Augustin Wambo Yamdjeu (Auda-Nepad) : « la zone de libre-échange va augmenter de 10 % le commerce agricole »

Chef du Programme Détaillé de Développement de l'Agriculture en Afrique et Principal organisateur de la Plateforme de Partenariat du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique, le spécialiste des questions de développement analyse les possibilités de transformation de l’agriculture africaine, et les opportunités ouvertes par l’entrée en vigueur de la Zone de Libre-Echange Continentale.

« La zone de libre-échange va augmenter de 10 % le commerce agricole »

Quels étaient les objectifs de cette 15ieme session de la plateforme de partenariat du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa).

Comme vous le savez déjà, cette rencontre est un évènement annuel dont le but principal est de servir de plateforme agricole continentale pour le dialogue politique, le partage des leçons et de reddition des comptes entre les parties prenantes du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa) afin de faire avancer l’agenda du Pddaa. En cette année 2019, la 15ème réunion de la PP du Pddaa avait trois objectifs spécifiques. Il s’agissait d’évaluer l’état d’avancement de la mise en oeuvre des engagements pris à Malabo de tripler le commerce intra-africain sur la base des conclusions du rapport d’examen biennal et de diverses analyses fondées sur des données factuelles, et consolider les mesures politiques prises pour accélérer la mise en oeuvre de ces engagements. Le second objectif était d’exploiter les liens entre le commerce agricole et la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi que les mécanismes visant à améliorer la sécurité alimentaire. Enfin, ces travaux devaient permettre aux parties prenantes de catalyser les efforts autour des organisations multipartites et des investissements du secteur privé à travers des chaînes de valeur prioritaires pour augmenter les revenus des petits exploitants, les emplois pour les hommes et les femmes.

Quelle appréciation faites-vous de la mise en oeuvre des objectifs de Malabo par les différents Etats qui s’étaient engagés?

La Déclaration de Malabo (Juin 2014) est un grand virage pour le continent africain. De mémoire d’expert des questions de développement sur le continent, jamais en Afrique, avonsnous été témoins, par le passé d’engagements aussi ambitieux que ceux contenus dans la décision des Chefs d’Etats et de gouvernement pour agir aussi bien collectivement qu’individuellement pour transformer l’agriculture africaine. Le rapport inaugural de la revue biennale de 2018 indique que les États de l’Union Africaine ne sont pas en voie d’atteindre les objectifs du Pddaa d’ici 2025, car le continent présente une moyenne générale de performance de 3.6/10, en décrochage par rapport au benchmark de 3.94/10 qu’il faut avoir pour être considéré comme étant sur la bonne voie. En effet, parmi les 47 pays ayant pris part à l’exercice d’évaluation, 20 sont classés comme en bonne voie, tandis que les 27 autres affichent des performances pas des plus rassurantes. Pour la première fois, les dirigeants africains et les principales parties prenantes de l’agriculture travaillant à la transformation du secteur avaient sous la main des résultats clés pour évaluer leurs progrès dans la réalisation des objectifs du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture en Afrique (Pddaa) et des objectifs fixés dans la Déclaration de Malabo. Bien que la publication en janvier 2018 de ce rapport fondamental puisse être considérée comme une étape importante en presque deux décennies de mise en oeuvre du Pddaa, d’une part, et d’autre part, qu’elle ait donné une nouvelle impulsion au processus grâce à des examens par les pairs, elle a également mis en évidence les problèmes et les défis qui freinent le secteur dans son ensemble. Dans l’ensemble, les pays africains ont enregistré une performance supérieure à la moyenne (63 %) en matière de réengagement dans le processus du Pddaa, comme en témoigne le nombre important de personnes impliquées dans l’appropriation du Pddaa dans leurs opérations nationales, alors que la plupart sont à la traîne dans des domaines de performance tels que le commerce et l’investissement du secteur privé. Sur les 29 États membres qui ont communiqué des informations sur la question du commerce, seuls 3 pays ont atteint l’augmentation minimale du taux de croissance de 20 %, ce qui constitue un jalon important pour le cinquième engagement visant à stimuler le commerce intra régional de produits et services agricoles en Afrique. Cette contre-performance en matière d’échanges entre les pays africains et leurs homologues du continent est alarmante et mérite d’être examinée davantage, en particulier dans le contexte de l’Accord de libre-échange continental pour l’Afrique (Azleca) adopté à Kigali en mars 2018 par l’Assemblée de l’Union Africaine.

En quoi l’entrée en vigueur de la zone de libre échange est-elle une opportunité pour l’agriculture africaine ?   

