mercredi, décembre 10, 2025
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Emmanuel Noubissie Ngankam : « Barrage Hydroélectrique de Nachtigal : La vraie-fausse controverse »

L’actualité de ces dernières semaines au Cameroun a été, entre autres, marquée par les mutations survenues dans le secteur de l’électricité. Ces mutations tiennent en haleine l’opinion nationale, notamment les deux points nodaux que sont, d’une part, ce qui est convenu d’appeler la renationalisation d’ENEO et, d’autre part, les contours de l’exploitation du barrage hydroélectrique de Nachtigal assurée par l’entreprise NHPC (Nachtigal Hydro-Power Company).

S’agissant particulièrement de ce second point, il suscite une forte controverse, alimentée à la fois par des leaders d’opinion et les médias de tous bords. L’analyse, pertinente ou non, se dispute avec l’amalgame et parfois la désinformation, voire la manipulation, d’un public pour qui un seul fait compte : la persistance des délestages et des coupures d’électricité, alors même que l’entrée en fonction du barrage de Nachtigal et ses 420 MW était annoncée comme le début de la fin du rationnement de l’électricité.

Faut-il le rappeler, et toutes les études et analyses l’attestent, l’un des principaux facteurs limitants au développement économique et social du Cameroun, ainsi qu’à la compétitivité des entreprises, est le déficit structurel en énergie électrique. Qu’il s’agisse de la Vision 2035, de la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND 30), de sa devancière le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), du Mémorandum de l’Économie Camerounaise de la Banque mondiale, du Cameroon Economic 2025 Update de juillet 2025 de la Banque mondiale, de la Stratégie de Développement Pays 2023-2028 (DSP) de la BAD, tous ces documents de référence font le même diagnostic et prescrivent la même médication en ce qui concerne l’amélioration de l’offre de l’énergie électrique au Cameroun. Le Tableau de Bord de l’économie camerounaise du 2ème trimestre 2025 publié par le GECAM révèle que 83,6% des entreprises indexent les perturbations et les difficultés d’accès à l’énergie électrique comme la principale faiblesse de l’environnement des affaires au Cameroun.

//Au-delà de l’accroissement de la capacité installée, Nachtigal est le relais permettant de procéder à la maintenance des barrages d’Edéa et Songloulou tous les deux à bout de souffle faute d’entretien //

Comme pour y donner un écho, le barrage hydroélectrique de Nachtigal, dont les premières études datent des années 70, s’est avéré être la clé de voûte de la solution à un problème structurel, du fait, entre autres, de sa capacité qui en fait la plus grande infrastructure du secteur au Cameroun. Bien plus, et au-delà de l’accroissement de la capacité installée qui, jusqu’à l’entrée en fonction de Nachtigal, stagnait autour de 1600 MW sur un potentiel de 12000 MW, ce barrage était et reste la solution idoine devant permettre de prendre le relais et d’assurer la maintenance des barrages d’Edéa construit dans les années 50 et Songloulou qui date de 1976 (environ 50 ans), tous les deux à bout de souffle faute d’entretien, ce qui représente un risque majeur d’un blackout total pour le Cameroun.

Au-delà de cette fonction stratégique qui a suscité beaucoup d’appétit, notamment celui du major des mines Rio Tinto qui a quitté le Cameroun sur la pointe des pieds en 2015 du fait, entre autres, des atermoiements autour de la réalisation de Nachtigal, une question de fond taraude les esprits et amplifie la controverse. Il s’agit du montage financier et du contrat de construction et d’exploitation du barrage avec, en ligne de mire, la clause du « Take or Pay » qui engage le distributeur ENEO (offtaker) à payer mensuellement environ 10 milliards de F CFA au consortium NHPC, que la production soit entièrement absorbée ou pas.

//La clause du « Take or Pay » présente de nombreux avantages pour toutes les parties prenantes//

La controverse autour de la clause du « Take or Pay », pour compréhensible qu’elle puisse être, relève tout simplement d’un déficit de connaissance des pratiques courantes dans le secteur de l’énergie pris au sens le plus large (pétrole, gaz et électricité). Cette clause, qui est l’élément clé de l’accord d’achat de l’électricité (Power Purchase Agreement – PPA), a priori contraignante, présente de nombreux avantages pour toutes les parties prenantes.

  • Pour l’État, cette clause permet une meilleure allocation des ressources publiques (la maximisation du financement de développement) dans ce sens qu’elle (la clause) facilite le Partenariat Public Privé (PPP), ce qui fait porter le poids du financement du projet par le secteur privé et oriente les ressources limitées de l’État vers les secteurs, notamment sociaux, peu attractifs pour les opérateurs privés. 
  • Pour les prêteurs et financiers, et dans le cas d’espèce EDF (Électricité de France) chef de file, IFC (Société Financière Internationale – Groupe de la Banque mondiale), l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (MIGA – Groupe de la Banque mondiale), Africa 50 (Groupe de la BAD), la clause Take or Pay constitue une forme de garantie en ce qui concerne la viabilité et le remboursement des investissements.
  • Pour la société de projet, en l’occurrence NHPC, la clause est également une garantie de revenu, de stabilité financière et de l’exploitation optimale de l’infrastructure. Elle réduit considérablement le risque de défaut de paiement de la part de son client ENEO. 
  • Pour ENEO, et à travers lui l’État qui s’est porté garant, le Take or Pay permet de négocier de meilleurs coûts du kWh et, au-delà, un meilleur prix de l’électricité facturé aux consommateurs (ménages et entreprises). Cette clause est particulièrement avantageuse dans un contexte de volatilité, d’imprévisibilité et de vulnérabilité à des externalités.

