Par Ferdinand Haiwang Djamo, analyste de recherche, CEPI & Henri Kouam, Directeur Exécutif, CEPI
Introduction
Le 16 juillet 2025, le président Paul Biya signait un décret transformant le Conseil National des Chargeurs du Cameroun (CNCC), jusqu’ici établissement public administratif, en une société à capital public. Un décret apparemment technique, mais porteur de profondes implications. Car derrière cette mutation juridique se cache une réforme de fond : il s’agit ni plus ni moins que de repositionner une institution stratégique au cœur de la performance économique du pays, notamment dans les secteurs du commerce international, du transport des marchandises, et de la logistique portuaire. Alors que le Cameroun se veut un acteur clé de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), cette réforme appelle une analyse sérieuse. Pourquoi ce changement ? Et surtout, que faut-il en attendre concrètement pour les chargeurs, les exportateurs et l’économie nationale ?
- Le CNCC face à ses Dérives
Créé en 1974, le CNCC avait pour mission essentielle de représenter et d’assister les chargeurs camerounais dans leurs opérations internationales. Il devait défendre leurs intérêts face aux partenaires étrangers, fournir des données logistiques fiables, et améliorer la fluidité des opérations de transport terrestre, maritime et multimodal.
Mais au fil des ans, l’institution s’est peu à peu éloignée de ses objectifs initiaux. Selon plusieurs rapports, dont celui de la CONAC en 2018, la gestion du CNCC a été entachée de lourdes irrégularités : doublement des salaires, recrutements non conformes, missions fictives, favoritisme et mauvaise gouvernance. Le préjudice financier est estimé à plus de 29 milliards de FCFA entre 2012 et 2017.
À cela s’ajoute une faiblesse structurelle majeure : le CNCC n’était pas en mesure de répondre aux exigences d’un commerce international de plus en plus numérisé, rapide, et interconnecté. Les opérateurs économiques lui reprochaient son inertie, son manque de transparence et la faiblesse de ses services.
2. Pourquoi une Société à Capital Public ?
Le passage du CNCC au statut de société à capital public marque une volonté politique forte : celle de moderniser profondément la gouvernance des structures publiques et de les arrimer aux standards internationaux.
Ce statut, régi par le droit OHADA, offre plusieurs avantages :
- Autonomie juridique et financière : La société pourra recruter, investir, signer des contrats et réagir avec plus de souplesse qu’un établissement public.
- Gouvernance professionnalisée : Un conseil d’administration représentatif et un directeur général soumis à une obligation de résultats remplaceront l’ancienne logique purement administrative.
- Responsabilité financière : Les comptes devront être certifiés et publiés, ce qui renforce la transparence et la confiance des partenaires.
- Alignement stratégique : Ce modèle permettra d’insérer le CNCC dans une politique industrielle cohérente, aux côtés d’autres entités publiques en mutation comme la SNI.
3. Quel impact sur le Commerce International ?
Le commerce extérieur du Cameroun représente plus de 7 000 milliards de FCFA par an, selon les données de l’INS (2023). Or, il souffre de plusieurs faiblesses : coûts logistiques élevés, lenteurs portuaires, tracasseries administratives, et mauvaise circulation de l’information.
La transformation du CNCC pourrait avoir un effet à trois niveaux :
Amélioration de l’information commerciale
Le nouveau CNCC pourra produire et diffuser des données actualisées sur les corridors commerciaux, les tarifs portuaires, les délais de transit, et les règlementations internationales. Cette information est cruciale pour les exportateurs et les investisseurs. Dans un monde où la compétitivité repose sur la maîtrise de l’information, c’est un avantage stratégique.
Réduction des coûts logistiques
Selon la Banque mondiale, les coûts logistiques au Cameroun représentent environ 30 à 40 % du prix de revient d’un produit exporté. Une structure modernisée, réactive et tournée vers les besoins des chargeurs pourrait contribuer à la réduction de ces coûts par l’amélioration de la coordination intermodale (route, rail, port), la digitalisation des procédures et le dialogue renforcé avec les douanes et autres acteurs du transit.
Renforcement de la confiance des partenaires
Un CNCC transparent, fiable, et performant peut rassurer les partenaires internationaux, améliorer la perception du climat des affaires, et soutenir les exportateurs nationaux dans la conquête de nouveaux marchés.
4. Quel impact sur le transport des marchandises ?
Le CNCC support les agents économiques en fournissant les Bordereau Électronique de Suivi des Cargaisons (BESC) – obtenu par voie électronique – pou faciliter le commerce terrestre, aériennes et maritime. Vu que le Ministre des travaux publiques est responsable des infrastructures de transports, le nouveau statut d CNCC le permet de jouer un rôle consultatif avec MINTAP pour support le développement des infrastructures routiers et maritime.
« Pour la traversée des frontières, il y a trois voies : la voie maritime (17 % des flux), la voie terrestre (81 %) et la voie aérienne (2 %). Le CNCC peut jouer un rôle plus actif dans le développement des infrastructures qui favorise les échanges dans la sous-région en consolidant la dématérialisation des procédures »
5. Quel Impact pour les Chargeurs Camerounais ?
Les objectifs de la CNCC n’ont pas changé, alors le CNCC vas améliorer la compétitivité des chargeurs et protéger au mieux leurs intérêts sur toute la chaine multimodale des transports. Cependant, il aurait un nouveau focus sur l’implémentation de la ZLECA pour faciliter le commerce régional.
La réussite de cette réforme dépend de plusieurs facteurs
La qualité de la gouvernance : Il faudra des dirigeants intègres, compétents et capables de résister aux interférences politiques.
L’accompagnement financier : La transformation juridique doit s’accompagner d’un plan d’investissement clair, notamment en technologie.
L’appropriation par les usagers : Les chargeurs doivent être impliqués dans la nouvelle gouvernance, à travers des consultations régulières.
Le décret prévoit un transfert automatique des biens, du personnel et des obligations de l’ancien CNCC à la nouvelle société. Il conviendra donc d’assainir les comptes, de redéfinir les missions internes, et de créer une nouvelle culture organisationnelle orientée résultats.
Conclusion
La transformation du CNCC en société à capital public n’est pas un simple changement de forme. C’est une réforme de structure, une tentative de rupture avec les lourdeurs et les dysfonctionnements d’un modèle public dépassé. Si elle est bien conduite, cette réforme pourrait repositionner le Cameroun comme un hub logistique régional, capable de fluidifier les échanges, de soutenir ses exportateurs et de tirer profit des opportunités de la ZLECAf.
Mais cela exige plus qu’un décret. Il faut une volonté politique constante, un management professionnel, et une vision claire du rôle que doit jouer le CNCC dans la chaîne de valeur du commerce extérieur.