Roger Bafakan Behahal : « les zones économiques constituent un dispositif plus incitatif »

Le conseiller technique en service au ministère de l’économie, explique les avantages liés à la création des zones économiques.

« Les zones économiques constituent un dispositif plus incitatif »

Quels commentaires vous inspire le texte signé le 17 avril dernier par le chef de l’Etat, relatif à la création des zones économiques ?

Ce texte du 17 avril 2019 est un décret d’application de la loi de 2013, régissant les zones économiques. Ce décret vient fixer les modalités de création et de gestion des zones économiques. C’est donc un texte important qui était attendu pour compléter les autres textes d’application de cette loi. Après notamment le décret organisant le fonctionnement de l’Agence de Promotion des zones économiques. C’est le deuxième texte qui dresse la route de la mise en place de ces zones économiques. Il sera complété très prochainement par le décret portant sur les organes dirigeants de l’Agence qui pourra permettre d’encadrer au plan supérieur, le dispositif de mise en place et d’accompagnement des zones économiques.

En quoi ces zones économiques sont-elles différentes des zones franches industrielles ?

Avant toute chose, il faudrait dire que les zones économiques constituent le dispositif supérieur de l’Etat, pour la mise en place des outils d’incitation à l’investissement privé. Parce que depuis la charte des investissements, il y a un certain nombre d’outils qui ont été mises en place, notamment l’Agence de Promotion des Investissements, l’Agence de Promotion des Pteites et Moyennes Entreprises (Apme), la loi sur les incitations à l’investissement privé et la loi sur les zones économiques. Il faudrait donc dire que les zones économiques constituent cet important levier d’actions que l’on a observé dans les pays dits émergents, notamment la Chine, qui s’est développée à partir des zones économiques mises sur pied à partir des années 1980. Ce sont ces zones économiques qui ont véritablement permis à la Chine de se développer. A cet exemple, on peut ajouter les autres pays émergents tels que la Russie, la Turquie, le Brésil, etc. Plus proche de nous, nous avons le Gabon et le Sénégal, mais aussi l’Ethiopie qui est aujourd’hui un dragon économique en Afrique. En ce qui concerne la différence entre les zones économiques et les zones franches, il faut retenir que les zones économiques constituent un dispositif plus englobant et plus incitatif, favorable à la mise en place d’un environnement destiné à favoriser les affaires et l’investissement, fut-il étranger que local. Les zones économiques offres plus d’avantages que les zones franches industrielles, parce qu’elles permettent de coaliser les entreprises, mais aussi les activités dans un cadre où les lois permettent une incitation majeure dans la production des valeurs ajoutées. En outre, les zones franches ont pavé la voie à la mise en œuvre des zones économiques. Ces dernières étant plus abouties que les zones franches qui, n’en constituent qu’une catégorie.

Quelle sera la plus-value des zones économiques dans la transformation des matières premières locales ?

Il faut considérer que les zones économiques viennent comme un dispositif qui s’appuie sur deux choses. La première étant les incitations les plus favorables, la deuxième c’est que ce n’est pas toutes les matières qui sont visés pour faire partir des zones économiques. C’est les domaines dans lesquels on va observer des gains de productivité, de compétitivité également. C’est donc des secteurs dans lesquels on pourra accroître sa valeur ajoutée en termes de production, de devises et surtout de conquête de marché tant au plan interne qu’au niveau international. En clair, l’avantage qu’offrent les zones économiques en rapport avec la production, c’est que ces zones économiques ciblent des secteurs prioritaires dans la mise en œuvre des politiques de l’économie nationale, en l’occurrence des domaines dans lesquels nous avons plus de valeur ajoutée. Je veux entendre par là les produits agricoles qui permettront notamment de rééquilibrer notre balance commerciale, les produits pharmaceutiques qui permettront d’alléger notre portefeuille en matière d’importation. Il s’agit aussi des produits dérivés du bois. Vous êtes sans ignorer que bien qu’étant producteur de la matière première, nous importons beaucoup de produits transformer. Il s’agit également des domaines de l’économie mondiale où nous pouvons nous hisser dans les chaînes de valeurs sous régionales et mondiales. Parce que voyez-vous, c’est le caoutchouc produit au Cameroun qui permet de fabriquer les pneus d’avion et même les pneus de véhicules. Pourquoi ne pas s’intégrer dans cette chaine de valeurs pour que ce caoutchouc soit transformé localement ? Le bois produit à partir de certaines essences exportées par le Cameroun, permet de produire des dévirés qui sont utilisés dans des compartiments de véhicules. On pourra donc produire tous ces outils à partir du Cameroun.

