Portrait : Adamou Ndam Njoya et ses trois ‘’opposants’’ de toujours

Dimanche 8 mars 2020, le Docteur Adamou Ndam Njoya, né le 8 mai 1942, a été définitivement porté en terre dans sa ville natale de Foumban. Dès l’annonce de son décès la veille, les hommages ont fusé des quatre coins du pays et même de l’étranger. Et pour cause : le fondateur de l’Udc, dont il aura été le président de 1991 jusqu’à sa mort, aura eu une assez longue et riche carrière politique et administrative.

Une trajectoire essentiellement marquée par l’adversité. Et qui se résumerait en trois visages : le président Paul Biya, le sultan Ibrahim Mbombo Njoya et Ni John Fru Ndi, le leader historique de l’opposition camerounaise.

Paul Biya, pas assez lettré et très peu compétent pour le diriger

Le moins que l’on puisse dire est qu’Adamou Ndam Njoya avait une très haute image de sa personne. Revendiquant volontiers son extraction aristocratique, il tenait comme à la prunelle de ses yeux à ce que sa stature d’intellectuel « surdiplômé » lui soit reconnue erga omnes.

C’est ainsi que lui, le Docteur d’Etat en Droit international public et science politique, supportait très peu ces administrateurs qui gouvernaient le Cameroun. Car pour lui ils étaient à peine lettrés, voire des illustres incultes, pas assez compétents pour diriger le Cameroun.

C’est notamment le cas du président Paul Biya, du temps où il fut premier ministre. Il faut dire qu’en 1975, alors que Paul Biya est nommé à la tête du gouvernement du Cameroun, et fait successeur constitutionnel du président Ahmadou Ahidjo, Adamou Ndam fait également son entrée au gouvernement en tant que vice-ministre des affaires étrangères.

Très tôt les premières dissensions naissent entre les deux individus, Adamou Ndam Njoya préférant rendre compte directement au président et non au premier ministre. Il convient de préciser qu’Adamou Ndam Njoya était avant tout le fils de Njoya Arouna, ami très personnel et comparse de lutte politique d’Ahidjo, dont il a été le bras droit et le ministre pendant la première décennie d’indépendance.

C’est en grande partie grâce à cela que malgré ces incartades, Adamou Ndam Njoya est tout de même promu ‘’ministre plein’’ à l’éducation nationale en 1977. C’est à ce poste qu’il gagnera sa réputation d’homme rigoureux et intègre avec l’instauration d’une « nouvelle éthique » dont l’un des éléments majeurs sera la fameuse « colle » qui interdisait de participation aux examens les candidats qui auront eu moins de 5 de moyenne ou qui se seront rendus coupables des faits de fraudes.

Naturellement l’opinion publique goute très peu ces mesures qui condamnent tout simplement à la déscolarisation les concernés, alors que l’objectif de l’éducation ne devrait pas être une sanction irréversible mais bien d’offrir une chance d’ascension et de rémission à tous.

Rappelé plusieurs fois à l’ordre, y compris par l’entremise de son ami d’alors, Jean Fochivé, Adamou Ndam Njoya n’en fera qu’à sa tête. Prenant un malin plaisir à snober le premier ministre. Une anecdote voudrait que suite à la controverse suscitée par certaines de ses décisions et orientations au ministère de l’éducation nationale, Adamou Ndam Njoya, comme à son habitude, aurait directement saisi le président Ahidjo, afin de lui expliquer la situation. A la question de ce dernier de savoir pourquoi il n’avait pas adressé cette correspondance au premier, chef du gouvernement, la réponse d’Adamou Ndam Njoya aura été cinglante : Paul Biya n’a tout bonnement pas le niveau intellectuel et surtout académique pour comprendre les reformes qu’il a engagées. Ahmadou Ahidjo, simple diplômé de l’école supérieur de Yaoundé et tout juste agent télégraphiste de profession, aurait pris cette réponse comme une véritable offense personnelle.

C’est donc tout naturellement qu’Ahidjo, déjà engagé dans la perspective de confier les rênes du pouvoir à Paul Biya, et très conscient du peu de considération que Ndam Njoya avait pour ce dernier, va le sortir du gouvernement en décembre 1981. Il sera numériquement remplacé, en tant que Bamoun, par Ibrahim Mbombo Njoya. Un autre adversaire de toujours.

Ibrahim Mbombo Njoya, le ‘’frère’’ qu’il n’aimait pas tant !

Ce chassé-croisé est surement le fondement de l’adversité qui aura perduré pendant des décennies entre Adamou Ndam Njoya et le sultan roi des Bamoun. Basculant même tout simplement en inimitié personnelle.

En effet, c’est peu de choses que de dire que ces deux personnalités ne s’appréciaient guère. Alors qu’en principe, bien de choses les rapprochaient. Tous deux originaires de Foumban, Adamou Ndam Njoya et Ibrahim Mbombo Njoya étaient des cousins éloignés.

