Guy Clarck Pagui : » Les villes comme Buea et Limbé  devraient être meublées des constructions bioclimatiques « 

L’urbaniste membre du comité de rédaction de « lahar de Buéa » récemment publié par l’Ordre National des Urbanistes du Cameroun, évoque avec votre journal, les défis de l’urbanisation face aux menaces de catastrophes naturelles et les propositions pour reconstruire les villes camerounaises.  

L’ordre national des urbanistes du Cameroun vient de réaliser une publication sur les fortes pluies et coulées de boue qui ont affecté, il y a quelques semaines, la population de Buéa au sud-ouest du pays.   L’ordre  y évoque surtout l’enjeu de l’urbanisation. Pourquoi cet intérêt ?

D’emblée, la double mission de l’ONUC se résume à assurer à la fois, la protection du public et celle de la veille permanente de l’exercice de la profession d’urbaniste. Ainsi, l’ONUC, sert en premier, les intérêts d’ordre « public » c’est-à-dire nationaux, avant de se pencher sur ses propres intérêts en tant qu’entité libérale. L’ONUC appuie ses actions quotidiennes sur ses nombreuses valeurs parmi lesquelles : la bienveillance et la proactivité. Et, c’est sa capacité à se situer dans le temps et dans l’espace urbain camerounais, en tant que garant légitime, baromètre, et veilleur face aux comportements outrageant l’urbanité, et face aux nombreuses susceptibilités et inattendus phénomènes urbains, que se situe et se justifie pertinemment l’intérêt de porter un regard bienveillant comme cette récente publication sur le Lahar survenu dans la ville Buea. 

Qu’est-ce que le Lahar et quelle est la posture de l’urbaniste face à une telle catastrophe ?

L’urbaniste est pour la ville ce qu’est le médecin pour le corps humain. Ainsi, la perception que nous avons de cette catastrophe se résume à deux ordres.

 D’ordre naturel (géomorpho-climato-météorologique) ; En effet, le lahar (dense boue issue des débris volcaniques) survenu récemment se forme généralement lorsque d’importantes pluies s’abattent sur des dépôts volcaniques, comme le cas du Mont-Cameroun.  Ces dépôts n’étant pas consolidés dans la grande majorité des cas, sont facilement érodés et emportés durant les pluies diluviennes du fait de la forte pression des vents mais, surtout de la charge et décharge importante de la gravité.

D’ordre anthropique (établissement humain spontané sur des zones à risques très élevé). : La position géographique de Buea, en aval du Mont-Cameroun (4100m d’altitude) constitue à la fois sa principale force mais aussi son principal défaut du fait d’être soumis permanemment soit à une éruption volcanique, soit à un éventuel éboulement du fait de la gravité. Avec une population de 303 mille habitants en 2023, elle subit une importante croissance démographique depuis le début de la crise en 2016, l’essentielle cause à l’origine du délaissement massif par la population locale. A travers l’exode rural couplé aux migrations quotidiennes, les zones à risques, les zones fragiles et non aedificandi près du Mont-Cameroun sont sujettes aux occupations clandestines.

 Au-delà de la ville de Buea, quels sont selon vous les défis de nos villes face au risque de catastrophes naturelles ?

Dans la grande majorité des villes de l’Afrique subsaharienne où l’urbanisation est la plus expressive et explosive dans le monde, les défis auxquels les villes sont soumises aux risques de catastrophes naturelles, sont à la fois protéiformes, pluriels et grandissants, parmi lesquels, le mastodonte épineux cancéreux bidonville, qui prend du large dans toutes les villes camerounaises. En observant de très près la permanence grandissante des inondations à Douala et dans des lieux précis comme Missokè, Cité Berges-villages,Mabanda etc. C’est l’absence des « chemins des eaux » qui oblige la nature à revendiquer ces chemins, traduit via les inondations. Le cas de la poste centrale de Yaoundé est contradictoire au précèdent, puisqu’il s’agit du centre administratif. Le remarquable phénomène d’inondation observé, ma foi, est une erreur technique d’aménagement, qui se résume au sous-dimensionnement du canal du Mfoudi au bénéfice du front commercial Kennedy qui n’est rien d’autre que le lit majeur du fleuve Mfoundi.  C’est ce qui explique la forte retenue des eaux à ladite avenue, sans oublier l’obstruction des caniveaux.

