Pr Claude Abe: « Maurice Kamto et Cabral Libii ont une attitude suicidaire »

Le sociologue décrypte l’attitude des acteurs politiques au lendemain de la réélection du président Paul Biya.

Pr Claude Abe, sociologue

Quelles leçons pouvons-nous tirer de l’élection présidentielle du 7 octobre dernier ?

 Il y a de nombreuses leçons à tirer de cette élection présidentielle. Nous avons les partis politiques qui ont véritablement amélioré leurs offres politiques. Vous convenez avec moi que tous les partis n’avaient pas des projets de société, mais ils ont fait un effort d’avoir un projet de gouvernement qui avait des propositions bien précises sur le plan institutionnel, socioéconomique et politique. Du point de vue institutionnel, on a aussi constaté que, pour une fois, Elecam a essayé de respecter ses missions en termes de publication des listes et de leurs affichages dans les bureaux de vote. Il y a également eu une dépacification des rapports sociaux dans les Technologies de l’Information et de la Communication. On y a noté beaucoup de violence et d’agressivité notamment de certains sympathisants ou militants du MRC. Et, la volte-face de leur candidat face à des résultats proclamés par des institutions auxquelles il avait déjà fait confiance et qui lui avait donné quitus pour compétir. Il a joué avec les vides et les insuffisances juridiques pour justement essayer d’apporter cette tache noire, qui malheureusement, ne les grandit pas. L’autre chose est l’insuffisance des instruments juridiques qui encadrent le processus électoral. C’est un élément qu’on ne peut ne pas mettre en lumière et il me semble qu’il serait de bon ton de toiletter ces instruments.

Êtes-vous de ceux qui pensent que le conseil constitutionnel aurait été partisan durant le contentieux post-électoral ?

Non ! Le Conseil constitutionnel a joué son rôle. Vous savez, les textes qui créent le Conseil constitutionnel et qui encadrent le processus électoral sont suffisamment clairs. Je n’ai pas eu l’impression qu’on était dans une situation partisane parce que si vous regardez le candidat qui a tenu en spectacle ce Conseil constitutionnel, vous vous rendrez compte qu’il était là pour tout sauf le droit. Leurs plaidoiries étaient des plaidoiries de dilatoires où au fond les gens savaient qu’ils n’ont pas d’éléments substantiels de preuve mais ils étaient là pour faire de la politique plutôt que de faire du droit.

comment analysez-vous l’attitude d’opposants tels que Maurice Kamto et Cabral Libii qui continuent de se faire passer pour les « vrais » vainqueurs de cette élection, devant Paul biya ?

C’est une attitude suicidaire parce que même les instruments du droit international dont évoque très souvent Maurice Kamto, sont des instruments que le Cameroun a ratifié qui malgré leur importance, du fait qu’ils soient des textes supranationaux, les décisions rendues, soit par la Cour Africaine des Droits de l’homme et de la Démocratie ou les Nations unies, n’ont pas une valeur obligatoire. C’est des organes qui reconnaissent que le contentieux postélectoral est géré par les institutions des Etats membres. De mon point de vue, nous sommes dans une situation où les gens disent être en face d’un hold-up électoral et pourtant on a l’impression que c’est bien eux qui veulent faire un hold-up électoral.

D’après vous, que recherchent véritablement ces candidats ?

Cabral Libii cherche peut-être à négocier pour avoir une certaine position. Vous convenez avec moi qu’en politique, si on ne peut pas gagner, on cherche tout au moins à grappiller des positions de pouvoir. Pour monsieur Kamto, il ne s’agit pas d’une position de négociation parce qu’il est visiblement dans une attitude de défiance des institutions et je ne pense pas que cette attitude pourra durer. Il y a fort à parier qu’au bout d’un certain moment, les autorités pourraient tomber dans la lassitude de ces gesticulations et appliquer le droit.

