jeudi, octobre 16, 2025
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Christiane Kouamen, P. eng. Business development manager (CWar), tUGLiQ enerGie : « Il faut développer l’énergie nucléaire au Cameroun»

Cette ingénieure en génie électrique qui a exercé au Canada au cours de la dernière décennie dans le développement de grands projets d’énergies renouvelables est désormais la représentante de la firme TUGLIQ ENERGIE en Afrique de l’Ouest et du Centre. Pour Défis Actuels, elle analyse les pistes de sortie de crise pour le secteur camerounais de l’électricité et présente quelques projets d’efficacité énergétique qu’elle implémente dans son pays d’origine.

Le Cameroun fait face ces dernières années à une pénurie persistante d’énergie électrique. Quel est votre diagnostic de la situation et quelles solutions préconisez-vous ?

 La pénurie persistante d’énergie électrique est attribuable à trois facteurs fondamentaux qui entravent l’équilibre fragile de l’écosystème de la chaîne d’approvisionnement en énergie. Comme vous le savez, les différents producteurs indépendants d’énergie génèrent de l’électricité qui, injectée sur le réseau de transport de la Sonatrel, est acheminée jusqu’aux infrastructures de distribution d’Eneo dont la responsabilité est de la livrer au consommateur final. Dans le contexte du Cameroun, la production d’énergie est déficitaire par rapport à l’ensemble des besoins de consommation. Ceci est accentué par la variation saisonnière et l’investissement insuffisant dans la construction de nouvelles centrales pour répondre à la demande croissante. D’autre part, les infrastructures de transport garantes de la disponibilité de l’énergie produite, sont vétustes et nécessitent une modernisation et une extension, étant donné que la moindre panne sur une des lignes rend indisponible une partie considérable de la production.

Les infrastructures de distribution présentent aussi les mêmes enjeux de vétusté même si les impacts ne sont pas aussi importants. Comme solution, on pourrait envisager, en premier lieu, la certification annuelle par l’ARSEL (Agence de régulation du secteur de l’électricité) de l’infrastructure de transport afin de garantir sa conformité aux normes de fiabilité et de performance attendues. C’est une façon d’anticiper et gérer le risque de voir une centrale viable isolée du réseau dans un contexte déjà déficitaire. En second lieu on devrait envisager la consolidation du mix énergétique à travers la diversification des sources de production, dans le but de réduire le déficit inhérent aux limites des sources actuelles. Notamment la volatilité des prix de combustibles fossiles des centrales thermiques, leur indisponibilité ou encore l’étiage en saison sèche pour ce qui concerne les centrales électriques alimentées par des cours d’eau à débit non régulé. Cette consolidation peut se faire avec l’ajout de centrales nucléaires qui sont des sources robustes, stables et fiables et ainsi que d’autres sources plus volatiles telles que le solaire et la thermique. Autre solution possible : la mise en place d’un programme d’efficacité énergétique chez les grands consommateurs.

Aujourd’hui, il existe des technologies qui permettent de réduire de 20% à 50% la consommation dans les installations industrielles, avec notamment l’adjonction de variateur de fréquence aux moteurs électriques dans les usines. Plutôt que de subventionner indéfiniment le tarif d’électricité pour les grands consommateurs, l’État pourrait plutôt subventionner les participants au programme d’efficacité énergétique. Cette approche est durable puisque les investissements en efficacité énergétique industrielle sont généralement rentabilisés au bout de cinq ans. Et toutes les parties s’en sortent gagnantes : réduction du déficit énergétique, réduction de l’enveloppe budgétaire des subventions et pour les consommations, réduction de leur facture pour la même productivité. Seuls les ménages resteraient éligibles aux tarifs d’électricité subventionnés.

Le fait de redéfinir la cible des subventions permettra de libérer les liquidités nécessaires pour investir dans les différents maillons de la chaîne, notamment les réseaux de transport, les producteurs pour la maintenance des centrales existantes et la construction de nouvelles infrastructures. Cette démarche va renforcer l’intérêt des investisseurs, producteurs indépendants, en adressant la question du manque de liquidité dans le secteur. Plusieurs sont réticents en raison du contexte de trésorerie déficitaire que connaît le secteur de l’électricité au Cameroun. Ces entités pensent prendre moins de risque en se positionnant dans l’accompagnement des grands consommateurs dans des projets d’auto-production. Mais là encore, les tarifs d’électricité subventionnés étant très bas, les offres deviennent peu compétitives et acceptables par les consommateurs et constituent un frein pour l’auto production dans certains cas. En combinant ces approches, le Cameroun pourrait progresser vers un système énergétique plus fiable et durable.

