Stephen Tataw Eta : Le Lion, le leadership et la discrétion

L’ancien capitaine des lions indomptables s’est éteint ce 31 juillet 2020 à Yaoundé des suites de maladie.

Le destin s’est abattu sur le Cameroun ce 31 juillet 2020. Tataw Eta Stephen s’est éteint en douceur à Yaoundé. Dans l’anonymat qu’il essayait de construire sur sa personne. Même si nombre de ses connaissances le savaient presque en route vers le retour, du fait de cet embonpoint qu’il perdait depuis quelques années, l’ancien Lion indomptable a toujours essayé de démentir la réalité. « Mon frère était maladif ; tantôt il laisse croire qu’il est guéri, tantôt il rechute. Hier (30 juillet) les enfants m’ont informée que sa situation s’est dégradée. Je suis venue le voir et j’ai passé la nuit à ses côtés, à prier, à le réconforter ; mais Dieu en a décidé autrement», témoigne Yanfouo Alice Tabe, la sœur cadette du défunt. « C’est lui qui a donné, c’est lui qui a repris», a-t-elle déjà admis. Mais Yvana Tataw, la fille aînée de l’homme, ne s’en remettra pas de sitôt : « Papa était un ami ; parfois on pouvait oublier que c’est lui le père, tellement on jouait ensemble. Depuis la mort de notre mère, il était seul à s’occuper de mon petit-frère et moi. Il jouait le rôle du père et de la mère et de la bonne manière », s’en souvient-elle. Et fond en larmes. Avant d’admettre que « c’est la volonté de Dieu».

Le monde se souvient de celui qui aura tout abandonné pour consacrer sa vie au football. Ce n’est pourtant pas un analphabète qui a choisi les stades de football par défaut. Né le 31 mars 1963, Tataw Eta Stephen est titulaire d’un GCE A level. A une époque où les sportifs et les footballeurs en particulier étaient rares à emprunter les chemins qui mènent à l’école. Ce bagage intellectuel lui a permis de travailler comme administrateur à la Cameroon radio television (CRTV) entre 1986 et 1991. Et même de travailler à la direction administrative des Lions indomptables, ses godasses rangées. Il aura contribué au premier plan à inscrire de belles pages de l’histoire du football camerounais. Effacé, Stephen Tataw est pourtant celui qui a conduit en tant que capitaine, le Cameroun à la Coupe du monde de 1990. Rendez-vous qui a vu une sélection constituée essentiellement de joueurs locaux, battre l’Argentine, championne du monde en ouverture (1-0), pour terminer en quarts de finale contre l’Angleterre, après avoir neutralisé la Roumanie et la Colombie. Dans des conditions marquées par une préparation bâclée et des querelles de primes. Des obstacles que les Lions indomptables traverseront en partie grâce au leadership de leur capitaine. « J’étais le capitaine et j’avais besoin de retenue et de pédagogie », a-t-il souvent déclaré. Alors que la tanière bouillonnait.

« Réconciliation » avec Bell

Et c’est la gestion de ces crises qui divisait jusqu’à nos jours l’ex capitaine et Joseph Antoine Bell, mué en porte- parole des joueurs frustrés. L’ancien gardien ayant réveillé la polémique dans Vue de ma cage, le livre qu’il publie en 2011 dans lequel il dit sa part de vérité sur l’épopée du Mondial 90 et surtout son rôle dans l’aboutissement du dossier ‘’primes’’. De quoi sortir l’autre du silence dans lequel il s’est terré depuis des années. Une sortie qui a secoué les milieux du football, de par la violence des mots utilisés : « Je peux vous dire que chaque fois que Bell prenait la parole, il laissait couler de sa langue un venin d’égoïsme sans égale. Il n’avait pas d’état d’âme. Pour lui la Coupe du monde pouvait s’arrêter là, avant le match d’ouverture ; c’était pour lui la meilleure façon de monter à la face du monde que nous avons des problèmes de primes », avait-il résumé en opposition aux choix et méthodes de l’auteur de Vue de ma cage. Dans une interview qu’il accorde au site internet Camfoot.com le 03 octobre 2011. Puis la parenthèse était fermée et le capitaine se refusait à toute autre polémique, malgré les frustrations. Jusqu’à la fin de ses jours. La mort réconcilie. Joseph Antoine Bell qui, en son temps, avait choisi de ne pas alimenter la relance de cette polémique, a été un des premiers ambassadeurs du Mondial 90 à regretter la perte de son capitaine en pleine guerre contre le Covid-19, après Massing. Trêve de polémique. Un héros est mort. Après avoir fait ses classes à Camark de Kumba pendant cinq ans, le natif de Mamfe explosera au Tonnerre kalara club (TKC) de Yaoundé d’où il force l’admiration du staff technique des Lions indomptables. Présent à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 1988 au Maroc, Tataw Stephen est la révélation de cette édition remportée par le Cameroun. Le défenseur séjournera à l’équipe nationale jusqu’en 1994. Avec au passage, outre l’épopée du Mondial 90, la demi-finale de la CAN 1992, avant la sortie boiteuse du Mondial 1994, sur un nul et deux défaites. De Camark aux Lions indomptables en passant par le TKC, l’homme porte le brassard de capitaine. Et même lorsqu’il exporte son talent au Japon en 1994, après trois saisons à l’Olympique de Mvolye, le Tofu futurs, club nippon de D2, confie la même responsabilité au premier Noir du championnat. Sa carrière s’arrête en 1997.

Frustrations

Après une brève pige à la direction administrative des Lions indomptables, le capitaine de l’épopée 90 connaîtra une traversée du désert, avant d’être recruté en 2016 à la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) qu’il abandonne aujourd’hui étant en service au département des compétitions internationales. Le héros de l’expédition italienne ne s’est jamais vraiment senti récompensé à sa juste valeur. Au-delà de lui, les footballeurs. « Nous avons travaillé, ils mangent», vomira-t-il un jour au reporter de Défis actuels. L’ancien capitaine des Lions indomptables ne demandait pas une surestimation des acteurs principaux de la renommée footballistique du Cameroun, mais une reconnaissance à sa juste valeur, et surtout, de la considération envers ces générations de héros qui ont su braver humiliations, déshonneur et frustrations, pour hisser le drapeau du Cameroun au firmament. Mais l’homme n’était pas de nature à tempêter pour se faire comprendre. Et a choisi de se replier sur lui-même.

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