Innovation. Ces plateformes numériques qui ont planté

Absence de rentabilité, contexte particulier… Jumia, C-Discount, Heetch toutes des plateformes étrangères ont fermé soudainement leurs activités au Cameroun. Qu’en sera t-il  de Yango?

Ces dernières années au Cameroun ont été marquées par les départs successifs de plusieurs initiatives dans le secteur du numérique.  Des plateformes qui avaient  pourtant de la côte auprès des consommateurs ont du jour au lendemain cessé leurs activités. Les plus connues sont notamment C-Discount,  Jumia et Heetch. Chacune de ces plateformes étrangères a énoncé une raison particulière au moment de quitter le Cameroun.

Heetch, victime du coronavirus

Le plus récent départ est celui de la start-up française Heetch. Elle, qui a lancé sa plateforme de location de véhicules et motos-taxis au Cameroun en septembre 2019, a dû quitter le pays au mois de mars 2020. Ce, alors qu’elle était parvenue en si peu de temps  à moderniser le transport par motos dans la capitale économique grâce à un réseau de 250 motos-taxis VIP.

 La start up avait indiqué dans un communiqué, être « directement impactée par la crise du Coronavirus sur le sol français » et avait ainsi décidé de suspendre ses activités au Cameroun pour se recentrer sur d’autres pays.

Jumia accuse la rentabilité

Le cas de Jumia est celui qui aura fait le plus de commentaires.  Le groupe leader dans le  e-commerce en Afrique s’est progressivement éteint dans le pays. Il avait commencé par réduire ses activités.  Puis, quelques mois plus tard, le groupe annonce officiellement l’arrêt de ses activités au Cameroun  en novembre 2019. Jumia  accuse alors, l’insuffisance des clients, un manque de maturité du marché et une classe moyenne encore trop faible en nombre, un faible « pouvoir d’achat ». Ce qui pour l’entreprise constitue des éléments  qui confèrent au Cameroun, un « contexte particulier  ».  Jumia a déclaré avoir  essuyé des pertes continues, avant d’arriver à la décision de mettre au moins 200 employés  au chômage.

CDiscount, un départ précoce

Le champion français du ecommerce C-discount a mis un terme à ses activités au Sénégal et au Cameroun au même moment.  La filiale du groupe Casino, s’en allait ainsi après moins de deux ans d’activités. Le groupe avait aussi évoqué une faible rentabilité, et alors que le commerce en ligne sur le continent est particulièrement coûteux, en raison notamment des coûts logistiques et d’autres difficultés comme la question du paiement ou la pénétration encore limitée d’internet. D’aucuns avaient attribué ce départ au ralentissement de ses activités au Brésil. Fort de ces précédents  échecs, l’on s’interroge aujourd’hui sur le sort de  Yango.

Les enjeux du cas Yango

Présente dans sept pays africains, l’application mobile russe de VTC traverse une zone obscure.  Après quelques mois d’activités, les autorités camerounaises ont suspendu son déploiement dans le pays, l’appelant à se conformer à la loi sur le transport routier.    « A l’issue d’une mise en demeure adressée aux opérateurs de la plateforme numérique Yango et des réunions d’évaluation tenues au ministère des Transports,  les activités de transport public de personnes opérées via la plateforme Yango sont suspendues jusqu’à leur mise aux normes »,indiquait le communiqué du ministre des Trasports. Mais, Yango ne se considère pas comme un acteur de ce secteur.  « Nous attirons l’attention sur le fait que Yango est une plateforme numérique internationale fonctionnant via une application mobile et, donc n’est pas un opérateur de transport », écrit Yango. Le ministère des Transports indique pourtant une loi spécifique qui prend en compte les plateformes numériques. Mais là encore Yango ne s’y reconnait pas.   « Yango s’est déjà mis à la disposition du Ministère de transport pour obtenir des éclaircissements sur les mesures concrètes que nos partenaires, les opérateurs de transport locaux, doivent suivre pour s’aligner avec le décret 8801 du 10 octobre 2022car, à notre connaissance, aucun arrêté expliquant ces mesures n’a été publié bien que cela soit stipulé dans le communiqué de presse du ministère », ajoute Yango.

