Liberté de la presse : quand Atanga Nji ruine l’image du gouvernement

En menaçant de représailles les médias et organisations de la société civile qui montrent une certaine indépendance, le ministre de l’Administration territoriale donne du gouvernement l’image d’un régime liberticide.

A Yaoundé, le ras-le-bol s’affiche à la Une de certains journaux parus mardi et mercredi derniers. « Atanga Nji, sinistre de la communication », titre le quotidien Le Jour. « Quand Atanga Nji menace de sévir », lâche La Nouvelle Expression. « ONG et médias privés : Atanga Nji étouffe de rage », indique Mutations. Alors que Le Messager emploie des mots plus durs : « Paul Atanga Nji, le ‘’fou’’ du roi ». Tout est parti d’un point de presse donné par le ministre de l’Administration Territoriale (Minat), le 9 mars dernier à Yaoundé. Ce jour-là, Paul Atanga Nji s’en est ouvertement pris à certains organes de presse privés. Leur crime ? Avoir relayé des informations contenues dans les rapports d’ONG internationales sur les cas de « violations des droits de l’homme » dans les régions du NordOuest et du Sud-Ouest du Cameroun. « Pour bien me faire comprendre, a–t-il déclaré, je vais employer cette métaphore bien connue : celui qui vend les œufs ne doit pas chercher la bagarre. Equinoxe TV, STV, Radio Balafon et le journal Le Jour sont particulièrement et singulièrement interpellés. Le Cameroun n’a pas besoin d’une radio mille collines ». L’ImAge Du gOuveRnement teRnIe Ce n’est pourtant pas la première fois que Paul Atanga Nji s’en prend aux journalistes et aux principes de la liberté d’- expression. Mais cette autre sortie jugée « hasardeuse » a surtout remis une couche sur l’image déjà ternie du gouvernement, et même sur la méthode de gouvernance qui est désormais attaquée de toute part. « Atanga Nji n’a pas la stature d’un ministre du gouvernement ou mieux, d’un homme d’Etat », tranche Christian Tchapmi. Le rédacteur en chef du quotidien Le Messager pense que le Minat manque de finesse, de charisme et de tact dans sa prise de parole et de décisions. « Il brille par sa maladresse, son habitude de va-t-en guerre et ses sorties médiatiques presque toujours explosives. Il ne sait pas ce qu’on appelle [avoir] de la mesure dans les propos ; il dégaine et s’en fout des conséquences. Il aime faire le show, masquer son impuissance à gérer un ministère comme le Minat derrière de fausses accusations et des fauxfuyants ».

Ce qui choque davantage certains confrères, c’est le ton et aussi les accusations portées par Paul Atanga Nji. « Le ton utilisé par le ministre Atanga Nji ne sied pas aux circonstances. Il accuse un certain nombre de médias d’avoir perçu de l’argent pour ‘’déstabiliser’’ le Cameroun. Venant d’un ministre, on ne peut pas tenir de tels propos avec autant de légèreté. Le ministre de l’Administration Territoriale devrait avoir un peu plus de mesure. Il a une fougue qui n’est pas digne de la fonction qui est la sienne, quelles que soient les circonstances », commente Jean Bruno Tagne, journaliste. Au sein de la rédaction du quotidien Le Messager, l’on est catégorique : les multiples sorties médiatiques de Paul Atanga Nji ne peuvent que contribuer à ternir l’image du gouvernement qui déjà n’a pas bonne presse. « Il n’est finalement qu’un pompier-pyromane, habitué du déni de la réalité mais toujours au-devant de la scène pour tenter d’éteindre le feu. Pourtant, le poste de ministre de l’intérieur confère à son occupant une certaine diplomatie, une finesse et une grandeur d’esprit. Il doit être le reflet de la politique intérieure du pays, le premier gardien de l’image de la Nation. Atanga Nji, lui, aime le tape-à-l’œil, l’agitation, la précipitation, la maladresse, l’esbroufe pour dire le moins », poursuit Christian Tchapmi.

Le Cameroun sous régime dictatorial ?

Les attaques verbales à répétition de Paul Atanga Nji répugnent en effet certains patrons de presse qui n’en peuvent plus de supporter son « manque d’élégance » et ses « sorties sans filtre ». Au point où d’aucuns estiment que le chef de l’Etat Paul Biya ferait mieux de s’en débarrasser. « C’est une sortie maladroite qu’on ne peut pas enregistrer dans un système qui a pour intention d’aller vers une démocratie. Si le Cameroun a l’intention de démocratiser son système, ce ministre ne mérite pas d’occuper son poste », a réagi Xavier Messe, directeur de la chaine Humanitarian TV, dont les propos sont relayés par Camer.be. Et de poursuivre : « Les journaux ont juste relayé les informations et lorsqu’une ONG publie un rapport sur le Cameroun, la seule possibilité de répondre à ces ONG c’est de donner les arguments solides et contradictoires. Annoncer la fermeture des organes de presse ou qualifier un organe de radio mille collines est une réaction dictatoriale ». « Dans les circonstances qui sont celles du Cameroun, le gouvernement n’a pas besoin d’ouvrir un autre front contre la presse, alors même qu’il n’a pas encore fini avec la crise sécuritaire qui a déjà endeuillé de nombreuses familles camerounaises et qui met notre pays en difficulté face à la communauté internationale », renchérit Jean Bruno Tagne.

Jeu d’intérêts ou jeu de dupes ?

Pourtant, à travers ses différentes sorties, Paul Atanga Nji se pose en défenseur des intérêts de la République et de son président. Mais à force, son attitude vis-à-vis de la presse (et de certains partis politiques de l’opposition) laisse peser des doutes sur ses réelles motivations. « Atanga Nji sait sur quel levier activer pour détourner l’attention et démontrer au président de la République qu’il est l’homme de la situation. Sa posture de Secrétaire permanent du Conseil national de la sécurité lui fait pousser des ailes et il se croît superpuissant, intouchable, indétrônable », conclue le rédacteur en chef du Messager.

Une « certaine presse » épargnée

Dans le fond, les menaces de Paul Atanga Nji sont bien ciblées. Elles ne concernent qu’une infime catégorie d’organes de presse privés. Certains journalistes s’étonnent d’ailleurs de ce que le Minat fait à chaque fois abstraction des bévues de ces médias réputés « proches du gouvernement, qui à longueur de journée font l’apologie du tribalisme en distillant foncièrement des messages de haine vis-à-vis d’une tribu bien précise. Ou appellent à la violence contre les femmes et la diaspora anglophone ». « Ceux des médias que le ministre Atanga Nji attaque ne sont pas les plus mauvais qu’on a dans ce pays, assure Jean Bruno Tagne. Au contraire, ce sont ces médias qui essaient de faire un travail journalistique remarquable. La pègre journalistique qu’on a au Cameroun semble être les alliés du ministre. Et il attaque malheureusement les quelques rares médias libres et indépendants qu’on a encore dans ce pays, et protège curieusement toute la pègre journalistique qui ternit l’image de ce digne métier ». Le journal Le Jour d’Haman Mana peut alors se montrer laconique : « Avec un certain ministre, le Cameroun n’a effectivement pas besoin d’une radio mille collines pour s’embraser ».

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