samedi, octobre 5, 2024
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Les ressorts de la violence urbaine galopante

Par Moussa Njoya, politologue

Ce week-end, les habitants de Douala ont vécu l’enfer. L’effroi, la peur, la désolation était au menu. La faute à une horde de jeunes hors la loi, au-dessus la loi diraient certains. Ils ont semé la terreur, avec une fureur difficilement descriptible.

Mais au-delà des interprétations et tentatives de récupérations diverses, cette flambée est loin d’être isolée, et renseigne sur certains éléments sécuritaires préoccupants qui peuvent être généralisés.

La généralisation de la violence populaire au Cameroun

Les populations camerounaises, et surtout les internautes, ont été stupéfiés par les images de jeunes, machettes à la main, faisant face aux forces de défense et de sécurité et déterminés à en découdre avec leurs congénères dans la ville de Douala. Mais cette stupéfaction renseigne sur l’ignorance par ceux-ci des faits semblables précédents et récents. Comme source du conflit, l’on parle selon les cas d’une affaire de règlement de compte ou encore d’une affaire de « taxage », terme désignant l’extorsion de biens par des groupes de jeunes qui sévissent dans les villes et villages du Cameroun.

Par ailleurs, il y a de cela quelques mois, la même ville de Douala était déjà la scène d’une flambée de violence au niveau de Yassa, à la sortie de la ville en partance pour Yaoundé. Celle-ci était le fait des jeunes présentés comme des Centrafricains. Ceux-ci avaient cassé des véhicules, battu et blessé plusieurs personnes, et pillé des petits commerces alentours ; le tout le sous regard quasi-impuissant des forces de maintien de l’ordre. Les habitants de ce quartier feront savoir que ce n’était pas la première fois que ces jeunes Centrafricains se livraient à de tels actes, généralement sous l’emprise de la drogue et de l’alcool. L’incident serait survenu à la suite d’un banal accident de moto ayant entrainé la mort d’un Centrafricain.

La même ville de Douala est également coutumière des affrontements sous fond de règlements de entre les bandes des jeunes, présentés comme étant des délinquants et des drogués. Ainsi, il n’est pas rare de voir les jeunes quartiers Makea, Nkongmondo, Ngonsoa, Camp Yabassi, Bilongue, Bonaloka, Shell New-Bell, Ngangue, etc. s’affronter pendant des heures.

Dans un tout autre cadre, le 29 mars 2019, les Camerounais étaient médusés d’apprendre la mort du jeune Blérot, élève au Lycée bilingue de Deïdo et qui avait été poignardé par son camarade de classe. L’on évoque un autre cas de « taxage » ayant mal tourné entre deux camarades.

A la mi-2018, c’est la ville de Foumban qui était en proie à des violences entre les jeunes de Manka contre ceux de Kounga, qui s’étaient affrontés pendant toute une journée et paralysant toute la ville. Tout serait parti d’une simple affaire de discussion portant sur un match de football de champions league.

Quelques mois plus tard, c’est la ville d’Obala qui offrait un spectacle similaire le 25 avril 2019, avec des jeunes, machettes à la main, faisant face aux forces de défense et de sécurité.

Que dire de la ville des évènements récents de Sangmélima qui ont estomaqué toute tout le monde civilisé ?

Ces quelques cas illustratifs, et qui sont très loin d’être isolés, renseignent sur une forte  tendance à la généralisation de la violence urbaine au Cameroun. Car que ce soit en zone urbaine, en zone rurale ou en milieu scolaire, celle-ci devient omniprésente.

Le deuxième constat est celui d’une banalisation de la violence populaire car tout part toujours d’une banale histoire entre jeunes gens pour aboutir à un embrasement généralisé de la localité.

La troisième remarque est que ces violences, au-delà des apparences, n’épousent pas des contours tribaux. Il s’agit juste d’affrontements entre jeunes de différents quartiers, avec la seule particularité que certains quartiers dans les villes et villages peuvent avoir une forte concentration d’une communauté ethnique particulière.

