Et si le manioc et la pharmacie devenaient les moteurs inattendus de l’industrialisation de l’Afrique centrale ? C’est l’une des pistes explorées par les experts, chefs d’entreprise et décideurs réunis du 23 au 25 juillet à Yaoundé pour la troisième édition du Forum économique Afrique centrale (FEAC). Un événement devenu incontournable pour ceux qui croient en un avenir industriel fondé sur les ressources locales, les PME et l’innovation.
Placée sous le thème : « Investissement et financement des PME en Afrique centrale pour l’industrialisation et le développement des chaînes de valeur régionales », cette édition a mis l’accent sur deux secteurs stratégiques trop souvent sous-exploités, à savoir le manioc, produit massivement mais peu valorisé, et la production pharmaceutique locale, toujours marginale face à la dépendance aux importations.
Pour Jean-Baptiste Fouda Atangana, président de l’événement, « le continent n’attire que 5 % des investissements directs étrangers dans la production pharmaceutique. Pourtant, si les conditions adéquates sont réunies, la fabrication locale peut améliorer l’accès aux médicaments essentiels, stimuler la croissance économique et renforcer l’autonomie stratégique. » Un plaidoyer en faveur d’une mobilisation accrue des capitaux, mais aussi d’une refonte de l’environnement réglementaire et industriel.
Dans le même esprit de valorisation des ressources locales, le Cameroun mise sur le manioc, un tubercule aux multiples usages encore sous-exploité. Le département du Moungo, dans la région du Littoral, constitue d’ailleurs le principal bassin de production du pays, avec près de 4,5 millions de tonnes récoltées chaque année sur environ 330 000 hectares cultivés en 2022. Le rendement moyen est estimé à 40 tonnes par hectare, mais le potentiel de transformation reste limité à moins de 1 000 tonnes. Selon les données du « Compte d’exploitation des plantations de manioc au Cameroun » sur la période 2019-2021, la filière génère en moyenne 1 million de FCFA par hectare et par an, soit des revenus annuels potentiels de 330 milliards de FCFA.
Des chiffres qui pourraient être largement revus à la hausse grâce à une stratégie d’exportation et à des investissements ciblés. Pour les participants AU Feac, la construction d’une véritable chaîne de valeur régionale autour du manioc — incluant transformation, conditionnement et distribution — représente une voie prometteuse pour créer des milliers d’emplois, réduire les pertes agricoles et renforcer la sécurité alimentaire sur le continent.
Jean-Baptiste Fouda Atangana, estime en outre que l’industrialisation passe nécessairement par une montée en puissance des Petites et moyennes entreprises (PME) et industries (PMI) locales. Trois axes ont structuré les échanges, il s’agit des défis structurels des PME, les mécanismes de financement adaptés et les exemples inspirants d’initiatives réussies dans la sous-région. Mais le tableau est loin d’être rose. Le déficit de financement auquel font face les PME d’Afrique subsaharienne est estimé à 330 milliards de dollars, selon la Banque mondiale. Trop souvent écartées des circuits bancaires classiques, nombre d’entre elles dépendent encore des mécanismes informels comme les tontines. « Je n’exclus pas les tontines, bien au contraire. J’en viens moi-même.
Tout projet structuré, même né d’une tontine, a sa place ici », a affirmé Fouda, dans un message d’ouverture aux réalités économiques africaines. Au-delà du plaidoyer pour plus d’investissements, le forum a mis en avant la formation et l’accès à l’information financière. Car sans données fiables, ni compétences en gestion ou comptabilité, peu de PME peuvent prétendre convaincre un investisseur. D’inspiration panafricaine, le FEAC reprend ici les recommandations de l’Africa Financial Industry Summit, en insistant sur le renforcement des capacités comme condition préalable à l’accès au crédit.