La signature de l’Accord de libre-échange continental africain (Azleca) par 49 pays africains a été saluée par la communauté du développement car il s’agit d’un pas de géant vers la stimulation du commerce intra-africain, de l’emploi et de la croissance économique. Théoriquement, l’Azleca devrait éliminer progressivement les barrières tarifaires et non tarifaires, améliorer la facilitation des procédures douanières et commerciales, développer les chaînes de valeur régionales et continentales et encourager l’investissement et l’industrialisation en Afrique. Ces efforts renforceront le commerce intraafricain qui reste faible par rapport à d’autres régions du monde. L’Azleca offre ainsi à l’Afrique, l’occasion de diversifier sa base d’exportation de produits extractifs vers d’autres produits manufacturés et agricoles et de réduire ainsi la vulnérabilité économique du continent, tout en créant des emplois pour une population jeune et dynamique, notamment dans le secteur agricole. De plus, l’accord de l’Azleca complétera les efforts visant à tripler le commerce intra-africain des produits et services agricoles dans le cadre du programme de transformation agricole de la Déclaration de Malabo. Rappelons qu’au niveau continental, l’Azleca, entré en vigueur le 30 mai 2019, a inauguré la plus grande zone de libre-échange au monde depuis la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, avec environ 1,2 milliard de personnes et un Produit Intérieur Brut (PIB) combiné de 2,5 milliards de dollars américains. C’est une occasion unique pour l’Afrique de davantage promouvoir les échanges commerciaux avec elle-même. L’UA est actuellement en train de se doter d’une stratégie sur les produits de base, qui une fois finalisée, couvrira les secteurs clés de l’agriculture, de l’énergie et des mines, et fournira également une impulsion stratégique supplémentaire pour stimuler le commerce intra et extraafricain des produits de base.

Au regard de ce qui est dit plus haut, il  va de soi que le secteur agricole peut  et doit s’organiser pour tirer pleinement  parti de l’Accord de Libre-Echange  Continental Africain (Azleca) afin  d’accélérer la mise en oeuvre des  engagements d’une portée  transformationnelle de la déclaration de  Malabo. L’Azleca porte en elle-même,  ne serait-ce qu’un point de vue  principiel, tous les attributs nécessaires  pour jouer un rôle de catalyseur pour  accélérer la marche vers la  concrétisation des buts et objectifs de  Malabo.  Afin de permettre à l’Azleca de jouer  pleinement ce rôle d’entrainement de la  transformation durable de l’agriculture  africaine, il est urgent d’identifier les  actions politiques clés, ainsi qu’une  matrice de déterminants dont la mise  en dynamique permettra à l’agriculture  africaine de jouer pleinement son  potentiel de création de valeur ajoutée  et de richesse.  Des travaux de modélisation de la  Commission économique pour l’Afrique  prévoient que le commerce intraafricain  de produits et services agricoles  augmentera de 20 % à 30 % en 2040  avec la mise en place de l’Azleca, qui  générerait alors des revenus publics,  augmenterait les revenus des  agriculteurs et étendrait capacité des  agriculteurs et des pays à investir dans  la modernisation du secteur par le biais  de la transformation et de la  mécanisation.

Certains pays semblent traîner  le pas. Comment l’expliquer?  N’est-ce pas un frein à la  dynamique globale? Que peuton  faire pour les inciter à  adopter un meilleur rythme ?

Au niveau des Communautés  Economiques Régionales (CER), la  Zone de Libre-Echange Tripartite  (Zlet), qui sert d’arrangement  interrégional de coopération et  d’intégration entre les 26 pays du  Comesa, de la Communauté d’Afrique  de l’Est (CAE) et de la Sadc, crée un  marché unique pour les trois sousrégions  afin de promouvoir le  développement économique et social  de la région et renforcer les processus  régionaux et continentaux. Les CER  individuelles ont également un certain  nombre d’initiatives politiques et de  mécanismes institutionnels qui  promeuvent le commerce (agricole).  Parmi les exemples de ces mesures  figurent l’harmonisation des politiques  et des réglementations (par exemple,  la politique industrielle et le protocole  de la Sadc sur le commerce, la  politique de développement agroindustriel  de la CAE, le tarif extérieur  commun de la Cedeao); le  renforcement du rôle du secteur privé  organisé dans la formulation des  politiques commerciales (par exemple,  la création du Conseil commercial du  Comesa); la promotion de la libre  circulation des marchandises et des  personnes (la libre circulation des  produits agricoles et des animaux dans  le cadre de la libéralisation  commerciale) et la facilitation de  systèmes de paiement transfrontaliers  (par exemple, le Système régional des  règlements et paiements du Comesa).  Pendant et après le sommet de mars  2018 de Kigali, 52 pays sur 55 avaient  officiellement signé le texte consolidé  de l’accord sur la mise en place de la  Zleca. Le Benin, l’Erythrée et le Nigeria  sont les seuls à ne pas avoir fait le pas,  pour diverses raisons. Rendu au 30  mai 2019, date d’entrée en vigueur de  la Zleca, seuls 24 pays sur 55 avaient  officiellement ratifié le Traité de la  Zleca et déposé auprès de la  Commission de l’Union Africaine les  instruments juridiques nationaux y  afférents. Seuls le Tchad, la  République Démocratique du Congo  (RDC) et dans une certaine mesure le  Rwanda représentent l’Afrique  Centrale dans le cercle (encore fermé  ?) des bons élèves de l’intégration par  le commerce du continent. Un tel  tableau suggère que certains pays ou  encore entités régionales, prennent  davantage la mesure des enjeux de la  Zleca que d’autres. Au rythme auquel  arrivent les ratifications, l’Afrique  Centrale court une fois de plus le  risque d’apparaitre comme le ventre  mou de l’intégration régionale en  Afrique. Ceci ne serait pas la première  fois. Mais serait-ce la fois de trop ?  Très certainement oui.  Au niveau continental, le plaidoyer de  haut niveau continue afin qu’un  nombre encore plus grands de pays se  soignent les rangs. Le Président Paul  Kagame du Rwanda en est le  champion désigné par l’instance  panafricaine. Sans relâche, il travaille  à encourager les sceptiques ou tout  simplement les retardataires à rallier  le train qui, espérons-le, ne marquera  plus d’arrêt.