Plus globalement et au-delà des avantages évoqués plus haut, la bonne exécution du contrat de production et d’achat de l’électricité entre NHPC et ENEO/État renforce l’attractivité du Cameroun dans un contexte où notre pays voudrait faire de son Compact Énergétique National un exemple, voire un modèle, dans le cadre de la Mission 300, initiative de la Banque mondiale et de la Banque Africaine de Développement (BAD) lancée en janvier 2025 et dont l’objectif est d’accélérer l’accès à l’énergie électrique à 300 millions d’Africains d’ici 2030. Le Compact énergétique du Cameroun, présenté en avril 2025 à Washington lors des Assemblées de printemps de la Banque mondiale et du FMI, se veut être une boussole qui vise particulièrement à augmenter la qualité et la quantité d’énergie fournie aux consommateurs, améliorer la stabilité annuelle de l’accès à l’électricité et ce, en mobilisant environ 12,5 milliards de dollars US, (environ 7 751 milliards de CFA) dont 6,5 milliards de dollars (un peu plus de 50%) attendus du secteur privé.

Mais au-delà de ces avantages et de la pertinence du barrage de Nachtigal, des zones d’ombre demeurent et interpellent tous les maillons de la chaîne du secteur de l’électricité, car, faut-il le rappeler, NHPC en tant que producteur indépendant n’est que l’un des maillons auquel sont rattachés d’autres producteurs (barrages d’Edéa, de Songloulou et de Lagdo opérés par ENEO, le barrage de Memvele opéré par EDC, les centrales thermiques de Kribi et de Douala opérés par Globelec). En aval de la production et avant le distributeur, le maillon clé est le gestionnaire du réseau de transport, la SONATREL (Société Nationale de Transport d’Électricité) qui, depuis sa création en 2018, est responsable de l’exploitation, de la maintenance et du développement du réseau national de transport, de ses interconnexions avec d’autres réseaux et de la gestion des flux d’énergie.

//En aval de la production, les réseaux de transport et de distribution sont les maillons faibles de l’ensemble du système//

Cette dernière fonction, mal connue du grand public, fait de SONATREL LE Dispatcheur national de l’énergie électrique. C’est à elle qu’incombe au quotidien la responsabilité de réguler le niveau de production de chacun des producteurs. Il se trouve des moments de la journée où Nachtigal est contraint par le dispatcheur de réduire sa production jusqu’à 200 MW, le différentiel par rapport à la capacité optimale de 420-430 MW étant « déversé » dans la nature, même si contractuellement ENEO doit payer 412 MW.

Les autres maillons, notamment l’ARSEL (l’Agence de Régulation du Secteur de l’Électricité), l’AER (l’Agence de l’Électrification Rurale) ont des missions définies dans la loi n°211/022 du 14 décembre 2011 régissant le secteur de l’électricité au Cameroun et les textes réglementaires spécifiques à ces entités.

Au regard de la situation actuelle du secteur, marquée entre autres sur le plan technique par un déficit de planification, la vétusté du réseau de transport et de distribution, la mauvaise conception du mix énergétique (le thermique étant conçu pour servir en base plutôt qu’en pointe), la vétusté des deux principales usines hydro-électriques Edéa et Songloulou, le système serait dans l’incapacité de supporter une production maximale du barrage de Nachtigal 24h/24. Et pour cause aux périodes creuses, le réseau de transport, qui est le maillon le plus faible du système, ne peut absorber la totalité de l’énergie produite.

Comme le prévoit le Compact Énergétique National, il devient impérieux de : (i) réviser la loi de 2011 susmentionnée en vue, entre autres, d’ouvrir le champ du transport à d’autres compétences, (ii) investir massivement dans la réhabilitation et l’extension des réseaux de transport et de distribution, (iii) engager un programme de maintenance des barrages d’Edéa, Songloulou et Lagdo grâce à l’optimisation de Nachtigal, (iv) redéfinir le rôle dévolu aux centrales thermiques qui ne devraient servir qu’en pointe et dont le coût du kWh est de près de 300 F CFA comparé à 65 F en moyenne pour l’hydro.

Toutes ces considérations techniques et bien d’autres, notamment la saine évaluation de l’opportunité de l’arrivée de nouveaux producteurs, iraient de pair avec la recherche de l’équilibre financier du secteur, véritable talon d’Achille.

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