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Analyse de la politique d’import-substitution au Cameroun depuis 2015

Par Sonia Kouam, Administrateur Civil Contrôle Supérieure de L’état (CONSUPE) & Haiwang Djamo Coordonnateur National & Analyste de Recherche CEPI

Introduction

L’import-substitution est une théorie économique qui vise à remplacer progressivement les importations par la production intérieure, afin de réduire la dépendance vis-à-vis des pays développés et de protéger les industries locales naissantes. Au Cameroun, cette stratégie a été adoptée pour réduire le déficit commercial, stimuler la production locale et créer des emplois.

Après une brève description de l’économie du Cameroun, cet article illustre la justification de la mise en œuvre d’une telle politique. La troisième partie informe sur la mise en œuvre de cette politique au Cameroun avant de s’attarder sur les recommandations pour supporter les décideurs.

i. Bref contexte économique du Cameroun

Avec une croissance moyenne de 4 % et un taux d’inflation dépassant 4 % ces trois dernières années, le Cameroun peine à répondre à sa demande intérieure. Le taux de pauvreté reste élevé (38,5 %) selon l’Institut National de la Statistique (INS). En réponse, le gouvernement a mis en place une politique d’import-substitution en 2021, soutenue par des réformes fiscales et structurelles.

  1. Justification de la mise en place d’une politique d’import-substitution

En 2023, le déficit de la balance commerciale est de 2 004 milliards de F CFA contre 1 428 milliards de F CFA en 2022. Pour être concret, on ne produit pas assez des produits alimentaires (nourriture) pour soutenir les ménages Camerounais. Prenons l’exemple du mais, lait et le poisson.

  • MAÏS : Le Cameroun a produit 2,3 millions de tonnes de maïs au cours de la campagne 2019/2020, selon le magazine Business in Cameroon. Cette production n’a pas pu satisfaire la demande nationale qui s’ établie a 2,8 millions de tonnes – ce qui montre un déficit de plus de 500 000 tonnes.
  • LAIT : Le Cameroun connait un déficit de production laitière d’environ 120 000 tonnes par an, dû à une forte demande et à une faible production. En 2023, le Cameroun a importé 20 596,1 tonnes de lait et dérivés, et 17 217,9 tonnes de lait en poudre ou concentré.
  • POISSON : Selon le ministère de l’élevage, de la pêche et des industries animales (MINEPIA), la production de poisson est estimée à  230 000 tonnes en 2023, une baisse de 1% par rapport à 2022. Le déficit de la production reste à 270,000 tonnes dû a l’écart entre la production et la demande de 500,000 tonnes par an.

Ceci favorise la circulation et l’achat de biens importés, tributaire de la balance commerciale fortement déficitaire chiffré, selon Institut National des Statistiques, à 1,409 milliards de FCFA en 2020 contre 1,478 milliards de FCFA en 2021. En conséquence d’un faible taux de production et une balance commerciale en déficit perpétuel, le gouvernement poursuit la mise en œuvre d’une politique d’import substitution. Dans la section trois, on explique la mise en œuvre de cette politique.  

  1. Cadre Politique et Stratégique (Import Substitution)

L’objectif de la politique d’import substitution est de réduire les importations de produits que le Cameroun peut produire, renforcer les chaînes de valeur locales et la souveraineté alimentaire et économiser les devises. La stratégie d’import substitution est axée sur le plan Piisah, le Made in Cameroon et des reformes susceptibles de booster le secteur privé et le développement du libre-échange.

Plan intégré d’import-substitution agro-pastoral et halieutique (Piisah) 

Elle est estimée à FCFA 1 371,5 milliards et va couter à l’Etat FCFA 248 milliards en 2024 puis 511, 6 milliards de Fcfa en 2025 et 611, 4 milliards en 2026. Ce plan met l’accent sur les filières bovine et laitière, le riz, le blé, le maïs, le mil/sorgho/soja, le poisson et le palmier à huile.

  • Politique « Made in Cameroon »

La politique « Made in Cameroon » vise à promouvoir les produits locaux et à renforcer l’économie nationale. Le Ministère du Commerce est chargé de cette politique. Cette initiative encourage la consommation des biens produits localement, favorise l’industrialisation et réduit la dépendance aux importations. Des actions concrètes incluent la création d’une vitrine « Made in Cameroun », l’association de promotion du « Made in Cameroun » et le label « Origine Cameroun Certifié ».  

Il y’a également des boutiques made in Cameroon a Rond-Point Tsinga, par exemple à Yaoundé.

  • Politique de soutiens à l’Entreprise dans les lois de finance
  • Exonérations Fiscales pour les PME

Trois ans d’exonération pour les PME et réduction du taux d’imposition à 25 % pour les entreprises réalisant moins d’un milliard de FCFA. Les startups innovantes bénéficient également d’une exonération de tous impôts, droits, taxes et redevances, à l’exception des cotisations sociales, pendant la phase d’incubation, pour une durée maximale de cinq ans.