Dans les faits, la mise en place de ces zones économiques ne va-t-elle pas se heurter à des problèmes tels que le manque d’infrastructures, les questions d’électricité, l’accès au foncier, etc ?

La mise en place des zones économiques ne vient pas comme une panacée qui règlerait toutes les difficultés qu’on rencontre dans notre pays. Elle vient plutôt s’insérer dans le cadre du processus de monter en puissance de notre économie. Il faut d’ailleurs souligner que notre politique nationale de développement qui est déclinée à travers la vision de faire du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035, est le stade intermédiaire après la première étape du Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi, c’est de passer à un niveau de Nouveau Pays Industrialisé. Dans le cadre de ce processus, sachons qu’il y a un certain nombre de politiques qui se mettent en œuvre, notamment dans le domaine des infrastructures. Il y a précisément la construction des infrastructures autoroutières, routières, des barrages, de télécommunication et les travaux qui sont faits pour faciliter la connectivité au réseau d’eau, etc. Je voudrais considérer que la mise en place des zones économiques vient se faire dans ce cadre là, et permettrait de tirer avantage de ces réseaux d’infrastructures parce que l’un des critères pour la constitution d’une zone économique, c’est l’adéquation au schéma national directeur d’aménagement et de développement durable du territoire. Dans ce schéma sont prévus des espaces libres de toute occupation, permettant aux entreprises de pouvoir s’installer, mais aussi des espaces aménagés par rapport à leur connectivité aux réseaux d’eau et de télécommunication. C’est dire que beaucoup est en train d’être fait pour la mise en place de ces réseaux, notamment les autoroutes, les barrages, la fibre optique, les travaux de connexion des villes secondaires, aux réseaux d’eau et d’électricité. L’Etat va donc jouer un rôle important d’accompagnement pour que la mise en place de ces infrastructures ne soit pas supportée par les investisseurs. Auquel cas, cela rendrait ces investissements moins compétitifs, et plus lourds à réaliser. A côté de la disponibilité des terres, l’autre critère important dans la mise en œuvre des zones économiques, c’est la proximité aux réseaux, aux grandes agglomérations, notamment pour les questions de mains d’œuvre. C’est aussi la proximité à des infrastructures pour la circulation des biens et des personnes.

 Concrètement, que gagne un homme d’affaires à venir s’installer dans une zone économique ?

Je commencerais d’abord par dire qu’ailleurs, on les a baptisées zones économiques spéciales, parce que les conditions qui s’y appliquent dérogent un peu à celles qui s’appliquent dans les autres parties du territoire. L’objectif premier d’érection des zones économiques, c’est de constituer des espaces où l’investissement est rendu attractif, et compétitif du fait des incitations qui y sont pratiquées. Ce que gagne un homme d’affaires, c’est d’abord la volonté d’être dans un espace où il est supposé bien faire des affaires, parce qu’aménagé et doter d’un certain nombre d’infrastructures et constituer pour avoir une production optimisée au vu des conditions qui y seront pratiquées. Vous comprendrez bien que dans le dispositif de gestion des zones économiques, le gestionnaire de la zone économique constitue le guichet unique de toutes les procédures vis-à-vis de l’administration. Cela engage de ce que les entreprises qui pourraient se déployer en zone économique, auront un certain nombre de procédures allégées. Dans ce guichet se retrouvent toutes les administrations qui concourent à opérer à l’intérieur des zones économiques.

Ces incitations sont-elles connues ?