Vous évoquez le développement de l’énergie nucléaire comme une solution dans notre contexte ?

Absolument. Je pense que l’énergie nucléaire devrait être la base à laquelle s’ajoutent les autres formes d’énergie car elle peut être produite de façon importante et contrairement aux sources actuelles, la sienne est stable. Elle peut réduire la dépendance aux combustibles fossiles qui restent un risque pour la sécurité énergétique du fait de l’augmentation observée des prix de carburants, de l’indisponibilité périodique à laquelle s’ajoute l’intermittence des autres sources. Le Cameroun dispose de grandes réserves d’uranium, alors pourquoi pas? Mais il faut au préalable mettre en place les normes de sécurisation et la gestion des déchets radioactifs.

La mise en place des systèmes de production d’énergie nucléaires est réputée très complexe et coûteuse. Un pays comme le Cameroun peut-il ambitionner de réaliser un tel système ? Comment?

Nous savons qu’après les 2 réacteurs générant 1.8 GW en l’Afrique du Sud, le Kenya a lancé son programme d’énergie nucléaire en 2017 pour une construction en 2027. Quant à eux, le Niger, le Nigeria, le Sudan, le Ghana, le Maroc et l’Égypte évaluent leur état de préparation en collaboration avec l’agence internationale de l’énergie Atomique en vue du lancement de leur programme. Enfin, 4 autres pays dont l’Ouganda mènent des études de faisabilité en ce moment. Donc oui, le Cameroun peut avoir l’ambition d’inclure l’énergie nucléaire dans son mix énergétique de façon progressive en faisant une transition à partir des activités déjà en cours dans la gestion des déchets radioactifs au Cameroun. Il faut privilégier une approche multilatérale pour faire face à la complexité technique et aux risques que représente un programme d’énergie nucléaire. En mettant en place une coopération avec quelques-uns des pays africains qui sont à différentes étapes de déploiement de leur programme, l’État du Cameroun aura la capacité de mettre en place un Programme national d’énergie nucléaire robuste, enrichi par une diversité de perspectives.

Cette coopération sera l’occasion de développer de la ressource humaine et peut être consolidée par la mise en place d’un programme de formation universitaire des sciences nucléaires. Au-delà du développement de compétences, il faut gérer les défis géopolitiques liés à la prolifération nucléaire en mutualisant les efforts avec les pays voisins qui font face aux mêmes défis énergétiques. Notamment, le Gabon, le Congo, le Tchad. Cette mutualisation assure une transparence qui facilitera le déploiement des infrastructures d’une part et d’autre part, une meilleure gestion des risques financiers et politiques. La stratégie de financement d’un tel programme doit prendre en compte l’évolution rapide de la technologie nucléaire comparée au temps nécessaire pour le déploiement du programme qui peut aller jusqu’à 15 ans. Dans ce contexte, les Etats ou l’Etat porteur de projet doit garder sa souveraineté dans les premières phases en les finançant par de l’équité, et en développant une coopération avec plusieurs grandes nations dans le domaine. Avec l’Initiative Africaine pour le Financement de l’Énergie Nucléaire mise en place en début 2024 par la commission africaine pour l’énergie nucléaire, les pays africains peuvent générer des revenus de la mise en place des sites d’enfouissement pour la gestion des combustibles nucléaires comme cela se fait au Canada et en Finlande.

Il s’agit ici d’un potentiel de 4000 tonnes par année à raison de 1 million de dollars par tonne. Soit un revenu total estimé de 2 Milliards de dollars par année dédié au développement de centrales nucléaires sur le continent. La deuxième phase quant à elle peut être financée en mode BOT avec des développeurs ou par des accords de gouvernement à gouvernement notamment des Agences de crédits à l’exportation des pays fournisseurs d’équipements tel que : Kexim Bank de la Corée du Sud, Export Developement Canada, JBIC du japon et bien d’autres. Il faudra en parallèle continuer de viabiliser le secteur et créer un environnement favorable à ces investissements notamment par le réajustement des politiques de tarif d’achat et de vente d’électricité.