Des jeunes connus des autorités et drogués

Dans les cas sus-évoqués en guise d’illustration, l’on constate que la violence populaire au Cameroun est essentiellement et majoritairement le fait des jeunes, souvent des adolescents.

Ceux-ci sont souvent clairement identifiés comme des délinquants et généralement connus des forces de maintien de l’ordre et des autorités comme étant des personnes semant souvent la terreur dans la localité.

L’autre caractéristique de ces jeunes est qu’ils sont souvent présentés comme des grands consommateurs de stupéfiants et d’alcool.

Le dépassement des forces de maintien de l’ordre

L’une des images des évènements de Douala et qui est très interpellatrice est celle mettant en scène un véhicule de policiers qui s’enfuit sous les jets de pierres de jeunes adolescents.

Il convient également de rappeler que pour ramener le calme dans la ville de Foumban à la suite des violences sus-évoquées, il avait fallu l’intervention des éléments du Bataillon des troupes Aéroportées (Btap) de Koutaba, alors que la ville dispose d’une compagnie de gendarmerie et d’un commissariat de police. Tout comme à Obala, l’on a dû faire recours aux éléments de la garde présidentielle. Rien de moins !

Ces trois cas illustratifs contredisent fondamentalement la théorie de « l’absence de l’Etat » comme catalyseur des violences urbaines. En effet, pour expliquer le recrutement massif des jeunes du septentrion dans les rangs de Boko Haram, certains chercheurs estimaient que cela était la résultante de l’absence de l’Etat et notamment des forces de défense et de sécurité dans ces localités.

Face à la généralisation de la violence populaire au Cameroun, l’on est amené à constater plutôt le « dépassement » des forces de maintien de l’ordre, notamment la gendarmerie et police. Celui-ci s’explique par ces éléments :

  • L’insuffisance des effectifs dans les unités de gendarmerie et de police, ce qui les rend totalement incapables de faire face à des marrés humaines qui sont souvent en furie lors de ces violences populaires ;
  • La corruption des hommes des policiers et des gendarmes qui sont souvent complices et amis des jeunes délinquants, ce qui leur ôte toute autorité morale, chose pourtant nécessaire pour calmer les situations de crise ;
  • La corruption des autorités judiciaires qui consacre l’impunité des délinquants et refreine les populations dans leur volonté de collaboration avec les forces de défense et de sécurité ;
  • La protection des jeunes délinquants par les élites locales qui sont souvent leurs parents, ce qui les encourage à poser des actes délictueux et leur permet de se constituer des groupes d’affidés à qui ils assurent leur « protection » judiciaire.

 

L’usage des armes blanches

Que ce soit à Douala, Foumban ou Obala, les choses se passent presque toujours de la même manière. Un jeune ou un groupe de jeunes d’un quartier va dans un autre, soit pour courtiser une jeune fille, soit pour faire la fête, soit pour commettre un larcin ou tout simplement pour une rencontre sportive. Ils sont pris à partie par les jeunes du quartier où ils se trouvent, pour diverses raisons. Il s’en suit une bagarre dans laquelle ils sont molestés.

Ils rentrent dans leur quartier chercher du renfort pour revenir procéder à des représailles, mettant à sac et battant sans distinction les habitants du quartier de leurs « agresseurs ». Ceux-ci, touchés dans leur honneur, vont aussi s’organiser pour aller infliger des représailles en « retour » dans le quartier des « envahisseurs ». Il s’en suit un engrenage, d’attaque-défense-représailles, et qui peut parfois durer des jours.

Dans ce cycle de violence, les jeunes, comme on l’a vu à Douala, s’arment de couteaux, lances, gourdins et surtout de machettes. Même dans le cas du Lycée de Deïdo, l’agresseur était armé d’un poignard.

Cette propension à l’usage des armes blanches peut sembler rassurante dans un premier temps, car on estime toujours que les armes à feu produisent plus de dégâts. Mais, mais cet usage des armes blanches devrait plutôt hautement inquiéter, car leur disponibilité et leur accessibilité facilitent la généralisation des violences populaires. Ce qui peut conduire à des situations totalement incontrôlables et très dramatiques comme on a eu à le vivre au Rwanda, au Burundi, ou encore en RCA.

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