Pierrot Minkoua Nzhiou : «C’est moi qui ai déjoué le message des putschistes du 6 avril»

Au petit matin du 6 avril 1984, des militaires de la Garde républicaine attaquent la présidence de la République, en même temps qu’ils essaient de prendre le contrôle des casernes militaires de la capitale. Alors que le coup-d‘Etat semble réussir, la riposte s’organise et les putschistes sont finalement renversés. Parmi les actions mises à contribution, la coupure des émissions de la radio nationale. Une action qui profitera à Gabriel Ebili, jadis technicien en service à la radio d’Etat. L’homme qui n’avait jamais reçu de récompense pour son action patriotique a finalement bénéficié d’un geste de la part de celui qu’il a contribué à sauver deux ans après son accession au pouvoir : le 27 janvier 2017, a eu lieu la pose de la première pierre de la maison de retraite d’Ebili. Et voilà que surgit à son tour Pierrot Minkoua Nzhiou, un de ses anciens collègues qui revendique la même action salutaire. La rédaction reprend à son compte cette interview jadis publiée par le quotidien La Nouvelle Expression.

Au petit matin du 6 avril 1984, des militaires de la Garde républicaine attaquent la présidence de la République, en même temps qu’ils essaient de prendre le contrôle des casernes militaires de la capitale. Alors que le coup-d‘Etat semble réussir, la riposte s’organise et les putschistes sont finalement renversés. Parmi les actions mises à contribution, la coupure des émissions de la radio nationale. Une action qui profitera à Gabriel Ebili, jadis technicien en service à la radio d’Etat. L’homme qui n’avait jamais reçu de récompense pour son action patriotique a finalement bénéficié d’un geste de la part de celui qu’il a contribué à sauver deux ans après son accession au pouvoir : le 27 janvier 2017, a eu lieu la pose de la première pierre de la maison de retraite d’Ebili. Et voilà que surgit à son tour Pierrot Minkoua Nzhiou, un de ses anciens collègues qui revendique la même action salutaire.

Trente-trois ans après le coup-d‘Etat manqué du 6 avril, vous apparaissez brusquement sur la scène pour revendiquer un rôle premier dans cet échec ; qu’est-ce qui vous anime ?

Je suis en quête de la vérité. Le Cameroun est un pays qui a une histoire. Il faut bien que cette histoire se base sur la vérité. C’est parce que j’ai vu ce qui se passe à la télé que j’étais obligé d’intervenir car ce n’est pas ça qui s’est passé.

Vous réagissez six jours après une reconnaissance du chef de l’Etat à l’endroit de Gabriel Ebili, jusqu’ici connu comme celui qui a circonscrit le message des putschistes à la zone urbaine de Yaoundé. Vous n’êtes pas d’accord avec l’acte du Chef de l’Etat ?

Tout dépend de ce qu’on lui a rapporté. Je ne suis pas d’accord. Vous pouvez lire le premier numéro de Jeune Afrique après le 6 avril. Il relate bien ce qui s’est passé à Soa ; comment le technicien en place a pu déjouer le message des putschistes. Trente-deux ans plus tard, ce n’est plus ce qui se dit. Alors c’est ça qui m’a poussé, en quête de la vérité, en quête de ce que nos enfants et nos petit-fils doivent avoir une histoire vraie, à ne plus me cacher ; à dire ce qui s’est passé. Soa en la personne de Minkoua qui a déjoué le message des putschistes. La principale raison c’est que je suis en quête de la vérité et que si le pays a une histoire, qu’elle ne se base pas sur ce qui ne s’est pas passé. Et j’ai une filiation avec le Chef de l’Etat. Je suis son cousin. Je ne pouvais pas permettre cela. Je ne pouvais pas permettre qu’à peine deux ans qu’on vient de vivre la fin d’un long régime, que ce nouveau régime soit renversé. Voilà ce qui m’a animé. Ce n’était pas le fait du hasard. J’ai voulu défendre la cause d’un cousin, j’ai voulu voir finir les promesses faites par le Chef de l’Etat ; nous connaissons «Rigueur et moralisation». A peine on commençait, il y a eu tentative de coup-d’Etat. Je n’ai pas permis. Voilà ce qui m’a animé pour que je puisse agir de cette manière.

Quand vous dites ‘’Soa a déjoué le message des putschistes’’, vous parlez de vous qui étiez à l’antenne selon vos dires; racontez-nous ce qui s’est passé.

