mardi, octobre 14, 2025
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Import-Substitution : Ces projets agricoles qui tardent à donner des fruits

Malgré la multiplication des programmes publics pour booster la production locale, une large frange de la population rurale ignore encore leur existence. Entre déficit d’information, lenteur administrative et frilosité du secteur privé, le rêve d’autosuffisance alimentaire du Cameroun reste à concrétiser.

La dernière trouvaille du gouvernement pour sortir le Cameroun de la dépendance alimentaire est le Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique (PIISAH). Dévoilé à Yaoundé pour la période 2024- 2026, ce programme de 1 444 milliards de FCFA ambitionne de renforcer la production nationale de riz, maïs, poisson, lait et huile de palme. L’objectif affiché est de réduire une dépendance alimentaire qui coûte chaque année plus de 800 milliards de FCFA aux finances publiques, selon l’Institut national de la statistique (INS).

En clair, il s’agit pour le Cameroun de regagner sa souveraineté alimentaire en stimulant la production et la transformation locales. Mais le PIISAH, lancé en grande pompe par le ministère de l’Économie sous la houlette d’Alamine Ousmane Mey, n’est que la pièce la plus récente d’un vaste puzzle. Avant lui, plusieurs programmes et projets agricoles ont vu le jour. Padfa II, Prodel, Pea-Jeunes, Pidma, Padmirc, Pdc_Va, ou encore le Programme national de développement du palmier à huile et de l’hévéa (PNDPHH). Leur objectif commun est de moderniser les filières agricoles et appuyer les producteurs. Sur le papier, la vision est claire. Dans la pratique, son appropriation par les populations demeure problématique.

UNE MOITIÉ DE PRODUCTEURS MAL INFORMÉS

 Les résultats d’un mini-sondage réalisé en 2025 par nos confrères de Data Cameroon auprès d’une trentaine de producteurs des régions du Centre, du Littoral et de l’Ouest révèlent l’ampleur du fossé entre les politiques publiques et le terrain. La moitié des producteurs interrogés disent ignorer totalement l’existence des projets et programmes agricoles censés les accompagner. Même parmi les agricultrices informées, rares sont celles à avoir effectivement bénéficié d’un appui. « En début d’année, j’ai essayé de monter le dossier de ma société coopérative pour bénéficier d’un projet, mais notre fonds était presque vide », confie Christine Milango, épouse Ndong, responsable de la Scoopsfedi à Njombé-Penja. « C’est cela qui nous a vraiment fauchés… ».

D’autres pointent un déficit de communication. « Il y a un manque d’information. Même quand elle arrive, c’est trop tard », déplore Philomène Bertille Jabea, présidente de la Société coopérative des femmes entrepreneures du Littoral (Scfel). Sa compatriote Madeleine Nga renchérit : « Nous avons appris le lancement d’un programme de la FAO deux jours avant la clôture de l’appel à candidatures ».

DES ADMINISTRATIONS LOCALES SOUS-ÉQUIPÉES

 Du côté de l’administration, le constat est tout aussi préoccupant. Les relais locaux du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader) reconnaissent leur difficulté à faire circuler l’information. « Dans les services déconcentrés comme le nôtre, certains ne savent même pas qu’il existe une délégation de l’Agriculture », admet Charles Calvin Boubouama, délégué d’arrondissement du Minader à Nikoutou.

 À Njombé-Penja, Leon II Irnée Mengue, en poste depuis moins d’un an, évoque un « manque d’outils pour sensibiliser efficacement ». Il dit avoir entrepris un recensement des projets actifs dans sa circonscription, faute de base de données centralisée. Cette désorganisation complique la mise en œuvre locale des multiples initiatives du Minader, dont certaines — comme le Projet d’appui au développement des filières agricoles (Padfa) ou le Programme de promotion de l’entrepreneuriat agropastoral des jeunes (Pea-Jeunes) — ont déjà livré des résultats, mais peinent à s’ancrer durablement dans les territoires. Pour 2025, le gouvernement a promis d’intensifier son effort budgétaire.