  1. Exonérations douanières pour les intrants agricoles

Certains équipements et matériels destinés aux secteurs de l’élevage, de la pêche et de la pisciculture bénéficient d’une exonération totale pour une période de 24 mois, s’étendant jusqu’en décembre 2025. Les droits et taxes de douane sur les semences animales améliorées, les vaccins et médicaments vétérinaires, ainsi que sur les équipements destinés à la transformation poussée du bois sont également exonérés.

  1. Exonérations sur les produits liée à l’énergie renouvelable

La loi des finances 2025 institue un abattement de 50% sur la valeur imposable des véhicules et motocycles à moteurs électriques importés à l’état neuf etc. Certains équipements et matériels destinés à la production d’énergies renouvelables sont exonérés pour une période de deux ans.

Est-ce-que Cette politique fonctionne ?

Viande : Dans la foulée, après une hausse de 6% (235 960 tonnes) en 2022, la production globale de viande et d’abats comestibles a chuté à 347 900 tonnes en 2023, soit une diminution drastique de 111 940 tonnes en valeur absolue (32,2%) en glissement annuel.

Produits de mers : Bien plus, la production halieutique a poursuivi sa baisse pour s’établir à 190 273 tonnes en 2024 après 230 000 tonnes un an plus tôt, soit une régression de 39 727 tonnes (-17,3%). Par ailleurs, seules 9 500 tonnes de poissons ont été produites. Pourtant, à la même période en 2023, le chef du gouvernement révélait une production de poissons de 150 086 tonnes.

Le secteur avicole n’a pas fait mieux. Le Cameroun n’a produit que 95 501 tonnes d’œufs de table en 2024. Ce chiffre est loin des 123 100 tonnes enregistrées en 2023. La baisse enregistrée ici est de 27 559 tonnes (-28,8%) en glissement annuel. Loin de s’atténuer afin de réduire le déficit de la balance commerciale comme l’envisage le gouvernement, les importations ont plutôt augmenté au 3e trimestre 2024 selon les données des Douanes. Elles sont ressorties à 1 120 milliards de Fcfa venant de 1071, 741 milliards de Fcfa à la même période en 2023.

Résultat des courses, le pays semble s’éloigner de l’objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. A en croire les chiffres publiés par le ministre de l’Agriculture en décembre 2024 ; 3,080 millions de personnes sont en insécurité alimentaire dont 265 314 en urgence ou ayant faim. Cette proportion représente près de 11% de la population camerounaise estimée à 30 millions d’habitants. Le constat est visible : le nombre de personnes en insécurité alimentaire a augmenté de 180 000 (+6,2%) en un an malgré le lancement du Piisah.

Pourquoi la politique de l’import substitution ne fonctionne pas ?

Ces problèmes sont liés principalement à la semence de qualité pour des meilleurs rendements ;

  1. L’accès aux infrastructures et équipements de production

Le manque d’infrastructure agricoles, telles que les routes, les installations de stockage et les équipements de transformation, essentielles pour optimiser les rendements et réduire les pertes post-récolte, limite l’accès des agriculteurs aux marchés et aux intrants nécessaires.  Cela freine la productivité agricole, compromet la compétitivité des produits locaux et par conséquent entrave la mise en œuvre efficace de la politique d’import-substitution.

  • L’Extension des Surfaces cultivables, et l’Intensification de la Production

Les problèmes fonciers, notamment les conflits liés à l’utilisation des terres, constituent des obstacles majeurs à l’expansion des surfaces cultivables et à l’intensification de la production.

  • La Faible Structuration des Producteurs

Les producteurs agricoles camerounais sont souvent peu organisés, ce qui limite leur capacité à accéder aux marchés, aux financements et aux intrants de qualité. Cette faible structuration entrave également le partage des connaissances et des technologies, réduisant ainsi l’efficacité de la production agricole.

  •  L’Accès Difficile aux Intrants

L’accès aux intrants agricoles sont limite et nombreux agriculteurs n’ont pas accès à ces intrants, à cause des infrastructures insuffisantes et les coûts élevés.

  • La Non-maitrise de Production et des Traitements Post-récolte

La maîtrise insuffisante des techniques de production et des traitements post-récolte entraîne des pertes significatives et une diminution de la qualité des produits agricoles. Le manque de formation des agriculteurs et l’absence d’infrastructures de stockage adéquates contribuent à ces inefficacités. Ces lacunes réduisent la compétitivité des produits locaux sur le marché, compromettant ainsi la politique d’import-substitution.

  • Les Questions de Commercialisation et de Compétitivité des Produits

Les produits importés sont souvent perçus comme étant de meilleure qualité ou moins chers ce qui limite la capacité des produits nationaux à remplacer les importations.

Conclusion

Plusieurs lacunes entravent encore l’efficacité de la politique d’import-substitution au Cameroun, bien qu’ambitieuse. La dépendance aux importations reste élevée, et la production locale peine à répondre à la demande nationale en raison de contraintes structurelles et logistiques. Il faut donc mettre en œuvre des réformes concrètes et adaptées. Une approche intégrée impliquant l’État, le secteur privé et les producteurs est essentielle pour assurer la réussite de cette politique et garantir un développement économique durable.

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