En effet, ces derniers jours, la blogosphère camerounaise s’affole, s’extasie ou se gausse devant les gadgets électoraux du président-candidat Paul Biya. En plus des classiques sacs à dos, pagnes, montres, parapluies et stylos — et sans doute pour édulcorer l’humeur maussade et passablement désespérée des Camerounais accablés par les malheurs et les misères — les conseillers du chef de l’État ont voulu se montrer facétieux en introduisant des objets aussi inattendus qu’insolites : lingettes, lessives, serviettes hygiéniques, tous frappés du fameux slogan de campagne Grandeur et Espérance et d’un beau portrait du candidat.
Il n’en fallait pas davantage pour rallumer le fameux humour tout-terrain des Camerounais, qui brocardent à souhait cette ultime manifestation du génie politique de Paul Biya. Influenceurs et tiktokeurs rivalisent d’éloges comiques ou de railleries tout aussi inspirées sur cette curieuse manière de séduire l’électorat. Mais ce qui fait moins rire, c’est lorsqu’on se rend compte que ces gadgets, qui circulent à l’occasion de la campagne présidentielle de 2025, ont été importés massivement — probablement à coups de milliards — alors même que le chef de l’État dit placer la promotion du Made in Cameroon au cœur de son programme. On a même vu circuler sur la toile l’image d’un sac de riz pakistanais estampillé aux couleurs et slogans du président-candidat.
La production de cet arsenal de communication aurait pourtant pu être confiée aux PME et artisans locaux. Hélas, le chef de l’État a choisi de déverser ces milliards à l’étranger, au grand désarroi des producteurs nationaux. Ce privilège de l’importation n’est d’ailleurs rendu possible que par la puissance de feu financière du parti au pouvoir, dont le budget de campagne semble sans commune mesure avec celui de ses concurrents. Car dans les camps adverses, les moyens moins conséquents ont imposé une relative sobriété. Relative oui. Car, même si les gadgets des autres candidats se résument souvent à quelques Tshirts, casquettes, écharpes, chemises, blocsnotes et stylos qui peuvent être produits localement, rien ne prouve que ces challengers n’aient pas eux aussi eu recours à l’importation. Cette situation illustre un paradoxe frappant.
Depuis plusieurs années — davantage encore ces derniers mois, et plus nettement dans son manifeste de campagne — Paul Biya exhorte les jeunes à investir les secteurs productifs dans le cadre du plan triennal d’import-substitution 2024-2026, qui vise à accroître la production locale. Il les invite à faire preuve d’audace et à démontrer leur génie en créant des PME dans différents secteurs. Il promet des allègements fiscaux pour les produits locaux, la valorisation des matières premières nationales et un soutien renforcé aux PME/PMI. Il s’engage également à faciliter l’accès des entrepreneurs locaux aux marchés publics et privés. Or, au moment de donner l’exemple, en remplissant les carnets de commande des PME camerounaises dans un contexte hautement symbolique comme une campagne électorale, le réflexe a été de recourir à l’étranger.
Si Paul Biya promeut le Made in Cameroon depuis des années et se devrait de prêcher par l’exemple en fabriquant localement ses goodies de campagne, les autres candidats – qui, dans leur globalité, prônent la valorisation des ressources nationales – devraient, eux aussi, briller par l’exemple. Or, l’épisode du conteneur indique que la tâche est loin d’être gagnée. Les arguties ne manqueront pas pour justifier ce faux bond, le prétexte le plus évident étant que c’est plus rapide et moins cher de produire en Chine. Mais on le sait : celui qui veut faire quelque chose trouve un moyen, celui qui ne le veut pas se trouve une excuse.
Le message envoyé est pour le moins contradictoire. Car si même les symboles de la campagne électorale — censés incarner le projet de société du candidat — ne sont pas produits localement, comment convaincre que l’État saura impulser une véritable révolution industrielle en faveur du Made in Cameroon ? L’affaire risque donc d’alimenter la critique d’un fossé persistant entre les promesses et la pratique, entre le discours officiel et la volonté politique réelle. Promouvoir le Made in Cameroon suppose d’abord d’y croire soi-même au quotidien, y compris — et surtout — en prêchant par l’exemple.