L’Afrique est un grand  importateur de denrées  alimentaires alors qu’elle a tout  pour être un des plus grands  producteurs du monde. Quelle  est l’ampleur du phénomène et  quels sont les blocages au  décollage de l’agriculture sur le  continent ? 

Il est ici question de dénoncer pour  s’en offusquer, la dépendance odieuse  du continent africain aux des  importations de denrées alimentaires  pour nourrir ses nombreuses  populations. Les chiffres officiels sont à  donner le tournis. Dans la réalité,  hélas, ces derniers seraient beaucoup  plus importants et leur capture  partielle étant principalement due à  l’entrée en contrebande de plusieurs  produits alimentaires qui échappent  aux douanes nationales dont les  frontières sont poreuses.  Or, il est établi que, en plus de stimuler  la croissance et le développement de  l’industrialisation tirée par l’agriculture,  une chaîne de valeur compétitive  devrait accroître le potentiel commercial  et les recettes grâce à l’intégration des  chaînes de valeur mondiales, réduire la  facture des importations alimentaires  et augmenter les revenus des acteurs  de la chaîne.  Pour illustrer l’ampleur du drame,  rappelons qu’en 2015, les pays  africains ont dépensé environ 63  milliards USD en importations de  produits alimentaires, en grande partie  de l’extérieur du continent. Selon les  sources, l’ardoise des importations des  produits alimentaires de l’extérieur vers  l’Afrique oscille entre 35 et 40 milliards  de dollars annuellement.

Comment appréciez-vous le  déroulement des travaux et  quelles leçons tirer de ces trois  jours de réflexion ? Êtes-vous  satisfaits ? 

Cette 15ème réunion du Pddaa PP est  en réalité la 5ème que j’organise en  qualité de Chef du Pddaa. Sur un plan  personnel, j’ai le profond sentiment  d’avoir réalisé quelque chose de pas  négligeable. Tenez, environ cinq cent  (500) personnes ont participé sur un  total de sept cent trente (730)  participants officiellement accrédités,  parmi lesquels des représentants du  Parlement panafricain et des  organisations parlementaires  régionales, d’organisations  internationales (CUA, Auda-Nepad,  agences des Nations Unies, autres  organisations multilatérales et  bilatérales), des CER, Gouvernements,  organisations paysannes panafricaines,  organisations de la société civile,  organisations de femmes et de jeunes,  institutions financières, organisations  de recherche agricole et techniques,  secteur privé, institutions de médias et  partenaires de développement.  L’objectif global assigné à la rencontre  était d’offrir aux participants la  possibilité de réfléchir ensemble, de  partager les meilleures pratiques et  d’identifier les stratégies et autres  politiques susceptibles de favoriser  l’intégration, améliorer l’accès aux  marchés et le commerce intra régional  de produits de base et de services  agricoles dans la recherche de  résultats économiques et de sécurité  alimentaire.  Au regard de la qualité relevée des  panelistes et des participants dans  leur totalité, la profondeur des  analyse et surtout la diversité des  exemples mobilisés pour illustrer et  étayer les propos des uns et des  autres, je suis heureux de noter que  Nairobi vient de placer la barre très  haut.

Quels sont les prochains défis  du Nepad dans le secteur  agricole ?

 Nous allons faire plusieurs choses.  Par exemple, nous continuerons à  travailler avec les pays pour les  accompagner dans la structuration  du dialogue et l’engagement du  secteur privé dans l’agriculture  comme le principal pilote de la  transformation. Nous nous attèlerons  à mobiliser des partenariats  susceptibles d’accroitre efficacement  la productivité et la compétitivité des  petits agriculteurs Nous comptons  également déployer une vaste  initiative de promotion des agroindustries  pour accélérer la  concrétisation de la petite  industrialisation manufacturière aussi  bien dans les zones rurales que dans  les milieux péri-urbain dans un  contexte qui appelle à une plus  grande territorialisation plus  volontariste et innovant de nos  actions de développement. Enfin,  nous comptons continuer à travailler  à la facilitation de l’accès aux  services divers pour les petits  agriculteurs et les entreprises  rurales.

Interview réalisée par François Bambou, envoyé spécial à Nairobi

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