La colère couvait depuis plusieurs semaines dans les milieux de la presse privée. Elle a éclaté mercredi à Yaoundé, lors de la 7ᵉ session de la Commission chargée d’examiner les dossiers de subvention à la presse privée, tenue au ministère de la Communication (MINCOM).
Présidée par le secrétaire général du ministère, le Pr Félix Zogo, représentant le ministre René Emmanuel Sadi, la rencontre a vite tourné à l’indignation après la révélation du montant alloué à la presse cette année : moins de 100 millions de FCFA.
« Un jour noir pour la presse privée »
Invité à préciser la somme exacte, le directeur du développement des médias privés et de la publicité au MINCOM, Ngankak Kisito, a d’abord esquivé la question avant d’admettre, sous la pression des journalistes, que le montant « tourne autour de 100 millions de FCFA, voire moins ».
Une annonce qui a fait bondir Kristian Ngah Christian, par ailleurs éditeur du quotidien The Guardian Post, le seul journal du pays à paraître sept jours sur sept. « C’est un jour noir pour la presse privée camerounaise », a-t-il lancé, avant de dénoncer une « aide honteuse et insignifiante ». « Vous ne pouvez pas parler de subvention à la presse privée et être vous-mêmes gênés d’en divulguer le montant. Cela prouve que même les autorités du ministère sont conscientes du caractère dérisoire de la somme », a-t-il martelé.
Une presse traitée comme « orpheline et ennemie de l’État »
Fort de près de 30 ans d’expérience dans le métier, Ngah a exhorté le gouvernement à reconnaître enfin la presse comme le quatrième pouvoir et à lui accorder le respect et les moyens correspondants. « Il faut cesser de traiter la presse privée comme une orpheline ou une ennemie de l’État », a-t-il averti, appelant les autorités à s’inspirer de pays voisins comme le Gabon, le Tchad ou le Sénégal, où les subventions se chiffrent en milliards de francs CFA.
Une aide publique à la presse en chute libre
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la subvention publique à la presse privée, qui atteignait autrefois 250 millions de FCFA, est tombée à 56 millions en 2023, et à moins de 100 millions cette année, pour plus de 600 organes (journaux, radios et médias en ligne). Le représentant des médias en ligne à la Commission, Janvier Njikam, s’est lui aussi indigné : « Chaque année, le montant baisse. Que représente 350 000 FCFA de subvention annuelle pour un organe de presse ? C’est une insulte ! Le gouvernement doit arrêter de se moquer de la presse privée. »
Les instructions du Premier ministre ignorées
Cette situation intervient alors même que, lors du Conseil de cabinet de mai dernier, le Premier ministre Joseph Dion Ngute avait donné instruction aux ministres de la Communication et des Finances d’œuvrer ensemble à revaloriser la subvention. Selon des sources internes au MINCOM, le ministre de la Communication aurait effectivement saisi son homologue des Finances. « Mais jusqu’à ce jour, aucune réponse n’a été reçue », confie un haut responsable sous anonymat.
Critères d’éligibilité
Interrogé par la presse, le secrétaire du Comité technique de la subvention, Ngankak Kisito, a précisé que les critères d’évaluation des dossiers restent les mêmes que les années précédentes : respect des obligations fiscales et sociales, régularité de la production, et promotion de l’emploi décent. Il a toutefois assuré que « le gouvernement est conscient des difficultés économiques que traverse la presse et continuera à plaider pour un soutien accru ». Au total, 54 dossiers ont été examinés lors de cette session : 49 journaux privés et cinq médias en ligne.
Une politique d’asphyxie de la presse privée ?
Malgré les discours sur le rôle crucial des médias dans la démocratie, les actes du gouvernement traduisent une politique de marginalisation. Alors que la presse privée assure plus de 80 % de la production d’information nationale, elle continue d’être maintenue dans une précarité structurelle, dépendante d’aides symboliques et sélectives.
La colère des éditeurs, cette fois, pourrait bien marquer le début d’une revendication collective pour la dignité et la survie du quatrième pouvoir au Cameroun.




 
                                    