Mieux encore, leurs deux parents étaient de solides partenaires politiques en plus de leurs affinités familiales très poussées. Ainsi, lorsqu’Ibrahim Mbombo Njoya va faire ses études en France à la fin des années 1950, c’est en compagnie du sénateur Njoya Arouna qu’il effectuera son voyage. Et c’est dans le domicile de ce dernier qu’il sera hébergé durant une bonne partie de cette pérégrination intellectuelle.

D’autre part, Adamou Ndam Njoya aura été toujours été considéré comme le ‘’fils adoptif’’ du défunt sultan Njimoluh Seidou, qui l’aimait tant et qui va l’anoblir dans les années 1980. Ce qui va lui attribuer son titre traditionnel de « Nji ».

Mais, jaloux de son statut de « lumière du Noun », Adamou Ndam Njoya n’acceptera jamais d’être éclipsé par Ibrahim Mbombo Njoya. Bien que celui-ci soit le « représentant » des Bamoun au gouvernement et surtout prince de sang. Alors que Ndam Njoya est de noblesse palatine, ou plus simplement de fausse notabilité.

La restauration du multipartisme au début des années 1990 couplée à l’accession au trône royal par  Ibrahim Mbombo Njoya ne va pas du tout arranger les choses. Bien au contraire, les relations entre les deux personnalités vont totalement se détériorer, après quelques années de paix de braves et de façade.

Et le premier affrontement direct aura lieu lors des élections municipales de 1996 où Adamou Ndam Njoya et Ibrahim Mbombo Njoya sont tous deux candidats. Le premier l’emportera sur le second.

Mais, le sultan n’aura pas dit son dernier mot. Et ce, jusqu’aux dernières élections locales. Cristallisant ainsi  l’une des adversités les plus épiques du landerneau politique camerounais.

Ni John Fru Ndi, le « Bamenda » derrière lequel il ne saurait s’aligner

Le 25 aout 1992, Paul Biya convoque le corps électoral pour le scrutin présidentiel du 11 octobre 1992. Décidée à en découdre avec le régime en place, l’opposition décide de mettre sur pieds une coalition dénommée « Union pour le changement ». A bien des égards, celle-ci se veut le prolongement de la coordination des partis d’opposition née dans la mouvance des assises de la conférence tripartite d’octobre-novembre 1991.

Très vite, le dévolu est jeté sur Ni John Fru Ndi comme porte-étendard de l’opposition. Adamou Ndam Njoya ne l’entend pas de cette oreille et décide de faire cavalier solitaire. Considérant qu’il ne pouvait aucunement s’aligner derrière Fru Ndi, petit « libraire illettré », comme il aimait bien l’appeler.

En fait, depuis la fin de la tripartite, les deux hommes étaient très loin de filer du bon coton. Adamou Ndam Njoya étant accusé d’avoir trahi l’opposition en mettant fin aux villes mortes par la signature de la fameuse déclaration du 13 novembre 1991.

Mais, l’issue des élections donneront tort à Adamou Ndam Njoya, car Ni John Fru Ndi s’en sortît officiellement avec plus de 35% des suffrages valablement obtenus. Alors que le fils du Noun n’arrivait pas à franchir la barre de 5%. Il ne fera d’ailleurs jamais lors des quatre élections présidentielles auxquelles il prendra part.

Comme notamment en 2004. En cette année, les Camerounais sont une fois de plus conviés aux urnes pour élire leur président de la république. Les opposants, conscients de leurs échecs successifs, et surtout pressés par la rue qui leur demande de taire leur divergence, afin qu’advienne enfin l’alternance, décident de mettre sur pieds une coalition. Des critères sont élaborés. Ils vont l’exigence de l’intégrité morale au bilinguisme des candidats.

A l’issue du processus de désignation, Adamou Ndam Njoya est désigné. Ni John Fru Ndi et le Sdf claquent la porte, en arguant que ce n’est pas à la mer de se reverser dans le fleuve, mais bien le contraire. Forts de leur force parlementaire et de la popularité de leur leader.

Ils n’auront pas véritablement tort car au sortir du scrutin, Adamou Ndam Njoya, bien que porté par la coalition, fera 4,5%. Alors que Fru Ndi culminera à plus de 17%.

Il faut dire qu’Adamou Ndam Njoya, contrairement à Fru Ndi, n’était pas un homme du grand peuple. Le port altier et la posture volontairement aristocratique, il n’aimait guère se mêler au peuple dont il voulait pourtant être le « guide ».

Et celui qui semble le mieux le résumer est l’opposant Djeukam Tchameni qui a écrit : « Le Président Ndam Njoya était avant tout un aristocrate, conscient et fier de son sang royal au nom duquel il s’obligeait à une discipline personnelle et exigeait des autres un respect et une reconnaissance d’une dignité acquise par droit de naissance. Auréolé par la rigueur qu’il avait instituée lors son passage au ministère de l’éducation nationale sous Ahidjo, il cultivait avec soin son image d’homme intègre et ne doutait point de son destin présidentiel.  Son parti l’UDC ne parvient malheureusement pas à se départir de la camisole départementale que le régime lui fit porter de gré ou de force. Toutefois, sa contribution pour la démocratisation du Cameroun a été remarquable et remarquée et l’histoire lui en saura gré.»

Par Moussa Njoya, Politologue (Défis Actuels N°462)

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