 Le 14 août 2025, Alamine Ousmane Mey a signé avec sept structures publiques des conventions de transfert de 13,55 milliards de FCFA destinés à la production agropastorale et halieutique. Dans le détail, 9,2 milliards iront à la Banque camerounaise des PME (BCPME) pour soutenir les opérateurs privés des filières ciblées, tandis que 4,3 milliards seront distribués à l’Unvda, à la Sodepa, à l’IRAD, à l’Office céréalier et aux projets Viva-Logone et Viva-Bénoué.

Ces fonds s’inscrivent dans le cadre du PIISAH, qui prévoit de sécuriser 1,4 million d’hectares de terres agricoles et d’investir 1 208 milliards de FCFA dans les infrastructures rurales (barrages, routes, électrification). Mais ces montants colossaux n’ont pas encore produit l’effet d’entraînement espéré. Les observateurs évoquent des résultats « mitigés » lors de la première année d’implémentation du PIISAH en 2024, malgré une mobilisation de 248,49 milliards de FCFA.

 LE SECTEUR PRIVÉ RESTE FRILEUX

Lors du 4ᵉ Cameroon Investment Forum tenu le 17 avril 2024 à Douala, les patrons ont exprimé leur scepticisme quant à la mise en œuvre de la politique d’import-substitution. « Pour produire localement du riz, du maïs, du poisson, du lait et de l’huile de palme, nous avons besoin d’espace, de terrain », a martelé Célestin Tawamba, président du Gecam. Il dénonce un cadre foncier instable : « Le titre foncier ne garantit rien, car il peut être révoqué par le ministre du jour au lendemain. Comment développer l’agriculture sans sécurité foncière ? ». Même son de cloche du côté de Leonel Kungaba Fongoh, PDG de Global Corporation Group, qui plaide pour « faciliter l’accès à la terre » et inciter les investisseurs étrangers à s’associer à des Camerounais. À ces obstacles s’ajoutent des difficultés de financement. « Il n’existe actuellement aucun dispositif adapté pour financer l’agriculture », déplore à nouveau Célestin Tawamba. Gwendoline Abunaw, directrice générale d’Ecobank Cameroun et présidente de l’Apeccam, a quant à elle encouragé les entrepreneurs à mieux explorer les offres de crédit existantes, tout en reconnaissant que les conditions de prêt restent souvent dissuasives pour les petits producteurs.

 L’ACCÈS AU MARCHÉ

« Quand d’autres pays ont lancé des politiques d’import-substitution, ils ont pris en compte les exigences du marché », a expliqué Dr Simon François Yonga Bakalag, coordonnateur national du Centre du réseau des filières de croissance. Selon lui, il faut d’abord garantir des débouchés aux producteurs avant de stimuler la production : « Nos produits doivent répondre aux normes commerciales si nous voulons qu’ils soient vendus. » Le gouvernement ne ménage pourtant pas ses efforts.

Le Projet de l’inclusion et de l’employabilité des femmes et des jeunes (Propiej), soutenu par le PNUD et la Banque mondiale, a lancé en 2025 un appel à candidatures pour 100 projets innovants portés par des femmes et des jeunes dans le cadre du PIISAH. Les lauréats bénéficieront d’un appui financier de la BC-PME et d’un accompagnement technique pour renforcer la compétitivité de leurs entreprises. Mais ces initiatives, souvent concentrées dans les grandes villes ou les centres administratifs, peinent encore à atteindre les producteurs ruraux. « Il faut pouvoir vendre nos produits avant de démarrer la production », résume lucidement Dr Yonga Bakalag.

Avec plus de vingt programmes agricoles opérationnels sous la tutelle du Minader, le Cameroun n’a jamais autant investi dans son secteur rural. Pourtant, la fragmentation des dispositifs, le déficit de communication et la méfiance du secteur privé risquent de retarder les objectifs du PIISAH et, plus largement, la marche vers l’autosuffisance alimentaire. Les milliards engagés ne suffisent pas sans un effort accru de vulgarisation, d’information et de simplification administrative. Tant que les producteurs ne s’approprieront pas les politiques agricoles censées les soutenir, la souveraineté alimentaire restera une promesse en suspens.

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