de transformation agricole de la Déclaration de Malabo. Rappelons qu’au niveau continental, l’Azleca, entré en vigueur le 30 mai 2019, a inauguré la plus grande zone de libre-échange au monde depuis la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, avec environ 1,2 milliard de personnes et un Produit Intérieur Brut (PIB) combiné de 2,5 milliards de dollars américains. C’est une occasion unique pour l’Afrique de davantage promouvoir les échanges commerciaux avec elle-même. L’UA est actuellement en train de se doter d’une stratégie sur les produits de base, qui une fois finalisée, couvrira les secteurs clés de l’agriculture, de l’énergie et des mines, et fournira également une impulsion stratégique supplémentaire pour stimuler le commerce intra et extraafricain des produits de base.
Au regard de ce qui est dit plus haut, il va de soi que le secteur agricole peut et doit s’organiser pour tirer pleinement parti de l’Accord de Libre-Echange Continental Africain (Azleca) afin d’accélérer la mise en oeuvre des engagements d’une portée transformationnelle de la déclaration de Malabo. L’Azleca porte en elle-même, ne serait-ce qu’un point de vue principiel, tous les attributs nécessaires pour jouer un rôle de catalyseur pour accélérer la marche vers la concrétisation des buts et objectifs de Malabo. Afin de permettre à l’Azleca de jouer pleinement ce rôle d’entrainement de la transformation durable de l’agriculture africaine, il est urgent d’identifier les actions politiques clés, ainsi qu’une matrice de déterminants dont la mise en dynamique permettra à l’agriculture africaine de jouer pleinement son potentiel de création de valeur ajoutée et de richesse. Des travaux de modélisation de la Commission économique pour l’Afrique prévoient que le commerce intraafricain de produits et services agricoles augmentera de 20 % à 30 % en 2040 avec la mise en place de l’Azleca, qui générerait alors des revenus publics, augmenterait les revenus des agriculteurs et étendrait capacité des agriculteurs et des pays à investir dans la modernisation du secteur par le biais de la transformation et de la mécanisation.
Certains pays semblent traîner le pas. Comment l’expliquer? N’est-ce pas un frein à la dynamique globale? Que peuton faire pour les inciter à adopter un meilleur rythme ?
Au niveau des Communautés Economiques Régionales (CER), la Zone de Libre-Echange Tripartite (Zlet), qui sert d’arrangement interrégional de coopération et d’intégration entre les 26 pays du Comesa, de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et de la Sadc, crée un marché unique pour les trois sousrégions afin de promouvoir le développement économique et social de la région et renforcer les processus régionaux et continentaux. Les CER individuelles ont également un certain nombre d’initiatives politiques et de mécanismes institutionnels qui promeuvent le commerce (agricole). Parmi les exemples de ces mesures figurent l’harmonisation des politiques et des réglementations (par exemple, la politique industrielle et le protocole de la Sadc sur le commerce, la politique de développement agroindustriel de la CAE, le tarif extérieur commun de la Cedeao); le renforcement du rôle du secteur privé organisé dans la formulation des politiques commerciales (par exemple, la création du Conseil commercial du Comesa); la promotion de la libre circulation des marchandises et des personnes (la libre circulation des produits agricoles et des animaux dans le cadre de la libéralisation commerciale) et la facilitation de systèmes de paiement transfrontaliers (par exemple, le Système régional des règlements et paiements du Comesa). Pendant et après le sommet de mars 2018 de Kigali, 52 pays sur 55 avaient officiellement signé le texte consolidé de l’accord sur la mise en place de la Zleca. Le Benin, l’Erythrée et le Nigeria sont les seuls à ne pas avoir fait le pas, pour diverses raisons. Rendu au 30 mai 2019, date d’entrée en vigueur de la Zleca, seuls 24 pays sur 55 avaient officiellement ratifié le Traité de la Zleca et déposé auprès de la Commission de l’Union Africaine les instruments juridiques nationaux y afférents. Seuls le Tchad, la République Démocratique du Congo (RDC) et dans une certaine mesure le Rwanda représentent l’Afrique Centrale dans le cercle (encore fermé ?) des bons élèves de l’intégration par le commerce du continent. Un tel tableau suggère que certains pays ou encore entités régionales, prennent davantage la mesure des enjeux de la Zleca que d’autres. Au rythme auquel arrivent les ratifications, l’Afrique Centrale court une fois de plus le risque d’apparaitre comme le ventre mou de l’intégration régionale en Afrique. Ceci ne serait pas la première fois. Mais serait-ce la fois de trop ? Très certainement oui. Au niveau continental, le plaidoyer de haut niveau continue afin qu’un nombre encore plus grands de pays se soignent les rangs. Le Président Paul Kagame du Rwanda en est le champion désigné par l’instance panafricaine. Sans relâche, il travaille à encourager les sceptiques ou tout simplement les retardataires à rallier le train qui, espérons-le, ne marquera plus d’arrêt.
