Cette première édition nationale a rassemblé régulateurs, banquiers, assureurs, institutions de microfinance, fintechs et partenaires au développement, dans un contexte économique dominé par la flambée des prix, la précarité de l’emploi et une informalité structurelle qui freinent la mobilisation de l’épargne. Les chocs économiques récents — crise sanitaire, tensions géopolitiques, instabilité régionale — ont fragilisé les équilibres macroéconomiques du Cameroun.
L’inflation persistante a érodé le pouvoir d’achat des ménages, tandis que la prédominance du secteur informel, qui représente près de 80 % de l’activité économique, limite la portée des politiques financières classiques. Dans ce contexte, l’épargne apparaît comme un instrument essentiel de stabilité, capable de soutenir la consommation, de financer l’investissement et d’amortir les crises. Le ministre Yaouba Abdoulaye a rappelé l’origine symbolique de la Journée mondiale de l’Épargne, instituée en 1924 à Milan, et sa portée contemporaine : « L’épargne demeure un instrument moral de bien-être individuel et social », a-t-il déclaré, soulignant que la mobilisation de ressources internes conditionne la capacité des pays à financer leur propre développement.
UNE ÉPARGNE EN PROGRESSION, MAIS INÉGALEMENT RÉPARTIE
Les données du ministère des Finances montrent qu’entre 2000 et 2022, l’épargne nationale brute est passée de 1 150 milliards à 4 169 milliards de FCFA. Si cette évolution traduit une tendance haussière, elle masque un ralentissement notable : le rythme annuel de progression, de 8,7 % entre 2000 et 2006, a chuté à 4,2 % sur la période 2007–2022. L’épargne des ménages, estimée à 16,75 % du revenu disponible, reste en deçà de la moyenne observée dans les pays à revenu intermédiaire inférieur. Cette faiblesse tient en grande partie à la précarité du marché du travail et au poids du secteur informel. Les transferts de la diaspora constituent une variable d’ajustement importante, permettant à de nombreux ménages d’épargner ou d’investir. En l’absence de protection sociale généralisée, l’épargne reste aussi un mécanisme d’autoprotection, souvent géré en dehors du système financier formel.
LE POIDS DE L’INFORMEL ET LA CULTURE DES TONTINES
Au Cameroun, l’épargne informelle s’exprime à travers les tontines — associations d’entraide où les membres cotisent régulièrement pour bénéficier tour à tour d’un capital commun. Ces structures, bien que non réglementées, jouent un rôle majeur dans la résilience des ménages et le financement des activités locales. Cependant, leur impact macroéconomique reste limité : elles ne génèrent pas d’effets multiplicateurs à grande échelle et échappent aux circuits de financement de l’investissement productif. C’est dans cette perspective que les autorités cherchent à créer des passerelles entre épargne informelle et institutions financières agréées, notamment les microfinances et les fintechs.
Le pays compte aujourd’hui 19 banques commerciales, 3 établissements financiers, 390 institutions de microfinance, 11 compagnies d’assurance-vie et la Caisse nationale de prévoyance sociale. À ces acteurs s’ajoutent les fintechs et les intermédiaires de marché agréés par la COSUMAF, qui diversifient les produits d’épargne. Malgré cette densité institutionnelle, la confiance des épargnants demeure fragile. Plusieurs faillites dans le secteur de la microfinance ont accentué la méfiance du public. Les participants à la conférence ont ainsi appelé à une application rigoureuse des directives de la Commission bancaire d’Afrique centrale (COBAC) pour assainir le secteur et restaurer la transparence.
LES LEVIERS FISCAUX ET RÉGLEMENTAIRES
Sur le plan fiscal, le ministère des Finances a rappelé plusieurs mesures incitatives destinées à encourager la formalisation de l’épargne. Les intérêts sur les comptes d’épargne inférieurs à 50 millions de FCFA sont exonérés de l’Impôt sur les revenus de capitaux mobiliers (IRCM), et les produits d’assurance-vie à composante épargne bénéficient d’une exonération de TVA. Ces mesures visent à stimuler les dépôts à long terme et à renforcer la base d’investissement domestique. Parallèlement, le gouvernement soutient le développement d’un marché financier régional plus dynamique. Le renforcement de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC) est perçu comme un moyen de canaliser l’épargne institutionnelle vers les obligations d’État et les entreprises locales.

LA FINANCE NUMÉRIQUE, NOUVELLE FRONTIÈRE DE L’INCLUSION
Les services financiers numériques transforment progressivement la relation entre épargnants et institutions. Les fintechs et opérateurs de téléphonie mobile permettent aujourd’hui d’ouvrir un compte ou d’effectuer des dépôts via téléphone, une avancée majeure pour les populations rurales ou non bancarisées. Les discussions de la conférence ont cependant souligné la nécessité d’un cadre réglementaire plus adapté à cette transition digitale. Les experts ont notamment recommandé la rémunération des comptes en ligne et la création d’outils de notation du risque (credit scoring) pour sécuriser les utilisateurs et encourager la confiance.
L’ÉDUCATION FINANCIÈRE, UN CHANTIER À LONG TERME
Les intervenants ont insisté sur la faiblesse de la culture financière, en particulier chez les jeunes et les travailleurs informels. L’intégration de modules d’éducation financière dans les programmes scolaires, du primaire à l’université, a été proposée pour instaurer dès le plus jeune âge des réflexes d’épargne et de gestion budgétaire. Les institutions financières sont également invitées à concevoir des produits adaptés aux revenus modestes, avec des conditions d’entrée plus souples et une meilleure communication sur les avantages de l’épargne formelle.
VERS UNE ÉPARGNE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT
La mobilisation de l’épargne nationale reste une priorité stratégique pour le Cameroun, confronté à la réduction des flux d’aide internationale et à une dette publique croissante. En favorisant la transformation de l’épargne en investissement productif, les autorités espèrent réduire la dépendance extérieure et renforcer la résilience économique face aux chocs exogènes. Les recommandations issues de cette première édition nationale de la Journée mondiale de l’Épargne visent à faire de cette pratique non plus seulement un geste individuel, mais un levier collectif de développement. Dans un environnement incertain, épargner devient un acte de stabilité — et, pour les économies émergentes comme le Cameroun, un instrument de souveraineté économique.







