Vous avez initié depuis 2019, une pétition demandant aux autorités helvétiques de déclarer Paul Biya, le président de la République camerounaise, persona non grata. Sur quoi se fonde votre requête ?
Le droit de pétition est un droit constitutionnel en Suisse. La pétition « Pour que Genève déclare Paul Biya persona non grata » a été lancé suite aux événements de juin 2019 et a récolté plus de 15 000 signatures. A l’époque, l’indignation était générale suite aux violences exercées par les gardes du corps de Paul Biya à l’encontre d’un journaliste de la RTS (Radiotélévision Suisse). Ce dernier avait été brutalement molesté et son matériel professionnel confisqué. Par la suite, ces gardes du corps ont été condamné par la justice pénale genevoise. L’indignation ayant conduit au lancement de cette pétition portait aussi sur le train de vie royal et les dépenses somptuaires de Monsieur Biya et sa suite à l’hôtel Intercontinental. Si Genève est la capitale des droits humains et reçoit quantité de chefs d’État dans l’exercice de leur fonction ainsi que dans le cadre de négociation politiques, des sessions de l’ONU, elle n’a pas pour fonction d’être un lieu de villégiature pour dictateurs, ni un lieu d’hébergement pour les biens mal acquis. Cette pétition avait donc un contenu conjoncturel (condamner les violences de juin 2019) et structurel (refuser à ce que l’hôtel intercontinental soit une base arrière pour les dépenses pharaoniques de Paul Biya avec l’argent du peuple camerounais).
Dans votre requête, vous semblez mettre en avant la question des droits de l’homme. Et les autorités camerounaises évoquent à leur tour, l’agression d’un chef d’État en exercice. Que dites-vous à propos ?
En aucune façon et à aucun moment Monsieur Paul Biya n’a été agressé ou molesté à Genève. Bien au contraire. Il y a trouvé un accueil de qualité et le respect de sa personne. Des droits fondamentaux qui aujourd’hui ne sont, et de loin, pas garantis pour toutes et tous au Cameroun.
Vous évoquez des montants pharaoniques et insistez sur le fait que l’argent utilisé par Paul Biya pour ses séjours à Genève est celui du contribuable. D’où tenez-vous ces chiffres et pensez-vous qu’un chef d’État n’a-t-il pas droit à des séjours privés ?
Je tiens ces chiffres de différentes ONG sérieuses et de médias de référence. A aucun moment d’ailleurs la présidence de la République du Cameroun ne les a contestés. Si Monsieur Paul Biya souhaite, en toute transparence, communiquer les chiffres de ses somptueux voyages, et ce depuis 38 ans qu’il dirige le Cameroun, je les étudierai bien volontiers. Un chef d’Etat a bien évidemment droit à des séjours privés, pour autant que ce ne soit pas l’argent des autres et de son peuple qui les paie. La transparence est un élément fondamental de la démocratie. Quand elle vient à manquer, on doit tirer la sonnette d’alarme. Accueilleriez-vous dans votre maison quelqu’un qui est accusé d’avoir du sang sur les mains qui ne peut vous dire d’où il tire l’argent qu’il dépense ni même si c’est le sien ?
Vous n’avez pas réussi à convaincre le Conseil du Canton de Genève à voter pour que Paul Biya ne séjourne plus à Genève. Qu’est ce qui peut expliquer cela ?
Je n’ai malheureusement pas réussi à convaincre la majorité de droite du Grand Conseil de Genève. La pétition pour déclarer Paul Biya persona non grata a été refusée ( 47 contre 23 voix) par une majorité qui navigue à court terme et n’a pas perçu l’intérêt pour Genève et la Suisse de condamner ces pratiques déviantes de vol et de recel de biens mal acquis. Toutefois, l’écho politique a été important. La prise de conscience augmente concernant ces pratiques d’un autre âge. Le peuple suisse se prononcera le 29 novembre sur un article constitutionnel rendant responsables les multinationales ainsi que leurs filières de leurs agissements à l’étranger. Les flibustiers de la finance, les multinationales pirates nuisent à des populations et pays entiers et détruisent in fine tant l’image que les intérêts de la Suisse. Les actionnaires et le grand capital servent uniquement leur intérêt à court terme. Si le peuple vote OUI à cette modification constitutionnelle le 29 novembre, cela permettra à ce que la Suisse ne soit plus le cache-sexe des entreprises pirates et nuisibles.
Le Canton de Genève ayant rejeté votre requête, quelle sera la suite de votre démarche ?
La prochaine étape sera pour nous de veiller à ce que Genève ne soit pas une ville où des hors-la-loi, fussent-ils chefs d’Etat en exercice, viennent se pavaner et dépenser en toute impunité l’argent de leur peuple. La prochaine étape sera de gagner la votation du 29 novembre « pour des multinationales responsables », afin que le pouvoir de l’argent ne domine pas sur les traités internationaux et les droits fondamentaux des peuples. Genève est la capitale des droits humains. La neutralité helvétique est saluée et reconnue loin à la ronde. Il n’est pas question de la laisser salir par celles et ceux qui ne voient que leur intérêt égoïste et à court terme. De nombreux combats nous attendent. Nous restons à disposition de toutes celles et ceux qui luttent, à Genève et ailleurs, pour le respect des droits humains. Nous sommes prêt-e-s à agir, ensemble.
Pensez-vous que votre requête a eu assez d’échos dans le monde ?
Tout à fait ! Au regard de l’écho médiatique et des pressions diplomatiques le message est bien passé. Monsieur Biya sait qu’il n’est plus le bienvenu à Genève. Je tiens évidemment à remercier toutes les militantes et militants qui se sont mobilisés pour relayer cette pétition, et avec courage montrer que l’argent n’achète pas tout. Monsieur Biya est reparti tête basse de Genève.
Interview réalisée par Joseph Essama