Avec une contribution à plus de 60% aux recettes fiscales de l’Etat, la capitale économique particulièrement touchée par les récentes manifestations, dégage au moins 3 milliards de manque à gagner par jour pour les stations-services et des montants plus importants dans d’autres secteurs d’activités.
La conséquence directe du climat post électoral actuel sur l’économie camerounaise est l’inflation. Elle est déjà visible et ressentie par les ménages en quelques jours. Dans un contexte où80 % des denrées alimentaires proviennent des zones rurales, les prix de certaines denrées agricoles telles que la tomate connaissent une hausse vertigineuse. De même, la viande de bœuf est hors de prix. Ceci du fait de la fermeture de routes, et des violences qui ont empêché la circulation fluide des marchandises. La pénurie gagne les marchés et affecte le panier de la ménagère.
A côté de la vie chère, Douala paie surtout le prix d’un ralentissement des activités économiques observées depuis quelques jours. Selon les estimations de l’économiste Jean Marie Biada, les secteurs comme le tourisme, le transport et la distribution des produits pétroliers sont les plus touchés. « La recette attendue des chauffeurs non propriétaires est d’au moins 2000 Fcfa Par jour, il vient qu’avec un parc moyen de 100 000 motos exerçant dans toute la ville de Douala, une inactivité de trois jours, induit un manque à gagner d’environ 600 millions Fcfa pour les propriétaires de moto ; mais aussi des baisses de revenus pour les vendeurs de produits et services complémentaires indispensables :carburants, lubrifiants, batterie, entretien, maintenance. Une moto-taxi en pleine activité consomme par jour 3000 Fcfa à 5000 Fcfa en moyenne. Ce qui correspond à un manque à gagner de 3 milliards de Fcfa pour les stations-service, et une baisse conséquente de TVA collectée pour l’Etat », fait -il savoir. Autre exemple, « Les compagnies de transport interurbain de masse par Bus Vip réalisent en moyenne en Aller et Retour, 100 rotations par jour entre Douala et Yaoundé, pour un chiffre d’affaires d’au moins 100 millions Fcfa par jour. Donc, trois ou quatre jours d’inactivité à Douala, induisent un manque à gagner qui approche le demi-milliard de Fcfa », ajoute-t-il.
Des pertes pour l’Etat et la Cemac
La ville de Douala contribue à elle seule à hauteur de plus de 60% des recettes fiscales de l’Etat. Or, depuis plusieurs jours, les activités ne tournent pas à plein régime pour le poumon économique du pays et même de la sous-région. De ce fait, ce sont des milliards de FCFA enregistrés en termes de pertes sur la collecte des impôts et droits de douanes. Au port de Douala en l’occurrence, les mouvements des engins génèrent d’importants revenus. « Tous ces véhicules consomment beaucoup de gazoil, et en très grande quantité. Ce qui revient à dire qu’une baisse de vente de gasoil induit une baisse de la taxe spéciale sur les Produits Pétroliers dont une quotité est versée au Fonds Routier et l’autre au Budget général de l’Etat. Ces vecteurs en mouvement dans l’enceinte portuaire payent à chaque rotation, ‘‘le Pont bascule’’ de 10 000 Fcfa + TVA. Ce qui correspond à un énorme manque à gagner de TVA à verser au Trésor au terme des déclarations spontanées du Pad pour le mois d’octobre 2025 », renseigne Jean Marie Biada.
A l’échelle communautaire, les ressources sur les corridors Douala-Bangui ou Douala-N’djamena seront affectées. Il rappelle que pour faire ces corridors, « il faut payer entre autres la Lettre de Voiture Ordinaire (Lvo), la Lettre de Voiture International (Lvi), la Taxe Syndicale, auprès du Bureau d’Affrètement Routier Centrafricain (Barc), Bureau de Gestion du Frêt Terrestre (Bgft)… Toute cette paperasse coûte plus ou moins 300 mille Fcfa. Donc, sans tranquillité à Douala et au Port, les manque à gagner et la perturbation de la chaîne logistique communautaire Cemac deviennent visibles et redoutables ».
Réactions
Jean Marie Biada, économiste
« Le PIB du secteur tertiaire va forcément baisser »

« La Ville de Douala peut être présentée en tant que siège de l’essentiel du parc des entreprises industrielles en activité au Cameroun, siège de 90% des multinationales, siège du marché financier de la Cemac (Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale : Bvmac), siège du plus ancien Port du Cameroun. Douala c’est aussi, deux Centres Régionaux d’Impôt, le Secteur des Douanes Port 2, qui rapporte, pour dire le moins, plus de 50% des recettes douanières à l’échelle nationale. Donc, si Douala vit une instabilité qui rende difficile ou impossible le mouvement des opérateurs économiques, des capitaines d’industries, des promoteurs d’Activités Génératrices de Revenus ou même la mobilité de ce que j’appelle les gagne-petit, les conséquences douloureuses sur la collecte des impôts et la fiscalité de porte (droits de douanes) ne vont pas tarder à se faire ressentir : Une baisse du chiffre d’affaires des contribuables professionnelles devient évidente, induisant une baisse de la TVA à déclarer auprès de leurs centres d’imposition de rattachement. Certaines écoles de pensée économique intègrent même parfois, les droits de douanes en tant que bonus dans le calcul du PIB. Il devient donc évident que si le secteur tertiaire (distribution, transport, banque, services) rentre en inactivité, le PIB du secteur tertiaire va forcément baisser. »
Henri KOUAM, économiste
« Les investissements pourraient diminuer »

« Les investissements pourraient diminuer. L’instabilité politique décourage les citoyens et les étrangers de réaliser des investissements productifs pour une raison simple. Les violences postélectorales signifient un effondrement de l’État de droit et du consensus politique, ce qui déclenche naturellement des réactions vives de la part des investisseurs nationaux et étrangers. Bien sûr, nous sommes loin d’une dégradation, mais les notations de crédit ne sont pas susceptibles de créer des incitations supplémentaires à investir. Après le déclenchement de la crise anglophone en 2018, la plupart des secteurs des régions du Nord et du Sud-Ouest ont été durement touchés. Cela a provoqué une fuite des capitaux et les investisseurs de toutes tailles ont abandonné leurs investissements, en particulier dans les secteurs de l’agriculture, du bois et du pétrole et du gaz. Cependant, le choc économique a été amorti par d’importants projets d’infrastructure financés par les banques multilatérales et les prêts chinois. En outre, les violences post-électorales ont été particulièrement intenses à Douala (capitale économique), ce qui pourrait avoir un impact sur l’économie dans son ensemble. Pour nous, au CEPI, ce type de troubles politiques, qui remettent en question la légitimité et la stabilité mêmes du gouvernement central, constitue sans doute une menace systémique plus importante pour les IDE nationaux qu’un conflit séparatiste localisé, même intense. »