Il y a quelques années, vous avez mis sur pied un dispositif de facilitation de l’accès à l’électricité dans les zones rurales. Quelles étaient vos motivations, comment cela fonctionne-t-il ?

C’est vrai que le dispositif «Pay as you go» des systèmes solaires résidentiels de Klight a été décisif pour répondre aux besoins énergétiques des communautés non desservies ou mal desservies par le réseau énergétique existant. Compte tenu des prix élevés d’acquisition de système solaire résidentiel, nous facilitons l’accès en permettant aux bénéficiaires de répartir leur paiement sur plusieurs mois. Les systèmes sont conçus pour alimenter des appareils électriques tels que les téléphones portables, les lampes, les téléviseurs, les radios, etc. En réalité, après avoir réalisé un projet d’électrification rurale au Burkina Faso en 2013, en partenariat avec l’Ecole polytechnique de Montréal au Canada, et suite à l’observation des retombées sur le développement socio-économique des populations cibles, il était important pour moi de mettre sur pied cette initiative au Cameroun également. La motivation étant de réduire les conséquences de la fracture énergétique et numérique pour améliorer la qualité de l’éducation grâce à l’éclairage pour l’étude le soir, favoriser l’ouverture sur le monde à l’ère du numérique, l’accès à l’information et à du contenu éducatif en offrant l’accès à l’électricité pour la recharge d’outils TIC. Par cette initiative nous observons l’augmentation du nombre d’heures productives des populations dans une journée, qui n’est plus seulement rythmée par les jours et les nuits.

Quel bilan?

Concernant le bilan de cette opération, il est positif. Les populations se sont appropriées l’initiative et en sont les principaux ambassadeurs. Actuellement, nous desservons plus de 400 familles dans 3 régions. Des activités génératrices de revenus tels que les poissonneries, l’élevage, les centres de recharge de téléphone ont d’ailleurs été mis en place dans les communautés grâce à nos services. Quant aux perspectives, elles sont bonnes. Un accord de partenariat à été signé avec MTN -Cameroon. C’est un partenaire qui comprend l’importance de la disponibilité de l’énergie électrique pour l’accès à l’information et aux opportunités à l’ère du numérique. En effet MTN Cameroon a été séduit par la qualité et la performance de l’initiative K-light, au point de nous donner une place de choix dans sa stratégie de placement de produits à énergie solaire. Vous pourrez donc désormais trouver ses kits solaires K-Light dans les différents centres de services MTN. Ceci dit, certains défis persistent toujours, notamment le préfinancement qui reste élevé pour une tranche de la population en zone rurale.

Quels enseignements avez-vous tiré de cette opération et quelles en sont les perspectives ?

Je dois d’emblée souligner la force que représente la résilience communautaire. J’ai compris que même au Cameroun, les consommateurs peuvent être mis à contribution pour réduire le déficit énergétique et accélérer l’accès à l’électricité. Figurez-vous que si 10 000 ménages installent chacun 10kW, cela mobiliserait une capacité totale de 100 MW qui peuvent contribuer réduire le déficit pendant les pics de consommation ou certaines périodes d’étiage. Pour vous donner un ordre de grandeur, en 2013, le déficit de puissance journalière au Cameroun était de 100 MW Avez-vous des solutions semblables pour les zones urbaines ? Oui nous avons des solutions similaires pour les zones urbaines.

 Nous accompagnons les consommateurs industriels, miniers, commerciaux, résidentiels à travers le financement, la construction et l’opération de leurs propres mini-centrales de production d’électricité sur site. Ceci leur permet d’avoir un approvisionnement fiable lors des coupures d’électricité et de réduire leurs dépenses liées au carburant des groupes électrogènes. Nous leur offrons un plan de remboursement sur 8 ou 10 ans après lesquels ils deviennent propriétaires de la centrale.

Comment financez-vous des opérations aussi coûteuses ?