L’Afrique est un grand importateur de denrées alimentaires alors qu’elle a tout pour être un des plus grands producteurs du monde. Quelle est l’ampleur du phénomène et quels sont les blocages au décollage de l’agriculture sur le continent ?
Il est ici question de dénoncer pour s’en offusquer, la dépendance odieuse du continent africain aux des importations de denrées alimentaires pour nourrir ses nombreuses populations. Les chiffres officiels sont à donner le tournis. Dans la réalité, hélas, ces derniers seraient beaucoup plus importants et leur capture partielle étant principalement due à l’entrée en contrebande de plusieurs produits alimentaires qui échappent aux douanes nationales dont les frontières sont poreuses. Or, il est établi que, en plus de stimuler la croissance et le développement de l’industrialisation tirée par l’agriculture, une chaîne de valeur compétitive devrait accroître le potentiel commercial et les recettes grâce à l’intégration des chaînes de valeur mondiales, réduire la facture des importations alimentaires et augmenter les revenus des acteurs de la chaîne. Pour illustrer l’ampleur du drame, rappelons qu’en 2015, les pays africains ont dépensé environ 63 milliards USD en importations de produits alimentaires, en grande partie de l’extérieur du continent. Selon les sources, l’ardoise des importations des produits alimentaires de l’extérieur vers l’Afrique oscille entre 35 et 40 milliards de dollars annuellement.
Comment appréciez-vous le déroulement des travaux et quelles leçons tirer de ces trois jours de réflexion ? Êtes-vous satisfaits ?
Cette 15ème réunion du Pddaa PP est en réalité la 5ème que j’organise en qualité de Chef du Pddaa. Sur un plan personnel, j’ai le profond sentiment d’avoir réalisé quelque chose de pas négligeable. Tenez, environ cinq cent (500) personnes ont participé sur un total de sept cent trente (730) participants officiellement accrédités, parmi lesquels des représentants du Parlement panafricain et des organisations parlementaires régionales, d’organisations internationales (CUA, Auda-Nepad, agences des Nations Unies, autres organisations multilatérales et bilatérales), des CER, Gouvernements, organisations paysannes panafricaines, organisations de la société civile, organisations de femmes et de jeunes, institutions financières, organisations de recherche agricole et techniques, secteur privé, institutions de médias et partenaires de développement. L’objectif global assigné à la rencontre était d’offrir aux participants la possibilité de réfléchir ensemble, de partager les meilleures pratiques et d’identifier les stratégies et autres politiques susceptibles de favoriser l’intégration, améliorer l’accès aux marchés et le commerce intra régional de produits de base et de services agricoles dans la recherche de résultats économiques et de sécurité alimentaire. Au regard de la qualité relevée des panelistes et des participants dans leur totalité, la profondeur des analyse et surtout la diversité des exemples mobilisés pour illustrer et étayer les propos des uns et des autres, je suis heureux de noter que Nairobi vient de placer la barre très haut.
Quels sont les prochains défis du Nepad dans le secteur agricole ?
Nous allons faire plusieurs choses. Par exemple, nous continuerons à travailler avec les pays pour les accompagner dans la structuration du dialogue et l’engagement du secteur privé dans l’agriculture comme le principal pilote de la transformation. Nous nous attèlerons à mobiliser des partenariats susceptibles d’accroitre efficacement la productivité et la compétitivité des petits agriculteurs Nous comptons également déployer une vaste initiative de promotion des agroindustries pour accélérer la concrétisation de la petite industrialisation manufacturière aussi bien dans les zones rurales que dans les milieux péri-urbain dans un contexte qui appelle à une plus grande territorialisation plus volontariste et innovant de nos actions de développement. Enfin, nous comptons continuer à travailler à la facilitation de l’accès aux services divers pour les petits agriculteurs et les entreprises rurales.
Interview réalisée par François Bambou, envoyé spécial à Nairobi