Merci. Le matin du 6 avril c’est moi qui étais à l’antenne. Et comme d’habitude j’ai allumé les émetteurs. Soa a trois émetteurs : deux émetteurs ondes courtes de 100kilo (kilohertz) et un émetteur ondes moyennes de 20kilo. L’un des émetteurs 100kilo est utilisé comme chaîne nationale et l’autre comme chaîne internationale. Le matin, j’avais donc allumé les émetteurs. A 5h et demi, nous avions l’habitude de recevoir le 1000kilo qui vient de la ville. J’ai attendu, il n’est pas passé. Mais dans la construction du centre d’émission de Soa, on a prévu un studio, une cabine provisoire qui est une sorte de petite BF (cabine de production). On pouvait produire là-dedans, mettre la musique, les journalistes pouvaient intervenir. Quand il y a eu retard, comme d’habitude, je suis allé mettre une bande qui diffusait la musique, le makossa et autres. Entre temps, une quinzaine de minutes après, arrive le 1000kilo de la BF, c’est-à-dire du Centre de production de Yaoundé. Je cours donc, j’arrête la musique du studio provisoire, je laisse passer la musique militaire qui y passait déjà. Cette musique ne m’arrange pas. Je me pose des questions : est-ce que le chef de l’Etat va parler le matin ? Pourquoi le musique militaire ? C’est alors que je reçois un coup de fil qui me demande ‘’pourquoi vous diffusez la musique militaire ?’’ Je lui ai dit que c’est Yaoundé qui nous l’envoie. Il me demande ‘’est-ce que vous ignorez qu’il y a coup d’Etat ici à Yaoundé depuis 2h du matin ?’’. J’ai alors couru appeler le chef de poste militaire du nom de Zo’o Zo’o qui devait être sergent ou sergent-chef, qui est un frère Bulu. Je lui ai même dit en Bulu ;’’mon frère, mon frère, il y a coup d’Etat à Yaoundé. Celui-ci sans tarder, a appelé le chef de poste adjoint, Fouda, et a dit, ‘’tout le monde en poste ; il y a coup d’Etat à Yaoundé’’. Les militaires se sont habillés rapidement et ont pris leurs armes. Mais dans ma curiosité, parce que la musique militaire ne m’arrangeait pas ; je vais donc chercher comme on le faisait, à avoir un collègue au centre BF de Yaoundé. J’appelle, c’est une voix autoritaire qui répond quand j’ai demandé pourquoi il y a la musique militaire, ‘’continuez !’’. Ça m’a même fait vibrer. Dès lors ma pensée était qu’il fallait faire quelque chose. Quand je reviens, la salle est remplie, mes collègues sont là, beaucoup de gens, avec des commentaires. Alors j’appelle de côté le chef de poste militaire, je lui dis : ’’mon frère, dis que tu veux rester dans le centre avec seulement le technicien qui est de service. Renvoie tous les autres’’. Ce qu’il a fait, avec un visage défait. Il avait déjà changé. Mes collègues et beaucoup d’autres sortaient en courant. Je suis resté dans la paix dans la cabine où le technicien travaille. Mais de temps en temps, le chef de poste militaire faisait des tours, parce qu’il faisait la ronde. J’ai donc pris les trois jacks, c’est-à-dire les petits instruments qui font la connexion du son qui vient de la BF pour les transmettre sur les trois émetteurs aux antennes, que j’ai enlevés. Ceci avait pour conséquence que, même comme les émetteurs ronflaient, rien ne passait plus aux antennes. Alors, tout ce qui venait de Yaoundé, je recevais à la baie, mais rien ne passait plus par les antennes. Voilà pourquoi à un moment donné, dans tout le Cameroun, on a constaté que la musique militaire ne passait plus. Et même quand le message des putschistes passait, je le recevais, toujours dans la cabine, mais je savais qu’il ne passait pas aux antennes. Donc le pays ne le recevait pas, même la chaîne internationale n’a pas transmis, l’émetteur ondes moyennes ne transmettait plus. Donc c’est là, au niveau de Soa que tout s’est arrêté.

Vous contestez donc la thèse selon laquelle c’est M. Ebili qui a déjoué la diffusion du message des putschistes ? Il ne pouvait pas le faire à partir de Yaoundé ?

Il pouvait bien le faire ; mais il y a quelque chose qui est vrai : c’est que quand il vient au service, la chaîne urbaine fonctionne. Tout ce que le poste national produit passe par la chaîne urbaine. Et tout ce que le poste national produit passe par la ligne qui va à Soa. Pourquoi je conteste ? D’après ce qu’il dit, il a seulement ouvert la ligne de la chaîne urbaine et que quelque part il a fermé celle de Soa. Je dis Non.  La preuve, j’ai reçu la musique militaire, j’ai reçu le message. Ce n’était pas possible. Donc je conteste. Un bon technicien comprend ce que je dis. La musique militaire et le discours sont passés par la chaîne urbaine, sont arrivés à Soa, mais à la différence qu’à Soa, nous n’avons pas laissé passer aux chaînes de longue portée. L’action efficace de Soa a évité un grand bain de sang dans ce beau pays qui est le Cameroun. Il suffisait de laisser rétablir les connexions et tout le pays suivait le discours.

