Des gens meurent encore dans les régions du Nord- Ouest et du Sud-Ouest Cameroun. Chaque mois, les corps d’éléments des forces nationales de défense, des combattants séparatistes et ceux des habitants, « victimes collatérales » des affrontements entre les deux premiers groupes, s’amassent. Et alors même que les différentes parties sont loin, d’avoir trouvé une piste de solution définitive à cette crise dite anglophone, une nouvelle forme de dérapage menace depuis bientôt un an, la stabilité du pays : la prolifération des discours de haine vis-à-vis de certaines ethnies et le regain de propos tribalistes au sein l’opinion. Il devient de plus en plus difficile d’échapper à des dérives langagières dans les communications, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les médias.
De nouvelles habitudes qui alourdissent les menaces sur l’unité nationale et le risque de voir le pays plonger dans une guerre civile. L’élection présidentielle du 7 octobre 2018 est l’un des facteurs, qui a favorisé la montée en puissance des divisions liées notamment au repli identitaire. Responsables politiques, partisans et sympathisants surchauffés sur la toile ou dans les médias, comme bon nombre de citoyens, nombreux sont ceux qui, depuis cet épisode électoral, agissent dans le sens de maintenir le pays dans une hystérie collective qui s’est publiquement manifestée au Conseil Constitutionnel, lors du contentieux électoral. On se souvient en effet des déclarations de Maurice Kamto, candidat du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) qui lançait à Clément Atangana et ses collègues : « Par le tribalisme orchestré par les services de l’Etat qui instillent la haine dans les veines de la société camerounaise pour détruire le vivre-ensemble, la cohésion nationale et ultimement notre Nation si fragile, sans que ne bronche le candidat sortant, la preuve est faite que le candidat Biya Paul [qui sera élu au terme de ce scrutin, Ndlr] de se maintenir au pouvoir par tous les moyens et à tous les prix est au-dessus de toute chose, y compris le Cameroun même ».
QUI INSTRUMENTALISENT ?
Nombre de sociologues et politologues sont unanimes sur un point : le Cameroun est aujourd’hui au bord du gouffre. Et le risque de chaos est de plus en plus grand. Jusqu’ici, les premières hostilités se manifestent par une « guerre verbale » entre ressortissants de l’Ouest, du Centre, du Sud et de l’Est sur la place publique. Au point de se déporter au sein de certaines familles issues de mariages mixtes multiethniques. Souvent sous l’instigation ou l’instrumentalisation des parents ou de l’élite, les attitudes de repli identitaire et les actes d’intolérance et de stigmatisation des « autres » se multiplient. Dans un entretien avec l’agence de presse, Sputnik France, Richard Makon indiquait que ce sont quasiment tous les Camerounais qui, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, par action ou par abstention, instrumentalisent tant le fait que le spectre tribal. Le premier acteur de cette instrumentalisation étant l’Etat d’une part, « à travers ses politiques d’exclusion » dont la plus illustre expression est « la politique d’équilibre régional, enrégimentée par les gouvernants pour justifier de toutes les formes d’abus et de discriminations tribales, ethniques, sociales et sociologiques », et d’autre part à travers « l’ordonnancement juridique par lequel ont été «juridicisés» des concepts d’autochtones et d’allogènes, qui s’inscrivent dans la même logique que le concept « d’ivoirité », qui a été à l’origine du drame ivoirien », expliquait le politologue camerounais.
Risque de guerre civile
Toujours selon l’expert, le second groupe d’acteurs qui instrumentalisent est constitué des communautés ethniques, dont l’objectif est de positionner l’ethnie autant que possible au coeur de l’échiquier national pour profiter des meilleures positions de représentation. Alors que le troisième groupe d’acteurs est constitué des partis politiques et de la société civile, dont les stratégies, les mobilisations et les luttes « sont généralement influencées, ou du moins inspirées, par des causes tribales et identitaires, limitant ainsi leurs capacités à rassembler au-delà de leurs sympathisants originels ». Or « tous les risques possibles – sécession, conflits intercommunautaires, révolution populaire, contestation de l’autorité et des institutions, dégradation du climat social et aggravation de la crise sociale, humanitaire et économique, etc.- convergent vers un seul but, se fécondent pour créer une seule et unique catastrophe : la guerre civile ! », tranche Richard Makon.
Arthur Wandji (Défis Actuels)