La Chambre des comptes de la Cour suprême met en garde contre une dérive budgétaire désormais persistante. Dans son rapport sur l’exécution budgétaire pour l’exercice 2024, rendu public le 19 novembre 2025, l’institution souligne que les restes à payer – ces dépenses engagées mais non réglées – continuent de s’accumuler d’année en année, au point de devenir un risque sérieux pour l’économie nationale et pour la crédibilité financière du Cameroun.
Au 31 décembre 2024, ils atteignaient 926,49 milliards de FCFA, selon des données publiées par cette institution. Les dépenses courantes comme les biens et services (281,6 milliards), les subventions et transferts (334,7 milliards), ou encore les dépenses en capital (373,6 milliards) concentrent l’essentiel du stock
Le volume des restes à payer qui croit incessamment au fil des années n’est pas qu’un poids latent pour la trésorerie de l’Etat. Il « confère » également au pays, « le statut permanent » de « mauvais élève » en matière de respect des règles communautaires , et même de celles qu’il a lui même édictées. En effet , comme le souligne la Chambre des comptes, cette accumulation des RAP se fait en violation du principe communautaire de non-accumulation des arriérés de paiement sur la gestion courante, en zone Cemac.
La Chambre cite également le décret du 7 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité publique, selon lequel « le paiement est l’acte par lequel l’État se libère de sa dette (…) » et « que toute dépense non réglée dans un délai de quatre-vingt-dix jours après liquidation devient automatiquement un arriéré, assorti d’un intérêt moratoire».
La chambre des comptes rappelle également l’instruction comptable du 4 mai 2022, qui précise « que toute dépense non payée au terme de la période complémentaire doit être reclassée dans les dettes financières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui». Cette absence de reclassement, écrit-elle, « masque une partie de la dette publique et ne permet pas d’avoir la situation exhaustive de celle-ci ».
Dans son analyse, la Chambre des comptes met en relation directe ces retards de paiement avec les tensions qui se propagent dans l’économie réelle. Elle affirme que « l’importance de ces restes à payer ne permet pas d’avoir une exécution harmonieuse du budget de l’État », et leur accumulation « impacte négativement l’économie nationale ». A en croire cette dernière , les arriérés privent les entreprises de liquidités, perturbent leur accès au crédit, ralentissent l’activité et finissent par peser sur l’emploi. Ils poussent les fournisseurs à augmenter leurs prix pour se protéger du risque de retard, ce qui renchérit les prestations et affaiblit l’efficacité de la dépense publique.
La Chambre avertit également que l’augmentation du coût des fournitures peut contraindre les administrations à réduire leurs achats ou à diminuer le niveau des services rendus, voire à en suspendre certains. Les fournisseurs, confrontés à leurs propres difficultés de trésorerie, peuvent exiger un paiement avant livraison, ce qui menace la continuité de services essentiels comme l’électricité, l’eau ou le carburant, ou encore retarde des projets d’investissement.
L’institution souligne par ailleurs que les retards chroniques créent un terrain propice aux pratiques de contournement, en encourageant la corruption et la collusion entre certains acteurs publics et privés qui cherchent à accélérer le traitement des dossiers.
La pression se répercute aussi sur le système financier. « Pour compenser leur manque de liquidité, des opérateurs économiques se tournent vers les banques, ce qui renforce les tensions sur la dette et contribue à un mouvement haussier des taux d’intérêt. Dans cet environnement dégradé, les fournisseurs, fragilisés et moins confiants dans la solvabilité de l’État, hésitent parfois à s’acquitter de leurs obligations fiscales et sociales tant qu’ils n’ont pas été payés. Cette chaîne d’effets finit par fragiliser l’équilibre budgétaire lui-même, car la prise en compte des restes à payer en début d’année crée des contraintes de trésorerie qui se répercutent jusqu’à la clôture de l’exercice » , souligne la Chambre des comptes.
Elle estime par ailleurs que ces tensions auraient pu être anticipées si le montant des restes à payer avait été intégré dès la loi de finances initiale, ce qu’elle recommande désormais de manière formelle. Elle appelle également à isoler ces montants en fin d’exercice afin de rechercher des financements spécifiques, dans le but d’assurer une exécution budgétaire plus fluide et plus transparente.
Dans le rapport de la chambre des comptes il est indiqué que le ministre des Finances reconnaît la pertinence de l’observation et affirme que, même en l’absence de cadre formel, les restes à payer de plus de trois mois font l’objet d’un suivi par la Caisse autonome d’amortissement. Les notes de conjoncture de cette dernière l’attestent d’ailleurs. A fin septembre 2025, les arriérés ont drastiquement baissé atteignant 485,4 milliards de FCFA, soit un niveau identique à celui observé trois mois plus tôt. La CAA précise toutefois que ces estimations demeurent provisoires et doivent être consolidées par le Trésor public au terme des travaux de fin de période.