D’après plusieurs analyses, le gouvernement entend capter les recettes fiscales de cette activité, qui telle qu’elle est pratiquée lui échappe. Et là encore, les responsables de Yango estiment que c’est mal comprendre l’activité. « Nous avons été surpris par la décision du Ministère des Transports qui, selon nous, est le résultat d’un malentendu sur le modèle économique de Yango. Pourtant, on a invité tous nos transporteurs locaux partenaires à se conformer à la nouvelle réglementation en vigueur », précise Yango qui a sereinement repris ses activités, indiquant qu’elles ne sont pas suspendues au Cameroun et qu’il reste à la disposition du ministère des Transports pour lever le « malentendu ».

Réaction

Simon Mbelek, spécialiste du E-commerce

« Le gouvernement doit comprendre le secteur avant de le taxer »

« L’application était devenue le moyen le plus efficace pour se déplacer dans une ville comme Douala notamment pour des rendez-vous importants. J’appelle le ministre à se raviser parce que selon moi, c’est une très mauvaise décision. C’est une situation que de nombreux pays ont déjà vécu, mais des solutions ont toujours été trouvées. Ce sont des emplois qui risquent de partir en fumée et le rôle de l’État c’est de protéger les citoyens. Ensuite, le pays pourrait perdre un acteur clé. Nous vivons la même situation dans le domaine du e-commerce depuis des années et regardez là où ça nous a mené jusqu’ici: dans l’impasse. Le gouvernement veut taxer un secteur sans le comprendre, c’est ça le problème. Tant qu’on ne comprend pas que les plateformes marchandes ont plus pour vocation à accompagner la transition numérique et faciliter la croissance numérique, on sera toujours en train de prendre de mauvaises décisions. 

Il faut que ce soit clair, les plateformes comme Yango agissent simplement comme des intermédiaires, ce ne sont pas des transporteurs. C’est à dire qu’elle met en relation des transporteurs qui sont dans un secteur déjà régulé avec des clients qu’ils auraient eu dans la rue. Ces plateformes font tourner des algorithmes à longueur de journée. Et ce sont ces derniers qui sont des outils d’aide à la décision aussi bien pour le transporteur que pour le client. Il est quasiment impossible d’afficher le prix à l’entrée comme le demande le ministre. C’est beaucoup plus complexe que ça et c’est pourquoi il n’est pas judicieux de soumettre une telle activité à la seule loi sur le transport. Là où je partage quand-même l’avis du ministre notamment dans son premier courrier, c’est sur la légalité de l’entreprise. Toute entité qui exerce dans un pays, doit faire preuve de transparence et donc si ce n’est pas le cas, il y a lieu de sanctionner. Maintenant sur la soumission des chauffeurs de la plateforme au régime de la loi, je pense qu’il peut y avoir débat. On peut effectivement les conformer aux règles en vigueur dans le secteur du transport même si quelques nuances s’imposent.

 Les départs de Jumia, C-discount et Afrimarket avaient déjà causé beaucoup de tort à l’ensemble du secteur, Yango n’est qu’une situation de plus. C’est triste mais de moins en moins d’investisseurs regardent le pays des Lions avec intérêt et c’est dommage pour tout le monde. Vous ne pouvez pas avec un tel postulat quand vous regardez d’autres pays faire fortune dans ce secteur. J’invite vraiment nos dirigeants à se remettre en question et à faire preuve de résilience concernant le numérique qui est encore nouveau chez nous, donc on peut comprendre certaines actions. Il faut peut-être une assise nationale entre les opérateurs et le gouvernement sur ce sujet. »

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