Les fuites au service des réseaux

Le ministre de la communication a commenté le rapport de synthèse de la chambre des comptes vendredi dernier, dans une tentative de reprendre la main sur le dossier.


René Emmanuel Sadi a signé son communiqué ce 29 mai. Il y critique globalement l’emballement médiatique consécutif à la publication – par inadvertance présumée – d’un rapport de synthèse de la chambre des Comptes de la Cour suprême relatif à la gestion des fonds Covid. À la lecture dudit communiqué, l’observateur pourrait se demander pour quelle raison le porte-parole du gouvernement réagi à une fuite et surtout pourquoi il a attendu une semaine pour donner son point de vue.

Mais M. Sadi n’est pas n’importe qui justement. Ancien secrétaire général du Comité central du Rdpc et ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, l’on pourrait dire que l’homme sait les enjeux des fuites organisées dans le sérail sans grand risque de se tromper.

Ses services confirment d’ailleurs cette option. Un haut cadre du ministère de la Communication explique que le communiqué du ministre Sadi « clôt le débat sur l’authenticité ou non du rapport de la chambre des Comptes ». La même source soutient que la procédure de l’évaluation de l’utilisation des fonds publics est une pratique usuelle. « L’ouverture des enquêtes judiciaires s’est faite sur la base de ces rapports qui ont été initialement transmis au président de la République », souffle-t-ton. Dans tous les cas, le but n’est donc pas d’éteindre quelque feu qui soit.

Ces explications montrent clairement que le gouvernement a intégré les fuites dans dans son mode de fonctionnement et ne se gêne plus pour y apporter des confirmations officielles. Pourrait-il en être autrement quand le moindre document officiel se retrouve dans les réseaux sociaux avant même que la mesure qu’il annonce ne soit implémentée ?

DUEL DE FOCON

Le fait est que les fuites sont utilisées comme des armes pour s’attirer les faveurs de l’opinion et du président (?). Le record des correspondances qui ont « fuité » ces derniers temps proviennent de deux administrations en général réputées pour leur discrétion légendaire. Il s’agit du secrétariat général de la présidence de la République et du ministère de la Justice.

Tout le pays est au courant du contenu des lettres que Ferdinand Ngoh Ngoh envoient à Laurent Esso. De la même manière, les réponses de Laurent Esso semblent d’abord destinées aux commères des groupes WhatsApp avant d’atterrir sur la table du SG/PR. Et le manège n’a pas attendu les dénonciations liées à la gestion des fonds destinés à la riposte contre le coronavirus.

Pour ne prendre que les derniers mois, les demandes de libération de prisonniers VIP se sont retrouvées dans les téléphones alors même que les prisonniers de trouvaient encore en cellule. On se rappelle en la matière des « hautes instructions du président de la République » relatives à l’abandon des poursuites judiciaires en faveur de Basile Atangana Kouna. Le secrétaire général de la présidence a saisi le Garde des Sceaux afin qu’il procède à la libération de l’ancien ministre de l’Eau et de l’Énergie et ancien DG de la Camwater le 2 décembre 2020. Une instruction que M. Esso a superbement ignoré. La preuve, le prévenu prétendument bénéficiaire de la gentillesse présidentielle est toujours derrière les barreaux six mois plus tard. Le même manège s’est répété avec l’affaire Gervais Mendo Ze. Ici, la dose de cynisme est allée un peu plus loin. La nouvelle de la libération de l’ancien ministre et ancien DG a été propagée alors que l’homme était à l’agonie à l’hôpital général de Yaoundé.

La fuite des documents relatifs à la grâce présidentielle qui lui aurait été accordée n’a convaincu que quelques crédules tant il est vrai que le chef de l’État, malgré sa bonne volonté présumée, ne peut pas gracier un prévenu qui n’a pas encore été condamné.

Contre-Fuites

Si les services du SG/PR et du ministère de la Justice remportent par acclamations le championnat national des fuites, les autres administrations camerounaises savent également défendre leur honneur en laissant négligemment traîner quelques documents. Et les accusations des magistrats de la chambre des Comptes ont démontré ce que le ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation était capable de faire.

Les documents naguère en sécurité dans les archives du Minresi se sont brusquement retrouvés sur la place publique alors que les rapporteurs de la juridiction financière épinglaient, à tord ou à raison, la gestion de Madeleine Tchuente des fonds Covid mis à sa disposition.

Et ces fuites-là ne se sont pas faites au hasard. Les lettres que le chroniqueur a consultées répondent point par point aux accusations qui ciblent la ministre. Les enquêteurs se demandent comment le ministère aurait utilisé 4 milliards de francs ? Un courrier de la présidence demandant l’arrêt d’un programme est brandi suivi d’une kyrielle de lettres aux services rattachés.

Au regard de la précision de la réponse et des documents mis à la disposition du public, difficile de ne pas y voir la volonté manifeste de la ministre de se défendre par ses propres moyens. Dans ce cas précis, peut-on encore vraiment parler de fuites ? Des fuites officielles que les agents du ministère assument en catimini. À la guerre comme à la guerre.

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