féminicide au Cameroun : de quoi s’agit-il ?

Par julienne tsangueu seppou, consultante internationale en développement, expert en Genre

Les meurtres ont toujours existé au Cameroun et dans le monde depuis la nuit des temps. Mais depuis ces dernières années, Il ne se passe plus un jour sans une publication dans l’un des médias locaux ou étrangers sur la mort violente d’une femme ou d’une fille (Cameroun, Canada, Etats-Unis…).

De quoi s’agit-il dans la réalité ? Que recouvre ce vocable ? Selon le dictionnaire Larousse, il s’agit du meurtre d’une femme, d’une fille, en raison de son sexe. Le caractère genre du motif est établi. L’homicide, nous dit également le dictionnaire Larousse est « l’action de tuer, volontairement ou non un être humain ». Le féminicide comme l’infanticide, le maricide, le matricide, le parricide sont des homicides. La particularité du féminicide, est que, l’acte est essentiellement tourné vers les femmes. Le phénomène est préoccupant par son ampleur car il est alors quantifié et incarné (identité, histoire, reconnaissance des circonstances ultra-violentes de ces décès). En cela, toute mort de femme n’est pas un féminicide. Les décès de femmes dans un accident de circulation, dans un éboulement de terrain, des suites de maladie ne sont pas des féminicides, sauf si l’intention de tuer ses femmes/ filles est établie. Parce que les auteurs se recrutent souvent parmi des conjoints, des compagnons des amants ou même des membres de famille, les féminicides ont souvent été assimilés aux « crimes passionnels ». Ils cependant important de les dissocier des autres homicides. Au Cameroun comme ailleurs, le phénomène est passé du niveau d’un fait divers, d’un fait social, au stade du fait politique.

Une observation directe même non exhaustive, selon les médias font un constant plutôt alarmant. Les chiffres ne sont pas des données statistiques genre officielles, mais les cas recensés sont réels.

Certaines sources comme « STOP féminicides 237 » parle d’au moins une vingtaine de femmes tuées entre le début de l’année 2023 et le mois d’avril 2023. D’aucuns affichent les chiffres de 130 cas entre 2020 et 2022.  Des photographies, dates et localités des drames et parfois, même les auteurs sont mentionnés (féminicide au Cameroun. Canal 2 International avril 2023).

On relève parmi ces cas une forte proportion de jeunes femmes et mères de jeunes enfants

D’aucuns vous diront que l’on tue aussi les hommes. Vrai. Toutefois, ce qui est spécifique, est la cible, la recrudescence, les conséquences, et surtout la modification du paradigme social que cela traduit. Ces meurtres se distinguent de manière générale par la brutalité, et même la cruauté avec laquelle ils sont exécutés. Quelle que soit la nature des armes utilisées, armes blanches, coups, armes à feu, on aboutit au sommet de la violence. Le féminicide a toujours un relent de violence machiste, il en est la conséquence logique. A notre connaissance on n’enregistre pas de cas de mort de féminisme, idéologie qui préconise l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. Les morts causées par le machisme, doctrine qui prône la domination de l’homme sur la femme et les vertus masculines sont connues. C’est un fait établi : le machisme tue. La domination absolue ne peut susciter que de la violence. De la violence naît le crime.  C’est une lapalissade que nous vivons quotidiennement.

Enumérons quelques conséquences  directes ou secondaires du féminicide au Cameroun et ailleurs si rien n’est fait : la banalisation du phénomène, la peur dans la société, la défiance, la méfiance permanente vis à vis des hommes, la non productivité des victimes potentielles , la perte des savoirs dans la société, le sous-développement avec son corollaire la pauvreté, l’autoritarisme,  l’injustice, la corruption, le laxisme des services chargés de la protection des droits humains et en particulier ceux de la femme, le manque d’engagement des acteurs sociaux, le pilatisme (attitude de Ponce Pilate) des gouvernants, le relâchement et l’inversement de l’échelle des valeurs morales sinon l’apparition de nouveaux paradigmes dans une société sans règle.

Qui donc est concerné par les féminicides au Cameroun et qui peut faire quoi ? Toutes les composantes de notre société sont concernées.

L’Etat, dont le Chef est signataire de différentes conventions et instruments juridiques sur les droits humains particulièrement de la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de violences à l’égard des femmes (CEDEF), Déclaration et Programme d’action de Beijing,  Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes (Protocole de Maputo) donne les grandes orientations en matière de politique générale.

Le Gouvernement, doit prendre position, formuler et mettre en place des stratégies efficaces à travers des programmes capables d’atteindre toutes les couches de la société et solliciter leur adhésion de toutes les parties prenantes pour sensibiliser les populations sur la gravité du phénomène et sur son impact social, économique, politique.

Le système judiciaire doit être indépendant et appliquer des sanctions claires et équitables et non une justice à vitesse variable.

Les élus nationaux et locaux devraient voter des budgets genre sensibles pour financer des actions sur le terrain, le suivi et leur évaluation. Les autres parties prenantes que sont La société civile devrait initier des actions efficaces dont les plaidoyers, et bénéficier de formations spécifiques (formations de formateurs) à retransmettre à toutes les communautés organisées (forces de l’ordre Les communautés religieuses, les médias, les familles, leaders d’opinion, femmes et hommes).

Divers médias et articles, ont souligné une litanie d’actions attendues du chef de l’Etat lui-même, et du Gouvernement à court et à moyen terme. Tout en restant solidaires de toutes les propositions faites pour épargner notre société de tant de maux engendrés, nous, femmes et hommes du Cameroun, attendons déjà un geste, une prise de position dans une déclaration publique du Gouvernement dénonçant les féminicides au Cameroun, des mesures urgentes pour la protection des victimes potentielles du féminicide et des suites traitées avec diligence des cas en cours. En attendant une révision du code pénal, autoriser la société civile plus spécifiquement les associations et organisations qui œuvrent pour les droits de la femme de se constituer partie civile lors des procès sur les violences basées sur le genre et en particulier les féminicides.

julienne.seppou5@gmail.com

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