Devant les députés réunis en session ordinaire en décembre dernier, Madeleine Tchuinte, ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation (Minresi), a annoncé une nouvelle d’importance pour le secteur agricole. Selon la ministre, une enveloppe de 4 milliards de FCFA, représentant la première tranche de la subvention présidentielle de 10,3 milliards de FCFA, sera mise à disposition de l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad) en 2025.
Cette dotation spéciale, ordonnée par le Chef de l’État en juillet 2022, devait initialement être échelonnée sur cinq ans, avec un premier décaissement de 3 milliards dès 2022. Selon le calendrier défini dans une correspondance signée par Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire général de la Présidence de la République, les autres tranches prévoyaient 2,75 milliards en 2023, 3,1 milliards en 2024, 1 milliard en 2025 et 450 millions en 2026. Cependant, aucune des sommes prévues pour les trois premières années n’a été versée. Ce n’est que trois ans plus tard que l’on évoque le déblocage d’une première tranche, réévaluée à 4 milliards de FCFA.
Un impact immédiat sur les initiatives agricoles
Ce retard a certainement freiné les efforts de relance de la culture du blé au Cameroun. En effet, le soutien financier de Paul Biya visait exclusivement à promouvoir à grande échelle, la culture de cette céréale. Mandaté pour piloter le projet, l’Irad devait concentrer ses ressources sur la production de semences de pré-base et de base, indispensables pour des rendements élevés et une relance effective. Pourtant, selon le Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique (Piisah) pour la période 2024-2026, l’institut n’avait produit aucune semence de blé de cette variété en 2022, bien qu’il prévoyait une production de 500 tonnes dans un délai non précisé.
Malgré tout, dans son bulletin électronique d’information publié en mars 2024, l’Irad annonçait que des semences de pré-base, adaptées à la zone agroécologique soudano-sahélienne, étaient en cours de production à la station du Centre de recherche agricole de Maroua. En parallèle, dans les régions de l’Adamaoua, de l’Est, du Centre, du Nord-Ouest, de l’Ouest, du Sud et du Sud-Ouest, des préparatifs tels que le choix des sites, la délimitation des parcelles, et la préparation des semences étaient en cours pour produire des semences de base, établir des champs de démonstration et effectuer des essais multi-locaux.
Cette initiative bénéficie également du soutien du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, qui a annoncé en 2023 un investissement de 500 millions de FCFA. Ce financement vise la mise en place de cinq fermes semencières (Wassandé, Bansoa, Avangane, Bangourin et Bambui), couvrant une superficie totale de 200 hectares et une production annuelle prévue de 600 tonnes de semences.
Des résultats encourageants, mais insuffisants
Les premiers résultats de ces initiatives commencent à apparaître. Lors de la présentation des vœux de nouvel an aux personnels de son ministère, le 17 janvier 2024 à Yaoundé, Madeleine Tchuinte a révélé que l’Irad avait mis au point 22 variétés de blé adaptées aux cinq zones agroécologiques du Cameroun. « Quatre de ces variétés sont égales ou supérieures au blé ukrainien », a-t-elle précisé. Selon la ministre, les champs pilotes de production de semences de blé, établis entre 2022 et 2023 sur une superficie de plus de 200 hectares, ont permis de produire environ 8 000 tonnes de semences.
Par ailleurs, 200 nouvelles variétés de blé sont actuellement en phase d’expérimentation à l’Irad pour répondre aux besoins spécifiques des zones agroécologiques. Ces variétés sont conçues pour être climato-intelligentes, résistantes aux maladies, à l’acidité des sols et à la sécheresse.
Cependant, malgré ces avancées, les perspectives restent sombres. Dans le Piisah, le gouvernement admet que « la production envisagée reste largement en dessous des 900 000 tonnes nécessaires pour satisfaire la demande ». Conséquemment, l’État propose Comme alternative, la substitution progressive de la farine de blé, principal substrat entrant dans la fabrication du pain et d’autres denrées très prisées par les camerounais, par des farines issues de la transformation des tubercules telles que le manioc et la patate, « qui présentent des meilleures perspectives de production », argue le Piisah. A titre d’illustration, les simulations réalisées par le gouvernement indiquent que pour la période 2023-2025, «il est attendu une production de 195 750 tonnes de farine de manioc et 24 525 tonnes de farine de patate », contre «2 856 tonnes de farine de blé ».
Pour vulgariser cette alternative, le Cameroun a décidé dans la loi de finances 2025 en vigueur depuis le 1er janvier 2025 d’exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) les farines produites localement. D’après un document explicatif de la Direction générale des Impôts, cette mesure devrait induire la réduction des prix de ce produit sur le marché de 19,25%.
Une dépendance coûteuse aux importations
Pour rappel, les importations de blé au Cameroun sont passées de 618 000 tonnes en 2017 à 966 400 tonnes en 2021, soit une hausse de 42 %. Ces importations ont coûté environ 839,6 milliards de FCFA au cours des cinq dernières années, selon des données du commerce extérieur. En 2022, le pays a importé environ 920 000 tonnes de blé pour une facture estimée à 260 milliards de FCFA. En 2023, bien que marquées par une baisse de 31,6 % en glissement annuel, les importations de blé ont encore coûté 178,3 milliards de FCFA.