Dr Nabil Aman Ndikeu Njoya: « Accentuer la compétitivité des produits d’exportation »

L’enseignant à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (Iric), propose des solutions envisageables pour mettre fin à la crise de devises en cours au Cameroun et en Afrique centrale.

« Accentuer la compétitivité des produits d’exportation »

Il se pose depuis quelques temps, un problème de rareté de devises au Cameroun et en Afrique centrale. Quelles sont les causes structurelles et conjoncturelles de cette pénurie ?

 Les explications à la pénurie de devises observée dans la sous-région Cemac en général et au Cameroun en particulier, se trouvent tout d’abord dans le mécanisme de fonctionnement de la zone Franc, à laquelle appartiennent ces pays. Les clauses régissant le fonctionnement de cette zone exigent la conservation de 50 % des devises d’exportation de ces pays sur un compte dit compte d’opération ouvert dans les livres du Trésor Public français, afin de garantir la convertibilité du franc CFA. Cette épargne obligatoire, réduit structurellement la marge de manœuvre des pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac) en cas de choc exogène, les privant ainsi de réserves de devises pouvant potentiellement permettre de réduire le déficit de devises actuellement observé. Toujours d’un point de vue structurel, le fonctionnement du compte d’opération suppose la mise en commun des devises de l’ensemble des pays membres. Cela suppose que chaque pays tire profit des excédents commerciaux réalisés par l’ensemble des pays de la sous-région, mais également, subit, les déficits, et donc la réduction des devises, enregistré par l’ensemble des pays de la sousrégion. Cela nous amène à l’explication conjoncturelle car avec la chute des cours du pétrole, et la réduction de la demande de plusieurs produits d’exportation observées, les pays de la Cemac dans leur ensemble, ont vu leurs recettes d’exportation diminuer drastiquement ces trois dernières années, et de fait, leurs quantités de devise. Le volume de devises disponible dans le panier commun s’en trouve réduit, sans toutefois que la demande de devises pour les importations diminue au même rythme, d’où la rareté. En ce qui concerne particulièrement le Cameroun, on a observé une plus grande résilience du niveau des exportations du fait d’une diversification plus marquée. Cependant, du fait du mécanisme de solidarité précédemment évoqué, ce pays subit également les déficits commerciaux de ses partenaires de la zone Cemac.

Quels peuvent être, à votre avis, les effets de cette crise de devises à la fois pour les banques et les opérateurs économiques ?

En ce qui concerne les banques commerciales, la pénurie de devises réduit leurs opérations de change et de fait, les commissions et autres frais bancaires qu’elles en tirent. Il s’agit donc là d’un manque à gagner non négligeable pour le secteur bancaire. En ce qui concerne la sphère réelle, la rareté des devises entrave la capacité d’importation. D’une part, cela peut être une opportunité pour les politiques de substituts aux importations, notamment en encourageant les productions locales à même de remplacer les importations de produits étrangers. Les producteurs agro-alimentaires ainsi que les producteurs de textiles pourraient tout particulièrement en tirer profit. D’autre part, et à l’opposé, cette réduction des devises est aussi une entrave pour les importations d’équipements, de technologies de pointe, freinant ainsi l’augmentation de la productivité des industries locales. La difficulté d’importation des équipements est aussi un frein à la délocalisation des firmes multinationales, et donc à l’attraction des Investissements Directs Etrangers. Ces dernières externalités, constituent donc des menaces pour le tissu industriel et commercial.

Une certaine opinion accuse certains chefs d’entreprises de conserver hors de la Cemac, d’importantes quantités de devises. Ce qui contribuerait à accentuer cette rareté de devises. Partagez-vous ce point de vue ?

Je ne saurais avoir tous les éléments pour apprécier la réalité et l’ampleur de ces comportements. Cependant, d’un point de vue économique, les devises constituent également des actifs, susceptibles d’être placés pour générer des intérêts. Tout comme pour toute autre monnaie, et suivant des motifs de spéculation, un arbitrage s’opère chez l’agent économique, entre le fait d’utiliser ses devises pour des transactions ou le fait de placer ses devises pour en percevoir des intérêts, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire. De plus, cette détention à l’étranger peut être motivée par une plus grande célérité dans la réalisation des transactions, pour les opérateurs économiques intervenant régulièrement sur les marchés internationaux. Cependant, la détention de devises à l’étranger pour des motifs de spéculation tout comme pour des motifs de transaction à l’internationale est connue et prise en compte par les autorités monétaires, et ses effets doivent pouvoir être anticipés par lesdites autorités.

Le gouverneur de la Beac a indiqué le 4 juillet dernier que la rareté des devises était aussi le fait des banques qui n’acheminent pas à temps, les demandes de transferts de certains importateurs. Comment comprendre cette attitude ?

 Il s’agit là probablement de lourdeurs dans les procédures internes des banques commerciales, qui peuvent être liées à des mesures de contrôle interne.

Quelles peuvent être sur le long terme, les solutions à mettre en oeuvre pour juguler cette crise de devises ?

Les solutions à long terme sont à mon modeste avis, de divers ordres. Premièrement, et d’un point de vue monétaire, il conviendrait, à défaut de remettre totalement en question la zone franc, de rediscuter du mécanisme de fonctionnement du compte d’opération, afin de permettre une plus grande mobilisation des devises qui y sont conservées, notamment en cas de chocs menaçant la stabilité de ses pays membres. Deuxièmement, du point de vue de l’économie réelle, il est souhaitable d’accentuer les efforts de compétitivité des produits d’exportation de la sous-région de manière à stimuler davantage la demande extérieure. Dans la même veine, il devient urgent de concrétiser la mutation de la structure de nos exportations, en y apportant davantage de valeur ajouter, et en insérant à un plus haut niveau dans les chaîne de valeur internationale. Il pourrait ainsi s’en suivre une réduction de l’exposition à la fluctuation des cours et une plus grande force de marché. Enfin, la pénurie de devises est ressentie pour plusieurs comme une crise grave, du fait de notre grande extraversion. Cela pourrait en être tout autrement, si nous consentions à un changement de comportement de consommation et de production. Nous sommes dépendant des devises pour nos importations, et dans bien des cas, des importations de biens qui peuvent être produit localement. Pour reprendre un illustre sage, « nous consommons ce que nous ne produisons pas ». En faisant le contraire, il est fort probable que la dépendance aux devises s’en trouve amoindrie et que les pénuries telles que celle actuellement observée aient moins d’impact sur les économies et les individus.

Par Dr Nabil Aman Ndikeu Njoya et Défis Actuels no 400

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