Internet mobile : réalités sur les coûts au Cameroun

Tandis que plusieurs internautes consommateurs s’offusquent sur les tarifs pratiqués au Cameroun comparativement à l’Europe, une enquête révèle que le Cameroun figure parmi les pays  africains ayant l’internet aux prix les moins élevés sur le continent bien qu’il reste encore cher.

Le ministre des Postes et Télécommunications préside ce jeudi 27 avril 2023 une réunion avec les opérateurs  de ce secteur. Minette Libom Likeng tentera ainsi d’apporter des solutions pour calmer les utilisateurs aux abois depuis quelques jours. L’objet de la réunion mentionné sur la correspondance adressée aux opérateurs renseigne qu’il s’agira des mesures prises sur l’amélioration de la qualité de service communications électroniques et  la protection des consommateurs.

En effet, selon les données de l’Observatoire national des télécommunications de l’Agence de régulation des télécommunications (ART), le taux de pénétration des téléphones intelligents permettant d’accéder à l’internet mobile est passé de 25% en 2016 à près de 40% en 2020 au Cameroun.  Malgré cette progression de 15% sur 4 ans, l’expérience client reste insatisfaisante. Le 24 avril dernier, de nombreux abonnés ont lancé un mouvement baptisé « mode avion » pour dénoncer  la mauvaise qualité des réseaux téléphoniques et internet. Mais surtout sa cherté. Le mouvement  né sur la toile et encouragé par des leaders d’opinions tels que l’artiste Kareyce Fotso, le député Cabral Libii visaient principalement deux opérateurs de télécommunications. Orange et MTN. Ces leaders ont invité la population à désactiver leurs téléphones entre 12h et 14h  lundi dernier afin d’amener ces entreprises à réduire les coûts.  « En France, chez Orange avec 21 euros (14 000 F), tu as les appels illimités et 68 Gigas. Pourquoi ça coûte si cher au Cameroun ? Soit on accepte de se faire ruiner, soit on dit non ensemble » peut-on lire sur l’affiche largement relayée  sur les réseaux sociaux.

Comparaisons avec l’Europe

Interrogé sur le gap entre les tarifs d’internet mobile au Cameroun et ceux observés en Europe, une source au sein de MTN Cameroon  explique que la différence réside dans le mode d’achat. «  On ressent plus  le coût d’internet chez nous par ce qu’on recharge au détail.  Dans les pays développés, les gens achètent les gros forfaits. Ils sont en général en mode postpaid. Or ici on fait plus du prépayé tandis que le marché moderne c’est le postpaid ou l’abonnement. Pourtant vous  convenez avec moi qu’en prépayé, lorsque les gens achètent quelques méga et achètent de nouveau quand c’est terminé, cela ne permet pas à l’opérateur de  faire un certain nombre de choses.  Ca freine par exemple les investissements qui pourraient aider à réduire les coûts par ce qu’on n’est pas sûr d’avoir  ces clients sur le long terme ».

 Notre source ajoute qu’on aurait pu avoir des offres à des prix plus bas que ceux proposés actuellement. Seulement, le secteur subit le monopole de  la société publique Camtel dans la gestion de la fibre optique. Grossiste et détaillant, les activités de la société sont citées comme des freins à l’évolution du marché local des télécommunications. Sur les éléments constitutifs des tarifs d’internet au Cameroun, notre informateur renseigne que les offres d’internet prennent en compte le coût de l’acquisition de la licence qui est  de 75 milliards  de FCFA  à renouveler après une période de 15 ans. Il y a également, les investissements opérés par la compagnie. Ce qui est constitué à la fois des investissements initiés de son propre chef et de ceux exigés par l’Etat. Ces derniers n’étant pas toujours rentables.

Les tarifs du Cameroun parmi les moins chers en Afrique

Selon le rapport publié par l’Alliance for Affordable Internet (A4AI) en décembre 2020, le prix moyen d’un giga de données mobiles en Afrique s’élevait à plus de 5 dollars contre près de 7 dollars en 2018.  Cet organisme  qui collecte les données des forfaits prépayés les moins chers par pays selon le modèle de prix fournit par l’Union internationale des télécommunications (UIT) relève des différences importantes  d’un pays à l’autre.

Parmi les pays où les tarifs sont les plus élevés figure la Guinée équatoriale où il faut débourser 35 dollars pour obtenir un giga de données mobiles, soit le tarif le plus cher au monde. Vient ensuite la Libye avec un giga de données mobiles coûtant 11,4 dollars, puis la Centrafrique (10,4 dollars), le Tchad (8,64 dollars), le Congo Brazzaville (8,47 dollars) , le Togo (8,4 dollars) ;  la RDC (8 dollars).