Comment les prévenir ?

En ce qui concerne Douala, faut saluer le pragmatisme exemplaire de la ville de Douala à se doter des documents de planification de référence comme l’Agenda 21, Plan Directeur d’urbanisme etc…Pour elle, il faut tout simplement implémenter ces documents de planification, et l’Etat doit créer toutes les conditions pour réaliser toutes les 6 Etudes-projets de restructurations réalisées par la MAETUR, et qui concernent l’essentiel des plus grands bidonvilles de Douala. En ce qui concerne Yaoundé, mettre en œuvre l’actuel Plan Directeur récemment réalisé ainsi que le PADDY. Aussi, les deux principales zones inondées au centre-ville de Yaoundé sont essentiellement des vallées (lits majeurs de cours d’eau). Y faudra-t-il des bassins de rétention avec des voies suspendues ? Les échangeurs qui s’y annoncent catalyseront-ils cette proposition ?

Après un tel incident, quelles sont les clés que vous proposez pour une reconstruction ?

Le cas Buea est très spécial, d’ailleurs comme toutes les autres villes proches du Mont-Cameroun comme Limbé etc… On a cette chance que plus de la moitié des villes que compte le Cameroun sont dotées ou sont en cours de dotation des documents de planification, malgré que leur mise en œuvre soit le plus difficile. Elle s’est dotée en 2013 d’un Plan d’Occupation des Sols (POS) à l’horizon 2029 ; la voie royale par laquelle les politiques pourraient préconiser comme réponses efficaces et rapides, seraient de réaliser les projets d’investissement prioritaires et d’urgences climatiques y contenus couplée au Plan de Secteur (PS) de Molyko.

 Dans l’ouvrage vous évoquez le cas rwandais de gestion de l’aménagement urbain. Quels sont les éléments dont peut s’inspirer le Cameroun, de manière pratique  pour ses nombreuses villes?

La trilogie construire-déconstruire-reconstruire est aussi une solution à explorer. En réalité, le concept « non aedificandi » est une forme de jurisprudence pour traduire les difficultés techniques et la dense capacité financière pas toujours à la portée de la grande majorité des ménages, qui sont essentiellement ces deux principaux paramètres qui conditionnent l’aménagement des zones de fortes pentes, des zones marécageuses et autres espaces du même ordre…Et c’est ce que les politiques du pays aux mille collines (Rwanda) ont compris. En effet, les zones de très fortes pentes sont déclarées zones à urbanisation sous conditions spéciales et à très fortes valeurs ajoutées. Cette préinscription qui s’apparente inclusive du point de vue social et économique, est l’une des belles manières de mieux valoriser les flancs des montagnes, belles vitrines et images du paysage urbain. De cette préinscription, les constructions seront adaptables, durables, magistrales à l’image du prix élevé du foncier. Les autres projets touristiques connexes suivront cet élan et permettront à l’état de mieux vendre les atouts pittoresques de ses villes aux touristes mais, surtout d’éviter et de prévenir des éventuels aléas (qui auraient occasionné des pertes en vies humaines si c’était de l’habitat spontané) du fait du respect strict des normes d’urbanisme y afférentes.  Ainsi, les villes comme Buea et Limbé avec leur proximité d’un des plus hautes montagnes d’Afrique devraient être de véritable hub écotouristiques, meublés des constructions bioclimatiques comme c’est le cas au Rwanda via « l’Éco lodge de Musanze » aménagé sur un site semi-forestier de très forte pente.

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