Le Chef de l’Etat a récompensé les principaux acteurs de l’échec du coup d’Etat. Vous n’en avez jamais reçu ?

Depuis le temps où ça s’est passé, beaucoup de mes collègues me disaient, ’’tu es le héros, avec ce que tu as fait’’. Mais quelques jours après, je réalise que, à part Jeune Afrique, ses journalistes, je ne reçois personne pour une enquête. Et quelques temps après, mes collègues, mes chefs, ont eu des promotions. Il est même dit, et ça, je ne peux pas l’affirmer, que le directeur de l’époque, a eu une enveloppe. Ça a été dit. Les autres ont eu des récompenses, je suis resté dans les oubliettes. Et je n’ai même pas été consulté pour dire qu’on dit que c’est Soa qui a déjoué, tu as fait comment. Hormis Jeune Afrique, personne. Le jeune de la BF dit qu’il a été interrogé plusieurs fois, mais moi, jamais. Voilà trente-deux ans, aucune interrogation. Le point même qui fait encore mal c’est ce qui se fait aujourd’hui. Je n’avais jamais eu une récompense ; je n’avais même jamais été interrogé. Quand on a même dit que le directeur doit expliquer ce qui s’est passé, je me suis demandé qu’est-ce qu’il explique, est-ce qu’il est venu me voir ? Il devait d’abord venir me voir pour que je lui explique ce qui s’est passé, parce que c’est mon directeur, mais ça ne s’est pas passé ainsi. J’ai seulement appris qu’il y a des médailles. Moi j’ai eu des médailles de travail, mais ce n’était pas par rapport aux événements du 6 avril ! Je n’ai reçu aucune médaille monsieur ; je n’ai reçu aucune médaille.

Et pourtant, vous n’avez jamais contesté…

Oui c’est pour des raisons de sécurité. A l’heure qu’il est, j’ai douze enfants. Beaucoup de gens m’ont conseillé, ‘’ne t’affiche pas’’. Pendant que nous y étions, quelques jours après, il y avait un capitaine de l’armée qui est venu me voir pour me dire que ‘’je vais t’aider, tu n’as pas été récompensé’’. Il a fait le défilé pendant une ou deux semaines, il est revenu et m’a dit ‘’il vaut mieux que tu abandonnes ; derrière cette affaire il y a de gros bras’’.  J’ai obéi. Et il y a une autre raison. C’est que quelqu’un qui est proche de la famille a pris le dossier en main, il a dit ‘’reste tranquille, ne parle pas, je vais m’en occuper. Il y a trente-deux ans, ça n’a pas donné de solution. Tout ce que je peux constater c’est que le côté de la BF a été récompensé. Je n’ai jamais eu de récompense. Et je n’ai jamais été sollicité. Voilà donc la triste réalité des faits. Il y a une chose ; à Soa, tout le monde sait. Ce qui se passe même ces jours-ci scandalise les gens. Tout le monde sait depuis le 6 avril que c’est le technicien Minkoua du Centre d’émission de Soa qui a fait obstacle au message, mais subitement il y a une contradiction. Les bras me sont faibles. Mais la personne même à qui j’ai confié le dossier, je ne sais pas s’il a été dépassé, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je n’ai rien reçu. Je n’ai rien reçu.

Vous comptez réclamer quelque chose au chef de l’Etat ?

Il faut que lui-même apprécie. S’il est convaincu de cette vérité, il faut que lui-même juge. Mais il faut qu’on sache la vérité. Ce pays a une histoire mais il ne faut pas que cette histoire soit basée sur le faux. Ma fierté, ma consolation c’est d’avoir sorti cette vérité. J’avais 36 ans à l’époque, aujourd’hui j’ai 68 ans. Je me dis que même les menaces, advienne que pourra. J’ai livré cette vérité aux Camerounais.

Vous est-il déjà arrivé de parler de ce sujet avec Gabriel Ebili ?

Non, non, non. Il m’a même toujours épargné. C’est un petit frère ; nous sommes tous de Lolordof. On n’a point eu de contact, mais partout il parlait et moi j’ai gardé le calme. Je m’ouvre maintenant au peuple compte tenu de la situation qui est sur le terrain. Pendant trente-deux ans j’ai gardé le calme.

Même dans le cadre du service, vous n’en avez jamais parlé ?

Peut-être avec des collègues, on commentait pour dire, ‘’voilà, les autres ont eu des médailles…’’, d’autres ont même eu des sommes d’argent, mais moi rien. Voilà trente-deux ans monsieur. Trente-deux ans.

Entretien réalisé par Lindovi Ndjio

Paru dans La Nouvelle Expression du 3 février 2017

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