Les premières incitations, c’est d’abord l’aménagement. On va dans une zone qui est déjà aménagée. La flopée des difficultés que l’on rencontre avant la mise en œuvre d’une entreprise, parfois dissuadent dans la réalisation des investissements. C’est pour cette raison que cet avantage lié à l’aménagement n’est pas des moindres. Il y a aussi le fait que les infrastructures qui y sont installées, sont destinées à optimiser la production. Parfois, vous avez des hommes d’affaires qui sont installés dans les zones où ils ont des difficultés liées à la disponibilité de ces infrastructures. La troisième chose, c’est qu’il y a certes des incitations à l’investissement définies par la loi de 2013, mais le décret portant création et gestion des zones économiques, prévoit à la suite de la loi, que le régime fiscal et douanier des zones économiques sera précisé par des décrets particuliers. Il faut donc considérer qu’en sus des dispositions prévues par la loi de l’incitation à l’investissement privé dont bénéficie le gestionnaire et les entreprises installés dans les zones économiques, il y a d’autres types d’incitations qui seraient à consentir telles que celles sur les tarifs les plus favorables concernant l’accessibilité à la terre, les services d’eau, d’électricité, portuaires, aéroportuaires, etc. Ce qui est donc recherché dans ce dispositif qui n’est pas statique, c’est de constituer des avantages qui favorisent des investissements.

Ce décret du chef de l’Etat va-t-il entraîner une réorganisation des agropoles ou va-t-on être dans la continuité ?

Il faut considérer deux choses. La première c’est que sur l’existant, il n’y a pas encore de zones économiques. Parce que pour être constitué en zone économique, il y a un certain nombre de critères à satisfaire, notamment l’agrément, la création même de la zone économique. Ce n’est donc pas le fait qu’on vous désigne comme l’une des catégories figurant dans la loi régissant les zones économiques qui fait de vous une zone économique. Il faudrait encore que vous remplissiez les critères édictés par la loi. Ceux-ci exigent qu’il y ait un promoteur, ce dernier doit déposer une demande en constituant un dossier. Il faut par la suite que la zone économique soit effectivement créée par un décret du président de la République et il faut que les agréments soient accordés aux entreprises qui s’installeront dans la zone économique. A côté de ce critère, il y a celui qui est relatif à l’accroissement de la production sur la base des capacités technologiques. Il y a aussi le critère du développement de la région qui accueille la zone économique, entre autres. La loi a donc bien établie cette subtilité. Sachant bien évidement que quand bien même vous seriez dans cette catégorie, il faudrait en outre remplir d’autres critères pour être constituer en zone économique.

A quand donc la première zone économique ?

Les zones économiques se mettent en œuvre suivant un processus. Si vous aviez parcouru le décret du 17 avril 2019, vous noteriez que le processus d’opérationnalité des zones économiques, quand bien même elles seraient créées par un décret du chef de l’Etat au cours de cette année, ce ferait sur cinq ans.

L’autre problème que pose la mise en place des zones économiques est relatif à la capacité des entreprises locales à intégrer ce type de projet, au vu des exigences que cela pose notamment en termes financier. Est-ce qu’on n’aura pas finalement une zone économique inondée d’entreprises européennes ?

Il faut dire une chose, c’est que quand on parcourt le décret qui fixe les modalités de création et de gestion des zones économiques, le premier promoteur des zones économiques c’est l’Etat. Le deuxième promoteur c’est les Collectivités Territoriales Décentralisées, ensuite les organisations patronales, les universités d’Etat et les établissements privés supérieurs et enfin les groupements d’intérêts économiques. C’est dans cette dernière catégorie que les investisseurs locaux et étrangers, membres des chambres consulaires et des organisations patronales peuvent promouvoir les zones économiques. Les questions de patriotisme économique sont certes intéressantes, mais elles ont besoin de s’insérer dans un monde en pleine mutation. Peut-on parler de patriotisme lorsqu’on promeut le libre-échange en Afrique centrale ? C’est des questions intéressantes. Vous voyez aujourd’hui des exemples d’investissements réussis par les promoteurs étrangers. Je veux parler de la cimenterie et autres, sans que cela n’empêche les promoteurs locaux de se déployer avec succès dans ces domaines.

Interview réalisée par Junior Matock (Défis Actuels)

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