« Même Dieu peut prendre le Cameroun, on ne va pas souffrir plus que ça. On a déjà souffert. Le pire ne viendra pas. Même le diable peut prendre le Cameroun, et on verra après.» Dans une envolée verbale, Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo, évêque de Yagoua, a orienté son homélie du 29 décembre 2024 sur le terrain politique agité du Cameroun, à quelques mois de l’élection présidentielle. Alors que Paul Biya, 92 ans, nourrit les débats sur sa capacité à gouverner le pays, est appelé par certains apparatchiks du régime, à se représenter. Lui dont les apparitions en public sont de plus en plus rares et scrutées tant par ses pourfendeurs que par ses inconditionnels. Et Paul Biya dans son discours à la nation le 31 décembre 2024, a laissé croire dans son adresse à la nation, qu’il est possible qu’il se représente en octobre prochain. Disant que sa « détermination à servir est restée intacte», Paul Biya a laissé planer le masque d’incompréhension sur la question. Lui qui généralement attend la dernière heure pour « répondre aux appels du peuple ». Le père Albert Legrand, curé de la paroisse Saint Mathias de Foto par Dschang, a usé de philosophie pour appeler Paul Biya à se reposer : « Vous ne jouez pas au football ? Je pense qu’à plusieurs reprises, on a changé des joueurs non ? Kylian Mbappé, quand il est fatigué, on le remplace non ? (SIC) », a-t-il joué sa partition.
L’hostilité avait été engagée par Samuel Kleda. Dans une interview accordée à RFI, l’archevêque métropolitain de Douala avait clairement indiqué que «cela n’est pas réaliste », parlant de la candidature de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle. C’est que « nous sommes tous des êtres humains. A un moment donné, nous devons quitter ce monde. Nous ne pouvons pas faire de miracle. Voilà pourquoi je parle de transition, que tout se passe bien et que maintenant, qu’on se prépare, qu’on ne soit pas surpris par quelque chose. » En revanche, Samuel Kleda a une position qu’il défend avant tout : « Ce que je veux pour mon pays, c’est une transition pacifique, ce qui veut dire qu’on organise les élections selon les normes des élections dans lesquelles tout le monde accepte le jeu démocratique. Ça c’est ma position. Celui qui gagne de manière juste, c’est celui-là qui doit gouverner», précise-t-il. Réitérant qu’«on ne peut pas mettre quelqu’un en prison pour des raisons politiques. Nous sommes en démocratie, chacun a le droit de s’exprimer », fustige-t-il la dérive autoritaire des détenteurs du pouvoir à Yaoundé.
La famille sans repères
Un peu partout sur le territoire national camerounais, les dirigeants de l’église catholique romaine se sont lancés ces derniers jours dans une campagne contre la mauvaise qualité de vie des Camerounais. Inspirés de la bulle du pape François au lancement de l’année jubilaire 2025, basée sur la famille dont le pilier qu’est la jeunesse, est aujourd’hui en perte de repères à travers le monde et particulièrement en Afrique. Et Emmanuel Abbo, évêque de Ngaoundéré, n’y est pas allé de main morte : « la famille aujourd’hui fait face à un autre problème pour lequel il faut davantage cultiver la vertu de l’espérance : il s’agit de l’avenir incertain des enfants pour qui les familles ont tout fait, pour qui les familles ont tout donné, pour qui les familles ont tout sacrifié, et qui à la fin se retrouvent dans la maison familiale, ayant pour seule assurance qu’ils n’auront jamais de l’emploi. Nous le savons tous : c’est la situation dramatique que traversent certaines familles qui assistent impuissamment à la dépression de leurs enfants ». Reprenant le pape François, l’évêque se demande « qu’est-ce que ces peuples n’ont-ils pas enduré ? Comment est-il possible que leur appel désespéré à l’aide ne pousse pas les responsables des nations à mettre fin à leurs nombreuses souffrances ? ». En indiquant que ces questions, « nous pouvons les reprendre à notre propre compte, conformément à notre propre contexte». Et surtout « ces questions, il faut se les poser avec courage et insistance, pour qu’elles rentrent dans les oreilles des sourds ; à savoir les oreilles de ceux qui ont les oreilles mais ne veulent rien entendre ; et les yeux de ceux qui ont les yeux mais qui refusent de voir la misère du peuple», souligne l’évêque.
Alors « qu’est-ce que les Camerounais n’ont pas encore enduré ? Comment est-il possible que le mal-être des Camerounais ne pousse pas les responsables de ce pays à mettre fin aux trop nombreuses souffrances des Camerounais», s’interroge Emmanuel Abbo, évêque de Ngaoundéré. Pour l’homme, « la plus grosse des souffrances est qu’on interdit aux Camerounais d’exprimer leurs souffrances en promettant que l’Etat est un rouleau compresseur, un moulinex qui réduit à la pâte tout Camerounais qui osera exprimer sa souffrance». Alors « qui va-t-on gouverner quand on aura broyé tous les Camerounais ? Comment peut-on promettre la mort à tous ceux qui ne demandent qu’un minimum pour survivre ?» se demande-t-il.