mardi, octobre 14, 2025
spot_img
AccueilA LA UNEPATRICK ALEXANDRE FOMETHE : « L’éducation financière est la clé́ de la...

PATRICK ALEXANDRE FOMETHE : « L’éducation financière est la clé́ de la réussite pour notre marché »

Directeur Général de la société de gestion de portefeuille Kori Asset Management, PATRICK ALEXANDRE FOMETHE plaide pour une meilleure structuration du marché sous-régional des capitaux. Dans cet entretien, il souligne les enjeux de gouvernance, les défis de digitalisation, l’urgence d’une éducation financière massive, et l’importance d’une synergie entre acteurs publics et privés pour bâtir un marché solide, crédible et inclusif.

Monsieur le directeur général, quel est l’intérêt pour votre société de prendre part à ces travaux de l’Africa Capital Market Forum 2025 ?

Disons que pour nos sociétés de gestion de portefeuille, c’est toujours important de prendre part à ce type d’initiatives parce que cela nous permet de renforcer la communication sur notre métier. Mais surtout d’échanger avec les autres acteurs du marché pour comprendre un peu quels sont leurs défis et trouver ensemble des pistes de solutions. Alors, c’est une opportunité unique parce qu’on a pu rencontrer divers acteurs, y compris la Commission de Surveillance du Marché Financier (Cosumaf), échanger nos expériences avec les acteurs de marchés différents, ce qui nous permet, nous, en interne, de nous améliorer, mais surtout d’avoir des perspectives positives, car en fait, nous sommes dans un marché́ en construction.

Après avoir suivi tous ces travaux- là, tous ces débats, quels sont selon vous les défis qui interpellent nos marchés aujourd’hui ?

Je pense que le défi le plus important, c’est celui de la démocratisation de la bonne gouvernance. Car avec la bonne gouvernance, on l’a vu, il y a plusieurs leviers qui impactent la performance. Une bonne gouvernance va rassurer un peu plus les investisseurs. Une bonne gouvernance va nous permettre d’avoir un marché plus structuré. Mais une bonne gouvernance va surtout nous donner la crédibilité dont nous avons besoin pour rayonner dans la sous-région et au-delà de nos frontières. Étant donné que nous sommes dans un contexte socio-culturel où la gouvernance est un sujet assez particulier, s’approprier ces concepts étrangers est un challenge qu’il faut essayer de relever ensemble en tenant compte de nos réalités locales.

On a aussi parlé des mutations des parties prenantes, à savoir par exemple qu’on a désormais à faire à une nouvelle génération qui n’a plus les mêmes habitudes de consommation, qui utilise davantage les plateformes digitales. Pensez-vous qu’il est possible aujourd’hui, de mobiliser cette partie de la clientèle potentielle pour élargir la base du marché comme souhaité ?

De toute façon, c’est une ambition, mais c’est une ambition qu’il faudra considérer avec beaucoup de précaution, car qui dit digitalisation, qui dit démocratisation, dit aussi risque. Donc il faudra s’assurer que les acteurs et les outils qui sont mis en avant ici sont sécurisés, car nous gérons des données personnelles, il y a des flux financiers, et il ne faut pas se précipiter dans une course folle à la digitalisation par souci de mobilisation d’épargne, mais s’assurer que nous faisons les choses dans le bon ordre.

Nous sommes conscients qu’il y a un vrai gap en termes de collecte d’épargne, qui est aussi un défi en termes d’éducation financière. Nous devons nous positionner en tant qu’acteurs, et nous avons des associations qui sont là pour cela, afin de trouver avec les pouvoirs publics, les régulateurs et les organismes centraux, les bons outils qui sont adaptés à nos besoins. Que ce soit le salarié, le petit commerçant, l’homme d’affaires ou le militaire, il doit exister des produits adaptés à leurs besoins pour que l’épargne devienne systématique et une véritable habitude de consommation dans notre sous-région.

Dans la sous-région, quelle est l’évolution ? Qu’a-t-on gagné avec l’intégration des deux places financières ?

La première chose, c’est que nous avons un marché unifié. Nous regardons désormais dans une même direction en matière de bourse de valeurs mobilières. Cela montre qu’il y a déjà un marché qui peut se structurer. Mais aussi, nous avons eu une amélioration réglementaire qui nous permet aujourd’hui d’avoir des types de supports qui n’existaient pas auparavant, ainsi que des acteurs qui n’étaient pas encore reconnus dans la réglementation, notamment les conseils en investissement financier, les sociétés de gestion des Organismes de Placement Collectifs, les sociétés de gestion pour les actifs immobiliers, le capital-investissement… Tous ces corps de métier vont à terme nous permettre de dynamiser le marché. Nous sommes nous-mêmes en plein défi d’apprentissage de la réglementation et sur- tout de consolidation de notre environnement de marché. Nous pensons que c’est le bon moment pour être présents, car au-delà de la difficulté de mobilisation, nous avons besoin d’un marché solide et bien structuré.

Alors justement, en tant qu’acteur du marché, comment tirez-vous avantage de cette unification ?