À l’inverse,  le Cameroun est listé parmi les pays africains où les prix d’internet sont les plus faibles avec une moyenne de 2,2 dollars le giga sur le prix moyen africain de 5 dollars . Du moins cher au plus cher, on a en tête du classement le Soudan avec 0,9 dollar le giga de données haut débit. L’Égypte vient ensuite avec 1,3 dollar. Puis le Maroc (2 dollars), le Rwanda (2,1 dollars), le Cameroun (2,2 dollars) , l’Algérie (2,3 dollars), le Sénégal  (3,28 dollars) et la Côte d’Ivoire ( 4,8 dollars). Ce classement est à nuancer avec celui des Nations unies pour qui, l’accès à internet est abordable lorsque le coût d’un giga est inférieur à 2 % du revenu mensuel brut.  Ces tarifs bien qu’abordables en Afrique restent par ailleurs très élevés par rapport au prix moyen du giga en Europe. En France ou en Italie qui sont considérés comme les pays les moins chers en la matière, un giga équivaut à moins d’1 euro ( moins de 650 francs). Précisément 0,23 euro pour la France et 0,12 euro en Italie.

Il faut aussi souligner que même si le Cameroun pratique des tarifs considérés comme abordables comparé aux autres pays africains, cela reste quand même élevés « pour des citoyens qui ont peu de revenus » souligne la ministre des postes et Télécommunications. Dans le cadre du Projet d’accélération de la transformation numérique au Cameroun (Patnuc), le gouvernement vise à réduire de 30% le prix en détail de l’internet mobile au Cameroun, d’ici 2027. Un accord de prêt d’environ 62 milliards de FCFA  a été signé   à cet effet en décembre 2022 avec la Banque mondiale. Du côté des opérateurs, après une concertation avec l’ART en fin d’année dernière, ils ont pris l’engagement d’investir 156 milliards de FCFA cette année pour améliorer la qualité du réseau. Le point sur ces engagements sera certainement fait lors de la rencontre avec le ministre.

Interview

Jourdain FOTSO, expert en réseaux et télécommunications

« Il y a un souci d’information des utilisateurs»

L’enseignant explique de manière technique les défaillances observées dans la consommation des données mobiles, analyse les coûts et les dynamiques autour du réseau national des télécommunications.

Les utilisateurs de service Internet au Cameroun se plaignent du coût élevé de ce service. De votre point de vue est-ce une perception ou une réalité et comment expliquer le gap entre les prix pratiqués au Cameroun et ceux pratiqués en Europe ?

Comparativement et en valeur absolue, il existe bel et bien un gap tarifaire entre les mercuriales appliquées au Cameroun et à l’étranger. Maintenant, il faut préciser que les facteurs de tarifications répondent à des principes bien précis et il relève de la responsabilité de l’opérateur d’informer le grand public et les utilisateurs sur les éléments pris en compte dans le pricing de leurs produits offres et services. Ceci pour éviter des débats comme ceux qui enflamment la toile ces derniers jours. La tarification d’un produit répond à des normes en fonction de l’environnement du marché et même de la politique économique de l’espace où il est commercialisé. De ce fait, la question ne saurait uniquement se limiter au prix des services, sans prendre ni même connaître ces différents paramètres. D’où la responsabilité des différents acteurs (opérateurs et politiques) de prendre des dispositions pour offrir les meilleurs services selon le rapport qualité-prix prenant en compte les réalités du pouvoir d’achat du consommateur final.

Il y a un problème fondamental soulevé par les utilisateurs. Celui de la consommation des données. Comment expliquer qu’un forfait acheté chez un opérateur s’épuise quelques minutes après son activation sans même être utilisé ? D’aucuns ont parlé d’un possible dysfonctionnement dans le réseau.  Cela est-il techniquement possible ?