Certains candidats opposés à la réélection de Paul biya ont saisi la communauté internationale pour protester. Pensez-vous que cette démarche a des chances de prospérer ?

Non ! Si ce n’est que sur le plan du droit, il y a plus une voie de recours puisque les décisions de toutes ces structures internationales n’ont aucune valeur obligatoire au niveau de l’Etat camerounais. Et à partir de ce moment, le droit ne peut qu’être exécutoire que s’il y a un élément d’obligation qui s’impose aux uns et aux autres. N’ayant pas de valeur obligatoire, il me semble que cette démarche est de la gesticulation inutile. On pourrait le dire aujourd’hui avec certitude que la messe est dite.

Les répressions exercées par l’Etat sur ceux de l’opposition qui appellent à manifester contre la victoire de Biya sont-elles légitimes ?

Si ces manifestations n’ont pas été déclarées l’Etat pourrait avoir raison puisque le Cameroun évolue sur le régime de déclaration préalable. Par contre, si ce sont des manifestations déclarées que l’Etat interdit, il faut reconnaitre qu’il y a des abus.

Pensez-vous que les différentes actions du MRC peuvent conduire le pays à une crise post électorale? J’en doute fort parce que Maurice Kamto s’est autoproclamé vainqueur, on n’a pas vu une foule le suivre, il a été contredit par le Conseil constitutionnel, on n’a pas également vu une foule le suivre. Cela signifie qu’en dehors des groupuscules qu’on retrouve dans les carrefours entrain de faire de la gesticulation, le MRC n’a véritablement pas un capital politique humain suffisant de manière à engager une insurrection. En même temps, les Camerounais ne sont pas dupes. Ils vont se rendre compte qu’il est dans une opération de supercherie et qu’il est veut les entrainer dans une affaire qui n’a pas d’égalité et ni de légitimité.

Le sDf peut-il survivre après la défaite historique de son candidat, Joshua Osih, à cette élection ?

 Oui ! C’était une élection présidentielle et vous savez que l’élection présidentielle a un élément important c’est qu’elle n’est pas localisée. La crise anglophone a beaucoup fragilisé le SDF puisque le fief de ce parti est la zone anglophone. Mais une chose est certaine la crise ne va pas perdurer. Le SDF est dans un cycle de crise c’est-à-dire de naitre, de grandir, de se durcir et à un moment donné de s’estomper. C’est la nature des crises. Au niveau de sa base électorale, le SDF devra maintenant discuter une partie de l’Ouest Cameroun avec le MRC puisque le MRC a grappillé des électeurs à la faveur d’un vote communautariste. On l’a vu à Douala et à Yaoundé où le MRC a gagné dans les bastions du SDF. Mais attendons les prochaines élections pour être certains de la redistribution des cartes. Pour l’instant, j’estime qu’il ne faut pas vite aller en besogne en disant que le SDF n’est pas à mesure de survivre à cette élection présidentielle.

Pensez-vous que la coalition de l’opposition sera possible pendant les législatives et les municipales, comme le souhaitent plusieurs acteurs politiques ?

Je ne crois pas du tout aux coalitions à la camerounaise. Quand on parle de coalition, c’est que vous vous mettez ensemble sur une plateforme de travail sur une offre politique. Et sur la base de cette offre politique, vous vous mettez également d’accord sur la stratégie à adopter. Mais lorsqu’on voit les égos qui habitent les acteurs de la classe politique camerounaise et les replis identitaires, il y a eu une aggravation des replis identitaires en faveur d’un communautarisme qui est de retour comme dans les années 90, on se rend compte que les acteurs politiques de l’opposition ne peuvent pas mutualiser leurs forces et leurs ressources. Autre chose, le parti au pouvoir ne dort pas. Il met aussi tout en œuvre pour ne pas voir cette plateforme se mettre en place dans la mesure où ce sera un élément qui pourrait lui causer un certain nombre de difficultés.

 

- Publicité -

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.