Nous sommes une société de gestion de portefeuilles. En termes de processus, nous avons un fonctionnement unique, ce qui signifie que l’onboarding de nos clients, quelle que soit leur nationalité, n’est pas différent. Cela nous permet de nous adresser au client gabonais, camerounais, congolais ou tchadien de la même manière. Aujourd’hui, avec les outils numériques, nous pouvons effectivement attaquer le marché sous-régional dans son ensemble, ce qui nous offre autant de possibilités de croissance et de développement de nos activités. L’unification des marchés fait que nous avons désormais une bourse régionale située au Cameroun et un régulateur basé au Gabon, ce qui favorise l’intégration sous-régionale. Avant, honnêtement, je n’étais pas venu au Gabon depuis une dizaine d’années, mais depuis que nous sommes actifs dans le marché, nous effectuons des visites régulières au Gabon, qui nous permettent de mieux connaître le pays et de tirer profit de cette mixité, qui au final nous permet de renforcer notre activité dans la sous-région.

Comment appréciez-vous l’environnement réglementaire actuel ?
L’environnement réglementaire actuel a réalisé un saut qualitatif ces deux dernières années. Pour nous, acteurs du marché, c’est un grand défi, car auparavant, l’appropriation des textes se faisait à un certain rythme et aujourd’hui, nous percevons une dynamique nouvelle. Certains textes semblent même futuristes, mais nous comprenons l’ambition de la Cosumaf. Il nous revient donc de nous arrimer à cette évolution. D’un point de vue commercial, les exigences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que les normes KYC (Know Your Customer, NDLR), ont complexifié nos opérations. Cela nous contraint à être rigoureux dans l’onboarding des clients, mais nous constatons que cette difficulté est de plus en plus comprise par nos clients, ce qui les rassure. Ils savent qu’en étant client dans l’Asset management ou dans le marché financier, leur épargne est protégée grâce aux exigences imposées par le régulateur.

Concernant votre société, quelles sont vos principales réalisations ce dernier mois ?

Nous sommes une jeune société de gestion d’actifs créée en 2022, agréée en mars 2023 par le régulateur, et nous avons pour ambition d’être présents dans toute la sous-région dans les trois à quatre pro- chaines années. Nous avons un focus particulier sur l’éducation financière, c’est même l’un des piliers de notre stratégie, car nous pensons qu’il faut éduquer, apprendre, donner les outils aux populations avant de gérer leur argent. On se rend compte que ce manque d’éducation financière est un vrai challenge, c’est pourquoi nous avons axé notre stratégie là-dessus. Nous avons mis en place plusieurs programmes « JOKORIE » au- près des étudiants, qui nous permettent de faire le tour de la sous-région en visitant les écoles et universités pour leur parler d’épargne et de construction de patrimoine, puisqu’ils seront les travailleurs de demain.
Dans le même cadre, nous avons récemment organisé une table ronde à l’Assemblée nationale en France pour expliquer à la diaspora française que le marché́ sous-régional est un marché́ sérieux, qu’il y a de vraies opportunités de placement et qu’il existe des acteurs agréés qui peuvent les aider et les accompagner dans la construction d’un patrimoine en Afrique. Nous sommes donc dans cette démarche et continuons notre évolution, avec la gestion d’un portefeuille d’environ 15 milliards de FCFA.

Dans ce contexte où il y a une très faible culture boursière, comment vous organisez-vous pour répondre aux attentes des clients existants ?

Nous multiplions les initiatives d’éducation financière : séminaires, Jokorie, comme je l’expliquais. De plus, notre participation à ce type de plateforme, avec la résonance qu’elle peut avoir sur les réseaux sociaux, nous apporte visibilité et suscite la curiosité de nos clients, ainsi que de ceux qui ne le sont pas encore. Aujourd’hui, avec la puissance des réseaux sociaux, nous pouvons toucher plusieurs personnes à travers le monde. C’est lorsque nous aurons suffisamment de visibilité sur ce marché que les gens comprendront qu’il s’agit d’une activité sérieuse et porteuse. Je pense que la clé réside dans l’utilisation de la digitalisation, des réseaux sociaux et des actions récurrentes d’éducation financière sur le marché. C’est véritablement la clé de la réussite pour notre marché, qui est encore en construction.

Quels seront, selon vous, les leviers principaux à actionner pour dynamiser davantage le marché des capitaux dans notre sous-région ?

Pour moi, la clé réside dans une implication plus forte des pouvoirs publics, afin de renforcer les acteurs agréés et de simplifier le message autour de la gestion et de la culture financière. Nous devons bénéficier d’une meilleure visibilité dans les Assemblées nationales et les médias classiques pour expliquer aux citoyens l’utilité de leur épargne. Il serait pertinent de mettre en place des programmes fiscaux incitatifs et de promouvoir l’épargne publique. Encourager la constitution d’une épargne complémentaire via un pro- gramme d’épargne volontaire défiscalisé serait bénéfique. De plus, les fonds communs de placement sont des outils essentiels de l’Asset Management, qui devraient être distribués par les banques et les assureurs via leurs canaux afin d’en faire un réflexe de consommation. Les institutions financières ont un accès direct aux populations et pourraient ainsi démocratiser cet outil en l’intégrant comme une alter- native de placement pour leurs clients. Enfin, une communication plus structurée entre les pouvoirs publics, les associations et les acteurs du marché financier serait nécessaire. Actuellement, chacun agit de son coté, mais il faudrait que chaque pays instaure des canaux efficaces pour diffuser le message à travers les associations de bourse et de l’Asset Management. Une initiative pertinente serait de dédier une semaine annuelle à l’éducation financière, non seulement pour les acteurs du marché mais aussi pour les populations qui ne sont pas encore sensibilisées.

Propos recueillis par François BAMBOU

spot_img
LIRE AUSSI
0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

ACTUELLEMENT EN KIOSQUE

spot_img

LES PLUS RECENTS

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x