De par son expérience et ses réalisations, Tugliq Énergie que je représente dans la sous-région CWAR (Central & West Africa Region) a accès à des financements de fonds Canadiens et d’autres fonds internationaux destinés aux énergies propres. Les types de projets éligibles sont surtout ceux liés à des grands consommateurs notamment, les mines, les installations industrielles et commerciales.

Vous semblez particulièrement privilégier les énergies propres. Quelles sont vos motivations ?

Voyez-vous, selon le rapport conjoint de Boston Consulting Group et Shell, le marché de conformité carbone valait 850 Milliards de dollars en 2021 tandis que le marché volontaire valait 2 Milliards de dollars. Des valeurs qui ont respectivement doublé et quadruplé par rapport à 2020. N’est-ce pas là une aubaine pour le Cameroun? Et en particulier pour le secteur de l’électricité? Le gouvernement du Cameroun doit multiplier les efforts pour commercialiser ses crédits carbones sur le marché international. Les crédits carbones quant à eux représentent les réductions de gaz à effet de serre réalisées grâce ou les quantités de CO2 évitées lors avec le projet de production d’énergie propre entre autres. Les CER (un des certificats qui permettent d’enregistrer et de suivre l’électricité générée de façon propre) peuvent être vendus à des multinationales telles qu’OLAM, Nestlé et bien d’autres afin d’atteindre leur quota auprès d’organismes internationaux comme RE100. En combinant le potentiel des énergies renouvelables avec les mécanismes de marché comme le crédit carbone, le Cameroun a la possibilité de mobiliser des financements pour les projets du secteur de l’énergie électrique. Cependant, cela nécessite un engagement continu et une bonne coordination entre le gouvernement, le secteur privé et les organismes internationaux clés afin de faciliter l’intégration de son crédit carbone sur le marché international.

Initié au Cameroun un projet de conversion de gros véhicules du carburant au gaz naturel. Pourquoi ? Où en est ce projet ?

Oui en effet, le projet qui vise à convertir les véhicules existants à l’utilisation de gaz naturel comprimé permet de réduire les dépenses de carburants de 40%. Ceci a un impact aussi bien sur le coût de vie car il réduit directement le coût de transport, directement lié au coût de transport et donc de carburant et d’autre part ce projet permettrait de réduire l’enveloppe budgétaire que l’état alloue aux subventions de carburant. Les projets ont été présentés au gouvernement en 2016 avec des séances de travail subséquentes et il semblait bien comprendre le bien-fondé de ce projet.. Nous avons trouvé un accord de principe avec le fournisseur de kits de conversion pour la formation de la main-d’œuvre locale à l’installation de ces kits sur les véhicules.

Des discussions sont en cours avec l’entreprise canadienne en charge de la conception, la construction et la formation à l’opération des stations de ravitaillement en gaz naturel comprimé. Nous sollicitons toujours l’accompagnement du gouvernement pour ce projet qui permet de réduire jusqu’à 40% les dépenses de carburant puisque le gaz naturel est 30 à 40% moins cher que l’essence à quantité équivalente. Cette réduction allégera le déficit budgétaire lié aux subventions de carburant. Et représente une autre source de crédit carbone. Un appel à candidature sera lancé bientôt en vue de sélectionner des propriétaires de flottes de véhicules qui souhaitent être bénéficiaires de la première phase du projet.

Quels enseignements le Cameroun peut-il tirer de l’écosystème énergétique Canadien où vous avez exercé depuis plus d’une décennie ?

Les deux écosystèmes partagent certains défis en commun que le Canada sait gérer de manière durable. Le Cameroun pourrait tirer plusieurs enseignements de celui-ci, notamment la diversification des sources d’énergie, la gestion efficace des ressources, la mise en place de programmes d’efficacité énergétique subventionné, la mise en place d’un marché sous régional d’achat et de vente d’énergie pour combler le déficit. Comme la canada, le Cameroun peut participer à des partenariats internationaux dans le domaine de l’énergie pour bénéficier de l’expertise et du soutien technique d’autres pays et organisations. Il est vrai que le Cameroun a beaucoup de manquements dans le secteur, mais il a aussi ses forces qui avec un peu de créativité peuvent être bien valorisées à l’international.

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