Beac : bras de fer entre le minfi et le gouverneur

Le Cameroun et la banque des Etats de l’Afrique centrale ne s’accordent pas au sujet de la nomination du directeur national de cette institution financière. Des échanges épistolaires entre les deux autorités monétaires le démontrent à suffisance.

Après le départ à la retraite du directeur national pour le Cameroun, son intérim sera assuré par Monsieur Zogo Nkada Achille, 1er adjoint au directeur national chargé du pôle études et contrôle bancaire, et Monsieur Asafor Cho Emmanuel, 2e adjoint au directeur national en charge du pôle exploitation. Cet intérim, qui prend effet à compter du 1er février 2022, prendra fin à la prise de fonction du nouveau directeur national ». Sauf changement de dernière minute, le directeur national de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) pour le Cameroun, Blaise Eugène Nsom, frappé par la limite d’âge, devrait quitter définitivement ses fonctions le 31 janvier prochain. Ainsi en a décidé, le 06 janvier dernier, le gouverneur de l’institut d’émission des six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, RCA, Guinée équatoriale), Abbas Mahamat Tolli, en attendant la nomination et la prise de fonction du futur directeur, a désigné deux intérimaires pour la gestion des affaires courantes. Le gouverneur agit ainsi, contre la volonté du ministre des Finances du Cameroun (Minfi), Louis Paul Motaze, qui, depuis le 27 août 2021, avait sollicité du gouverneur de la Beac une prorogation d’un an pour Blaise Eugène Nsom, admis officiellement à faire valoir ses droits à la retraite en avril de l’année dernière. Le 11 janvier, le Minfi a saisi le gouverneur Abbas Mahamat Tolli pour lui signifier qu’il regrettait que sa décision ait été prise et diffusée sans concertations préalables, comme cela est d’usage pour les fonctions de ce rang. « J’ai pris connaissance de votre décision (…) datée du 6 janvier 2022, portant intérim du directeur national de la BEAC pour le Cameroun. Sans interférer ni ignorer vos prérogatives, et en toute conformité avec les hautes directives reçues des autorités camerounaises, nous avions souhaité une prorogation additionnelle, pour une durée d’un an, des activités de Monsieur Blaise Eugène Nsom. (…) Aussi, ai-je l’honneur, dans l’intérêt commun de la BEAC, du Cameroun et de notre sous-région, de vous inviter à trouver une position partagée… ». Tel est l’extrait du courrier adressé par Louis Paul Motazé.

TRAITEMENTS DES PROROGATIONS A DEUX VITESSES

 À travers cette correspondance, l’autorité monétaire du Cameroun s’oppose à la désignation par le gouverneur de la BEAC, de deux cadres camerounais pour assurer l’intérim au poste de directeur national de la banque centrale. Cependant, les termes de la lettre du ministre des Finances au gouverneur de la banque centrale, il est fort probable que les deux cadres ainsi désignés n’occupent pas le poste de directeur national pour le Cameroun, ne serait-ce qu’à titre intérimaire. Pour Louis Paul Motazé, bien qu’atteint par l’âge de départ à la retraite, Eugène Blaise Nsom doit être maintenu à son poste pour une année supplémentaire, au regard de son rôle capital dans le dispositif de réforme des finances publiques. « Pour leur part, les autorités camerounaises apprécient les qualités professionnelles et humaines de Monsieur Blaise Eugène Nsom. Sa collaboration et ses contributions à l’élaboration des réformes des finances publiques, notamment dans le cadre des programmes économiques et financiers menés avec le Fonds monétaire international (FMI), sont capitales. À cet égard, il a toujours fait preuve de pro-activité et de célérité dans le traitement des dossiers à lui confiés. Dans ce contexte, il nous semble indispensable de prendre le temps nécessaire pour évaluer de façon plus opportune, les options de remplacement. C’est pourquoi, en s’inspirant des précédents dans notre sous-région, pour des fonctions équivalentes, je vous propose de reconsidérer votre décision relative à la situation administrative de Monsieur Blaise Eugène Nsom », écrit le ministre Motazé. Pour l’heure, la banque centrale n’a pas encore réagi à la sortie du ministre des Finances. Mais, comme le craignait Louis Paul Motazé lui-même dans sa correspondance au gouverneur de la Beac, ce désaccord suscite d’ores et déjà « l’étonnement de l’opinion nationale, sous régionale et internationale, d’une part, tout autant que celui des acteurs habitués à la prise de ce type de décision, d’autre part ». Une source renseigne que « c’est un combat à la fois politique et économique. Il se trouve qu’il y a un conflit entre le gouverneur de la Beac et le directeur national actuel, qui fait qu’il ait nommé un intérimaire, sans même consulter le gouvernement ».

Louis Paul Motaze fait également observer qu’« au demeurant, ces hautes directives ne sont pas en contradiction avec les usages observés à la Beac quant à sa politique de départ en retraite du personnel pour laquelle les instances décisionnelles de l’institut d’émission ont constaté que certains cadres de haut niveau avaient bénéficié des périodes de prorogation supérieures à trois ans, certains étant toujours en fonction ». Des sources dénoncent un traitement à deux vitesses des prorogations, car dans cette institution, plusieurs responsables sont frappés par la limite d’âge, certains depuis quatre ans et d’autres depuis trois ans. Les mêmes sources citent une dizaine de hauts cadres, notamment le directeur de cabinet du gouverneur ou encore le directeur des ressources humaines. A noter que les mandats des directeurs nationaux ont été souvent prorogés à la Beac. Jean-Baptiste Assiga Ahanda avait bénéficié de quelques années de prorogation, tout comme Sadou Hayatou, Directeur national pour le Cameroun de 1993 à 2008. Il avait quitté ses fonctions huit ans après son départ officiel à la retraite. Au terme du Sommet de N’Djamena en 2008, les chefs d’Etat avaient décidé de mettre fin à cette pratique. Vers la fin du mandat de l’équatoguinéen Lucas Abaga Nchama en 2010, il a été « des prorogations de confort, partir un cadre quelques mois après sa mise en retraite », explique une source.

Par Amandine Atangana

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