Dans le cadre de la maîtrise de ses dépenses publiques, l’Etat a pris des mesures, notamment la tentative de maîtrise de la masse salariale, la réduction des effectifs pendant les missions à l’intérieur et à l’extérieur, etc. Comment appréciez-vous ces mesures ?
La mesure la plus visible qu’on a eu à observer c’est la tentative de la maîtrise de la masse salariale. Avec l’opération de comptage physique, il était question de purger le fichier soldes de ces employés fictifs qui émargeaient au budget de l’Etat, ce qui gonflait la masse salariale. Je dois d’ailleurs préciser qu’au Cameroun, le respect des normes communautaires est battu en brèche en matière de respect des normes salariales. Il y a un effort à faire dans ce sens-là. L’opération de comptage physique participe donc de cette volonté des pouvoirs publics. Il faut souligner que le cadre juridique des finances publiques, notamment celui de 2018, prévoit la budgétisation des emplois rémunérés par l’Etat. Désormais, la loi de finances devrait pouvoir montrer le plafond des emplois rémunérés par l’Etat. En d’autres termes, c’est le parlement qui va limiter le nombre d’emplois que l’Etat peut créer au cours de l’année. Ceci suppose que si on arrive à réduire la masse salariale, de façon à rester dans les normes communautaires, à savoir moins de 35 % des recettes fiscales, on va apporter quelque chose de significatif dans la réduction des dépenses publiques. On a aussi vu la dépense des missions à l’étranger. C’est également une ligne de dépenses sur lequel on peut agir. Il faut néanmoins souligner que le déficit budgétaire a été réduit depuis 2018, parce qu’il faut noter qu’en 2015 il était à 6 % du Produit Intérieur Brut (PIB). En 2016, il est passé à 5 % du PIB, c’est cela qui a alarmé le FMI.
Ne devrait-on pas aller plus loin ?
Absolument, comme je l’ai dit plus haut, en matière de norme communautaire, la masse salariale du Cameroun doit être revue à la baisse. Parce que pour le moment elle représente près de 38 % des recettes fiscales, alors que la norme est de 35 %. C’est donc un choix à faire, soit le Cameroun augmente ses recettes fiscales, ou alors diminue sa masse salariale. Tout compte fait, la masse salariale a connu un taux de croissance plus élevé que celui des recettes fiscales. Il y a beaucoup à faire au niveau de la collecte des recettes fiscales. Je pense que les administrations fiscales peuvent faire mieux que ce qu’elles font aujourd’hui. Parce que les études montrent que c’est les mêmes qui paient les impôts d’année en année. A titre d’illustration, seuls 30 % paient effectivement leurs impôts, tandis que 70 % ne paient pas comme il faut. Par exemple, le taux de pression fiscale est de l’ordre de 23 % et ce sont ces 30 % qui paient. Ceci arrive parce que l’administration fiscale et douanière n’a pas mis en place des mécanismes permettant d’éviter l’évasion fiscale. Il y a donc beaucoup d’évasion fiscale au Cameroun à cause du laxisme entre ces deux administrations. Il est donc question d’éviter que certains passent à travers des mailles. Il faut pour cela veiller à faire payer tout le monde. Dans sa dernière publication, l’Agence de notation S&P a annoncé la baisse de la note du Cameroun, en avançant comme raison, le déficit budgétaire persistant. A cela se greffent les rappels à l’ordre du fonds monétaire International et du gouvernement. mais jusqu’ici , on a l’impression que rien n’a changé. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que les administrations puissent prendre conscience du danger qui plane sur notre pays ?
Les habitudes ont la peau dure. On n’a pas toujours été porté vers la qualité de la dépense publique dans notre pays. Ce qu’il faut faire c’est simplement améliorer la qualité de la dépense, en limitant le gaspillage observé ici et là. Très récemment d’ailleurs, certaines informations faisaient état de ce que plus de 3000 employés sont en situation de trop perçu. Ça pose un problème de gestion des finances publiques au Cameroun. Comment a-t-on pu payer en plus 3000 personnes entre 2010 et 2018 ? C’est quand même plus d’un milliard et c’est énorme. C’est donc un problème de laxisme. Cela va causer un préjudice financier à l’Etat. Je dois d’ailleurs dire à l’intention des ordonnateurs que désormais, ils seront comptables devant la juridiction des comptes qui pourra les épingler pour faute de gestion. Quand je parle des ordonnateurs, il s’agit des comptables, ministres, directeurs généraux, etc. Certains experts indiquent que le fait de multiplier les émissions des titres publics pour mobiliser des ressources, traduit une situation de tension de trésorerie qui mérite d’attirer l’attention des uns et des autres. Êtes-vous du même avis ?
Je partage entièrement cet avis. Parce que le Cameroun a mal au payement de sa dette intérieur. La dette extérieure est payée pratiquement à temps, ce qui fait que le Cameroun n’a pas d’aéré de payement de sa dette extérieure. Mais pour ce qui est de sa dette intérieure, le Cameroun n’honore pas assez ses engagements envers les opérateurs locaux. Il y a une tension de trésorerie qui est exacerbée par la guerre qui coûte extrêmement chère. Lorsque vous êtes sur plusieurs fronts, c’est évident que cela va avoir une incidence sur les caisses de l’Etat. Non seulement vous dépenser plus d’argent qu’il n’en faut pour faire la guerre, mais vous dépenser aussi pour les opérations de maintien de la paix. Ceci est d’autant plus grave parce que les activités économiques dans ces zones en conflit sont complètement en arrêt. Cela impacte donc le montant des recettes que l’Etat peut collecter. Il faut rappeler que le volume des recettes que l’Etat peut mobiliser est indexé à l’activité économique.
En matière de maîtrise de la masse salariale, on a les cas du Gabon et du Tchad où l’on a récemment procédé à la réduction de certains avantages des fonctionnaires, et on menace d’ailleurs de réduire les effectifs. Pensez-vous que l’on devrait appliquer cela au Cameroun ?
Je ne le pense pas. Et mon refus est péremptoire. En fait, toute administration à un travail à faire, à savoir, réaliser l’équilibre entre la motivation, le pouvoir d’achat de ses agents publics, le respect de la norme communautaire en matière de masse salariale et l’efficacité de son administration. Or, si on diminue la masse salariale, le pouvoir d’achat va diminuer, le fonctionnaire ne sera plus motivé pour travailler, ce qui va impacter l’efficacité de l’administration. On va donc se retrouver dans un cercle vicieux où l’administration est incapable de remplir ses missions. Je pense qu’au Cameroun, on n’a pas un problème de personnel en termes de personne physique, c’est plutôt l’utilisation de ce personnel qui pose problème. Il y a des secteurs qui ont plus de personnel qu’il n’en faut. Il y en a qui en manque. Par exemple, l’enseignement secondaire a aujourd’hui une masse importante de personnes qui ont en termes d’emplois, un apport très peu significatif. Vous avez des enseignants qui travaillent deux heures voir quatre heures par semaines, tandis que d’autres travaillent 40 heures par semaine. Je peux vous dire aujourd’hui qu’en 10 ans, le personnel des enseignements secondaires a triplé passant d’une vingtaine de mille à 80 000, alors que le personnel médical est resté stagnant. Ce sont des incongruités qu’il faut éviter.
Interview réalisée par Junior Matock (Défis Actuels)