Je ne pense pas que la terminologie ou l’expression « problème » soit la plus adéquate, la difficulté à mon sens réside dans l’éducation, l’information, et une  communication efficiente entre les opérateurs/constructeurs et les utilisateurs finaux.  Tenez par exemple, sur la question de l’épuisement des bundles data, ce qu’il faut savoir c’est qu’à l’achat d’un volume de données ou pack de données, sa durée est fonction de deux facteurs : la périodicité et la consommation. La plupart de nos outils multimédias aujourd’hui sont des objets connectés et donc qui nécessitent un accès permanent  à internet. De ce fait, à l’achat d’un forfait votre compte data est approvisionné par l’opérateur et toute de suite  les services et applications de votre outils se mettent en activités. Il faut noter que la plupart de ces services s’exécutent en arrière-plan (c’est à -dire qu’ils sont actifs dès le démarrage de votre appareil) et le restent jusqu’à ce que l’utilisateur les arrête ou que l’équipement soit éteint. Il est important aussi de noter que bon nombre d’utilisateurs standards ignorent parfois ces principes de fonctionnement applicatifs en arrière-plan. D’un autre point de vue, il faut saluer les améliorations constantes des opérateurs notamment sur la protection du pouvoir d’achat des consommateurs et la fourniture des services de façon permanente nonobstant parfois quelques perturbations mineures. Vous avez certainement souvenance qu’il y a peu qu’à l’épuisement de votre forfait data pour le cas d’un certain opérateur, vos unités de valeurs communément appelées crédit de communication, étaient systématiquement prélevées pour continuer à maintenir votre fourniture. Donc en conclusion il n’existe pas de difficultés sur le plan technique bien que des améliorations supplémentaires sur le plan de la fourniture des services continuent d’être positives pour une expérience utilisateur plus aboutie du client final.

L’un des grands projets d’infrastructures dans le secteur est le câble sous-marin reliant le Cameroun au Brésil. Comment appréciez-vous le rapport investissements et qualité du service ?

Le projet SAIL (South Africa inter Link) lancé en 2018 par l’entreprise Huawei Maritime network (entreprise Chinoise) dont la teneur était le déploiement d’une distance d’environ 6000km de fibre optique entre le Cameroun et le Brésil est l’un des premiers à relier le continent africain à l’Amérique du Nord l’Europe et l’Amérique du Sud.  Pour rappel, c’est en 2016 qu’ont été initiés les travaux de déploiement de ce câble sous-marin, projet porté par un consortium formé  par l’opérateur principal en matière de Telecom au Cameroun, Camtel et une entreprise chinoise pour un coût global d’environ 280 milliards de francs CFA. Le South Africa inter Link fut ainsi le 4ème câble sous-marin à fibre optique à atterrir au Cameroun, après  SAT3, Wacs et le NCNCS (Nigeria and Cameroon Network Cable System) et ACE en collaboration avec un autre opérateur local pour ne citer que ceux-là. Et pour renchérir ; la récente mise sur le marché du produit Blue par camtel et la signature de nombreux accords d’interopérabilité entre opérateurs locaux nous permettent d’apprécier à suffisance le juste équilibre (bien qu’à parfaire) entre les investissements impulsés par les politiques publiques mais aussi grâce aux partenaires extérieurs ; et les la qualité de service offerte aux usagers de réseaux et services.

Une fois de plus nous ne saurions terminer sans réitérer et marteler que tous ces acquis et avancées sont à améliorer pour continuer à créer une concurrence et une compétition positive entre les différentes parties prenantes (opérateurs), nécessaire  l’épanouissement du client final

Quel regard jetez-vous globalement sur l’évolution du taux de pénétration d’internet au Cameroun?

Mon appréciation du taux de pénétration technologique au Cameroun est fortement positive et les impacts eux aussi majoritairement positifs sont légions dans tous les secteurs avec des répercussions économiques notoires. J’en veux pour preuve l’essor ces dernières années de nombreux jeunes dans les secteurs multiples et variés (cinéma, musique, culture, commerce etc..) mais ayant pour support le digital. Sur le plan des Telecom proprement dit, la réduction palpable des coûts de téléphone et de l’internet sans oublier  l’élargissement de la couverture au plan national doublé d’une ouverture du marché à des nouveaux opérateurs. Tous ces éléments sont des exemples probants d’une amélioration sur le plan infrastructurel. 

 La décennie écoulée a vu une importe ruée vers les technologies au Cameroun impulsée bien évidemment par le chef de l’État et les ministères techniques de tutelle. Certainement, il est normal que les utilisateurs deviennent de plus en plus exigeants du fait de la quasi virtualisation de près de 70% des supports de services aujourd’hui c’est un fait. Mais cela n’enlève en rien les efforts constants qui ont été et continuent d’être faits pour évoluer au rythme du monde sur le plan technique et technologique. Le Cameroun comme bien d’autres pays de la sous-région et même du Monde, a encore certainement des efforts à faire.

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