Les recommandations de Honoré MONDOMOBE, consultant en commerce international portent sur la digitalisation, le partenariat public privé, l’intégration des corridors et l’intermodalité si le port de Douala Bonabéri veut rester compétitif.
Le Port de Douala-Bonabéri, avec ses 150 ans d’histoire devrait se réinventer s’il souhaite être le moteur de la croissance du Cameroun et au-delà. C’est le postulat de l’économiste Honoré Mondomobe. Avec ses 22 ans de pratique du commerce international maritime dans plus de 40 pays africains, l’expert pense que les autorités du port de Douala devraient s’inspirer d’autres ports à l’instar de Lomé, Luanda, Durban et Mombasa qui connaissent un franc succès du fait de diverses réformes engagées.
Au port de Lomé au Togo en l’occurrence, il rapporte que la digitalisation et la dématérialisation ont donné des résultats positifs. Une réduction des temps de passage des conteneurs de 10 à 15 jours à 5 jours. La réforme dans la gouvernance et le partenariat a aussi induit une augmentation exponentielle de transbordement (plus de 70% du trafic total) faisant de Lomé le principal hub de la côte ouest africaine. A Durban, Honoré Mondomobe relate comment l’intégration ferroviaire à travers le transfert du trafic des marchandises de la route vers le rail a réduit « significativement la congestion routière et les émissions de carbone ».
Selon cet expert s’exprimant lors de la commémoration des 150 ans du port de Douala, ce dernier doit accélérer la digitalisation pour atteindre une dématérialisation totale des procédures ; renforcer la gouvernance pour garantir la transparence et l’efficience des opérations. En troisième lieu, il pense qu’il faudrait optimiser l’intermodalité et faire du Port la porte d’entrée fluide vers les pays enclavés. Il recommande ainsi d’investir fortement dans la digitalisation pour devenir un smart port ; renforcer les partenariats public-privé pour des projets d’infrastructure durables. Tout ceci, en s’alignant sur les ambitions de la SND30 pour faire du Port un vecteur de développement inclusif et durable. Pour Honoré Mondomobe, le port de Douala devra développer une stratégie proactive de responsabilité sociétale pour ancrer l’entreprise citoyenne qui respecte l’environnement et les communautés. La croissance du port doit selon lui tenir compte des impacts environnementaux tels que la gestion des déchets, les émissions de carbone et solutions possibles à l’instar de l’électrification, l’énergie solaire, la gestion de l’eau
Interview
Honoré MONDOMOBE, économiste
« Si le port ne se positionne pas il va disparaître »
Consultant en commerce international depuis 1991, l’expert analyse les défis et les perspectives du port de Douala Bonabéri dans un contexte de la Zlecaf et de diverses dynamiques mondiales de compétitivité et de développement durable.
A travers trois piliers, vous recommandez une transformation de la place portuaire de Douala Bonabéri. Pourquoi ce port devrait-il se réinventer aujourd’hui ?
Tous les ports sont en concurrence. C’est-à-dire que si un service n’est pas obtenu de façon optimale dans un port, l’usager, l’exportateur ou l’importateur va se retourner vers un autre port. Ce qui fait que le véritable défi, c’est la compétitivité des ports, c’est-à-dire l’amélioration du délai de passage des marchandises et l’amélioration du service. Un port comme celui de Douala est déjà bien engagé, mais il faut qu’il améliore sa vitesse pour être digitalisé. On ne doit pas se déplacer vers le port pour faire des opérations. On peut les faire sur le téléphone, on peut désormais les faire de loin. Donc il faut aller vers cette modernisation-là. Et c’est ça le défi, pas seulement du port de Douala, mais de tous les ports, à devenir digitaliser complètement. Les ports doivent être interconnectés en temps réel avec les sociétés de logistique et de transport pour que les marchandises soient attendues au port, au lieu que les commerçants et les logisticiens viennent faire la queue devant les ports. Les ports ne doivent pas perdre de temps aux exportateurs ou aux importateurs.
Quels sont les risques que le PAD court s’il ne suit pas cette dynamique ?
Si le port ne se positionne pas il va disparaître, parce qu’il y a un nombre de marchandises qui maintiennent le port de Douala en fonctionnement. Et si toutes ces marchandises sont plutôt exportées vers les ports des pays voisins, la baisse de l’activité du port peut amener le port à fermer. Et les gens, au lieu d’aller au port de Douala, iraient au port de Kribi, ou bien iraient au Gabon, ou bien au Nigeria. Donc il faut que les ports se modernisent pour continuer à attirer les exportateurs et les importateurs, et pour survivre. Parce que la compétition au niveau digital, au niveau de la fluidité, au niveau de la compétitivité, oblige les ports à s’arrimer. Si les ports ne s’arriment pas, ils vont disparaître. Il y a la concurrence des drones. Les drones vont prochainement porter des marchandises qu’on le veuille ou pas, les drones vont porter des containers. Il y a des études qui le démontrent. Ça veut dire que les ports vont avoir des concurrents en termes de logistique. Mais le port de Douala a beaucoup évolué. Le port de Douala a investi. Le port de Douala s’est arrimé. Mais c’est un cycle infernal dont il ne faut pas baisser la garde. Parce que de plus en plus, le port va être sollicité. Parce que les autres concurrents investissent aussi. Les autres concurrents se modernisent. Donc c’est une compétition acharnée. Donc le port de Douala est bien parti. Mais il ne doit pas laisser passer le cap. L’apport du secteur privé est également indispensable.
Vous proposez justement que le partenariat public privé soit davantage renforcé pour accompagner les projets d’infrastructures. Quel regard jetez-vous aujourd’hui sur le transport multimodal dans le pays ?
Le transport multimodal au Cameroun a du plomb dans l’air. Parce qu’il n’y a pas une bonne intégration fluide entre le rail, la route et le port. Normalement, tout devrait être combiné. Donc il faut que sur la place portuaire, qu’on retrouve le rail qui vient prendre la marchandise au port. On ne doit plus transporter la marchandise pour l’amener ailleurs. Le rail doit l’amener vers le port. Et le port doit exporter une marchandise qui est dans une chaîne de logistique mondiale. Et tout en évitant des pertes de temps. Donc le transport multimodal est encore un défi pour le port autonome de Douala. Mais ce n’est pas le port le seul acteur du transport multimodal. C’est tous les intervenants à la chaîne d’importation ou d’exportation.